AU SUJET DE L'AGENOUILLEMENT ...Cardinal Ratzinger
À quand la guérison ?
« Où est le Roi des Juifs qui vient
de naître ? Nous avons vu se lever Son étoile et nous sommes venus nous prosterner
devant Lui » disent les mages en arrivant chez Hérode.
Et plus loin, au terme de leur
marche : « … en entrant dans la maison, ils virent l’Enfant avec
Marie, Sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant
Lui »
Les Mages pressentent que dans
l’Enfant, dont la naissance leur est annoncée par des signes extraordinaires,
il y a un mystère Divin. Ils se prosternent donc devant Lui en se mettant à
genoux, dit l’évangéliste Saint Luc.
Je voudrais simplement ce
dimanche revenir sur cette position de la prière Chrétienne : à
genoux. Autrefois, tous les fidèles se mettaient unanimement à
genoux pendant la prière eucharistique, et on faisait toujours la génuflexion
en passant devant le Tabernacle dans les églises, de même qu’on recevait la
Sainte Hostie à genoux, et sur la langue. Jamais on n’osait La toucher avec les
mains ! J’ai vu dans certaines assemblées, rarement hélas, combien c’est
impressionnant, un peuple à genoux. J’ai dit hélas car l’habitude s’est
largement perdue. On a cru que c’était dépassé et qu’il fallait abandonner
cette position d’humilité. Combien d’agenouilloirs (qu’on appelait à juste
titre « prie-Dieu ») ont été supprimés des églises ? Combien de
nouveaux bancs ne contiennent plus d’agenouilloirs ?
Pour que vous ne croyiez que ce
que je vais dire est une opinion qui m’est personnelle, une sorte de sensibilité
personnelle, je vais me contenter de citer largement un livre du cardinal
Ratzinger, devenu ensuite le Pape émérite, Benoît XVI, intitulé "L’esprit
de la liturgie", écrit en 2000. Je le cite : « On
voudrait aujourd’hui nous détourner de l’agenouillement. Ce geste ne serait
plus adapté, paraît-il, à notre culture, il ne conviendrait pas au Chrétien
adulte qui doit faire face à Dieu, debout ; ou encore il ne s’accorderait
pas avec le statut de l’homme sauvé, car l’homme libéré par le Christ n’aurait
plus à s’agenouiller. L’agenouillement n’est pas une manifestation culturelle
secondaire. Il nous vient de la Bible et de sa conception de Dieu. Dans la
Bible, le verbe qui signifie se mettre à genoux, apparaît 59 fois dans le
Nouveau Testament, signe de l’importance que l’Écriture attribue à ce geste.
Le geste du corps est en lui-même porteur d’un sens spirituel, celui de
l’adoration, sans laquelle il resterait lettre morte. L’acte spirituel, de par
l’unité corps-âme de l’homme, doit nécessairement se traduire par un acte
corporel. Là où l’agenouillement n’est qu’apparence, acte automatique, il a
perdu son sens ; et là où l’on tente de restreindre l’adoration à l’âme
seulement, sans lui donner corps, l’acte de l’adoration s’éteint parce que
l’homme est ainsi fait que la pure spiritualité ne correspond pas à sa nature.
L’adoration est l’un de ces actes fondamentaux qui concernent l’homme tout
entier. C’est pourquoi on ne peut renoncer à l’agenouillement en présence du
Dieu vivant.
Lors de la consécration du grand Temple
de Jérusalem, par exemple, Salomon s’agenouille en présence de toute
l’assemblée d’Israël. Au retour de l’exil, Esdras reprend ce geste à l’heure de
l’offrande du soir : « Je tombais à genoux, étendis mes mains vers le
Seigneur mon Dieu et priais. ». Les Actes des Apôtres nous décrivent
également Saint Pierre, Saint Paul et toute l’assemblée Chrétienne
priant à genoux. Le martyre de Saint Étienne revêt une importance particulière
pour notre propos, puisque le premier martyr est présenté dans une parfaite
ressemblance avec le Christ, allant jusqu’à reprendre, à genoux, la
prière du Crucifié : « Seigneur, ne leur comptez pas ce péché. ».
Luc aussi (qui, contrairement à Matthieu et à Marc, nous montre le Seigneur
priant à genoux sur le Mont des Oliviers) indique, en présentant le premier
martyr dans la même position, que son agenouillement est une entrée dans la
prière de Jésus. Je continue encore les citations : « Le passage qui
pour moi donne son fondement théologique à l’agenouillement reste le grand hymne
au Christ de l’épître aux Philippiens, où nous entendons la voix de l’apôtre,
unie à la prière de l’Église apostolique. L’hymne nous présente le Christ comme
le reflet inversé du premier Adam : tandis que celui-ci cherche à saisir
de sa propre autorité la condition Divine, le Christ ne s’attache pas comme à
une proie à la divinité qui est la Sienne, mais Il s’humilie jusqu’à la mort
sur la Croix. Et par cette humiliation, qui est un acte d’amour, Il reçoit le
Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au Nom de Jésus,
s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers. On
pourrait encore citer bien des exemples : Eusèbe de Césarée rapporte dans
son Histoire de l’Église une tradition remontant au 2e siècle, selon
laquelle Jacques le Majeur, frère de Jean l’Évangéliste, premier évêque de
Jérusalem et « chef » de l’Église Judéo-Chrétienne, avait attaché des
peaux de chameau à ses genoux parce qu’il était constamment agenouillé, priant
Dieu et implorant le pardon pour son peuple. Ou encore, dans les sentences des
Pères du désert, l’histoire du démon contraint par Dieu à se montrer à un
certain abbé Apollon ; le démon est tout noir, hideux, d’une maigreur
effrayante, mais surtout il n’a pas de genoux ! Le monde diabolique
ne peut pas s’agenouiller à cause de son terrible péché d’orgueil. En
conclusion, « il se peut bien que l’agenouillement soit étranger à la
culture moderne pour la bonne raison que cette culture s’est éloignée de la
foi. Elle ne connaît plus Celui devant Lequel l’agenouillement est le seul
geste adéquat, le seul geste nécessaire. La foi apprend aussi à nous
agenouiller. C’est pourquoi une liturgie qui ne connaîtrait plus
l’agenouillement serait intrinsèquement malade. Il faut réapprendre à nous
agenouiller, réintroduire l’agenouillement partout où il a disparu, afin que,
par notre prière, nous restions en communion avec les Apôtres et les Martyrs,
en communion avec le cosmos tout entier, en union avec Jésus-Christ. » Fin de citation.
Nous avons pu voir à la
télévision que le Pape a rétabli l’usage de recevoir la Communion à genoux, et
dans la bouche. Et je crois effectivement que tant que nous n’aurons pas
retrouvé ce sens, cette attitude essentielle de la piété Chrétienne, notre
liturgie demeurera « malade », selon le mot du Pape. À quand la
guérison ? Il faudra que nous apprenions aux enfants du catéchisme tout
d’abord, à adopter cette attitude. Il y a là une Volonté de Dieu, qui est ainsi
exprimée dans le livre d’Isaïe : « J’en jure sur Moi-Même, ce
qui sort de Ma Bouche est la Vérité, une Parole irrévocable : devant
Moi tout genou fléchira. » (Isaïe 62,3)
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