Chrétiens d'Irak : plus urgent que le foot !
Indifférence
des intellectuels et du gouvernement français devant le massacre des chrétiens
Cardinal Philippe Barbarin
ROME, 27 juin 2014 (Zenit.org) - L’indifférence des intellectuels et du gouvernement français envers
le massacre des chrétiens d’Irak devrait nous bouleverser, s'indigne le
cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, dans
cette lettre parvenue à Zenit.
Les mots semblent impuissants devant la tragédie
des chrétiens d’Orient. En Irak, les informations parfois contradictoires qui
nous parviennent témoignent du chaos et de l’angoisse de nos frères. Mardi
soir, j’ai reçu l’appel du patriarche des Chaldéens, Louis-Raphaël Ier Sako que j’avais eu la joie d’accueillir à Lyon en mars. Il
est actuellement en synode avec une vingtaine d’évêques de la région. Il me dit
que la situation est effrayante, mais que des menaces beaucoup plus graves sont
encore à venir. L’éradication des minorités religieuses n’est hélas pas un
dommage collatéral de la folle stratégie des assassins : c’est leur but
affiché.
En France, il faut bien le dire, la situation des
chrétiens d’Irak n’est pas un grand générateur d’émotions. Comment expliquer
que, jusque dans nos paroisses, nous ne portions pas davantage le souci de nos
frères d’Orient ? Plusieurs raisons l’expliquent sans doute. La presse est
le reflet des consciences de notre pays : les chrétiens de là-bas sont considérés
comme un problème étranger. Il y a sans doute aussi une espèce de fatalisme :
la région est en proie à des secousses meurtrières depuis si longtemps que
tous, nous nous habituons à l’inacceptable.
Le fait qu’ici, en Occident, les religions soient
officiellement respectées mais aussi fréquemment suspectées, n’arrange rien. La
situation des chrétiens persécutés dans le monde ne provoque souvent chez nos
politiques qu’une compassion polie, tardive et peu suivie d’effets. Asia Bibi entame sa quatrième année de détention préventive
dans une prison pakistanaise de haute sécurité sans que cela n’empêche grand
monde de dormir ; ces dernières semaines, Meriam
Yahia Ibrahim Ishag a
accouché dans les prisons soudanaises, enchaînée pour allaiter son petit dans
le couloir de la mort ; la pression américaine a permis une libération… de
quelques heures, puisqu’elle a de nouveau été arrêtée. Là encore, il a manqué
de grandes voix françaises pour s’y opposer simplement, fortement, fermement.
Le réflexe communautaire d’un groupe humain
l’invite à défendre ses membres. Que les chrétiens aient reçu la vocation
d’aimer tout homme sans distinction de race, de culture ou de religion est un
enseignement directement issu de l’Évangile. Mais, de grâce ! que cela ne
nous fasse pas fermer les yeux sur les malheurs de nos frères les plus proches.
En 1794, l’un des plus grands massacres de
prêtres de notre histoire s’est déroulé à Rochefort. 829 prêtres réfractaires y
ont été déportés par le Comité de Salut public ; sur les 829, seuls 274
survécurent : ils firent le serment de ne jamais parler de l’horreur
qu’ils avaient vécue, pour permettre à la France de se relever. Aujourd’hui, la
ville de Karakosh, dans la plaine de Ninive, est devenue sous l’afflux des réfugiés la plus
grande ville chrétienne d’Irak. Entendez-vous le cri qui monte ? C’est
celui d’un camp de réfugiés. Karakosh n’est pas
Rochefort, car le massacre est en cours. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas
rester silencieux.
Le Patriarche me disait hier qu’une partition du
pays serait préférable à une guerre civile qui tue d’abord les innocents. Si
seulement la communauté internationale pouvait aider à trouver une solution…
Mais n’attendons pas tout des États et de leur diplomatie. Agissons ici et
maintenant, comme le Pape nous y a appelés. Lorsque Jean-Paul II m’a accueilli
dans le collège des cardinaux, il a insisté sur le sens de la pourpre
cardinalice : c’est le rappel du sang des martyrs. C’est pourquoi
j’appelle aujourd’hui les chrétiens d’ici à faire monter vers le ciel une
prière fervente pour nos frères d’Orient. Je les invite à cultiver la
conscience de cette fraternité qui nous lie par-delà les kilomètres et les
siècles. Je veux leur redire les paroles du Patriarche : « Ce qui
nous manque le plus, c’est votre proximité, votre solidarité. Nous voulons
avoir la certitude que nous ne sommes pas oubliés ! »
Je propose d’encourager les associations œuvrant
dans la plaine de Ninive. Je supplie les chrétiens d’ici et tous les hommes et
femmes de bonne volonté qui travaillent dans les secteurs de la santé, de
l’éducation, de l’alimentation, de l’aide d’urgence de venir en aide aux
survivants. J’ai le désir de lancer un jumelage entre notre diocèse et l’un de
ceux qui en a le plus besoin. Je suggère qu’un pourcentage des quêtes de nos
paroisses qui le souhaitent soit versé durant l’année qui vient pour le
soulagement de la détresse de nos frères d’Irak. J’invite tous les chrétiens à
rester éveillés et attentifs, à être les veilleurs de leurs frères.
Que les héritiers de saint Pothin deviennent les
frères de ceux de saint Thomas, apôtre de l’Orient. Comme l’a dit le pape
François, nous sommes face à un œcuménisme de sang : ce ne sont pas des
catholiques, des protestants, des orthodoxes que l’on martyrise : ce sont
des chrétiens. Il est d’ailleurs à craindre que les persécutions ne
s’arrêteront pas aux chrétiens. Il faut dès aujourd’hui que la ville de Karakosh devienne un sanctuaire pour tous les belligérants,
et un havre de paix pour les populations civiles qui, par milliers et de toutes
les confessions, y affluent. Car ce sont des hommes que l’on tue, dans le
silence, entre deux olas d’un stade de foot brésilien.
Le Patriarche me l’a dit : « Nous
gardons espoir, mais comme vous le savez, l’espoir est fragile. » Et si
leur espoir était aussi entre nos mains ? Le pape François le rappelle :
« Les chrétiens persécutés pour leur foi sont si nombreux ! Jésus est
avec eux. Nous aussi. » Nous aussi !
CARDINAL PHILIPPE BARBARIN
Archevêque de Lyon
Primat des Gaules
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