LA VIE DE L’APÔTRE SAINT ANDRÉ - fêté le 30 novembre
André veut dire beau, ou
caution, ou viril, d’ander, homme ; ou bien encore anthrôpos,
homme, d’ana, au-dessus, et tropos tourné, ce qui est la même
chose que converti, comme s’il eût été converti aux choses du Ciel et élevé
vers son Créateur. Aussi, est-il beau dans sa vie, caution d’une doctrine
pleine de sagesse, homme fort dans son supplice, et élevé en gloire. Son
martyre fut écrit par les prêtres et les diacres d’Achaïe ou d’Asie qui en ont
été les témoins oculaires.
André et quelques autres disciples furent appelés à trois reprises
différentes par le Seigneur. La première fois qu’il les appela à le connaître,
ce fut un jour où André avec un autre disciple ouï dire par Jean, son maître :
« Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du
monde. » Et tout aussitôt, avec cet autre disciple, il vint et vit où
demeurait JÉSUS, et ils passèrent ce jour auprès de Lui. Et André ayant
rencontré Simon, son frère, il l’amena à JÉSUS. Le lendemain, ils retournèrent
à leur métier de pêcheurs. Plus tard il les appela pour la seconde fois à vivre
avec Lui. Ce fut le jour où la foule se pressait sur les pas de JÉSUS auprès du
lac de Génésareth, aussi appelé Mer de Galilée. Le Sauveur entra dans la barque
de Simon et d’André, et après une pêche extraordinaire, il appela Jacques et
Jean qui étaient dans une autre barque. Ils le suivirent et revinrent ensuite
chez eux. JÉSUS les appela la troisième et dernière fois pour être ses
disciples, lorsque se promenant sur le bord de cette même mer où ils se
livraient à la pêche : « Venez, leur dit-il, et je vous ferai
pêcheurs d’hommes. » Ils quittèrent tout à l’instant pour le suivre
toujours et ne plus retourner en leur maison. Toutefois il appela André et d’autres
de ses disciples à l’apostolat, selon que le rapporte saint Marc (III) :
« Il appela à lui ceux qu’il voulut lui-même et ils vinrent à lui au
nombre de douze. »
Après
l’Ascension du Seigneur, et la séparation des Apôtres, André prêcha en Scythie
et Mathieu en Myrmidonie(1).
Les habitants de ce dernier pays refusèrent d’écouter Mathieu, lui arrachèrent
les yeux, le mirent dans les fers avec l’intention de le tuer quelques jours
après. Sur ces entrefaites, l’ange du Seigneur apparut à saint André et lui
ordonna d’aller en Myrmidonie trouver saint Mathieu. Sur sa réponse qu’il n’en
connaissait pas la route, il lui fut ordonné d’aller au bord de la mer et de
monter sur le premier navire qu’il trouverait. Il exécuta tout de suite les
ordres qu’il recevait, et sous la conduite d’un ange, il vint, à l’aide d’un
vent favorable, à la ville qui lui avait été désignée, trouva ouverte la prison
de saint Mathieu et se mit à pleurer beaucoup et à prier en le voyant. Alors le
Seigneur rendit à Mathieu le bon usage de ses deux yeux dont l’avait privé la
malice des pécheurs. Mathieu s’en alla ensuite et vint à Antioche. André resta
dans la ville dont les habitants, irrités de l’évasion de Mathieu, saisirent
André et le traînèrent sur les places après lui avoir lié les mains. Et comme
son sang coulait, il pria pour eux, et par sa prière les convertit à JÉSUS-CHRIST,
de là il partit pour l’Achaïe(2). Ce qu’on rapporte ici de
la délivrance de Mathieu et de la guérison de ses deux yeux, est digne de foi,
car c'est un honneur de grande humilité que le Seigneur a voulu pour ce grand
Évangéliste, et c'est pourquoi il a pu, par André, obtenir si facilement sa
guérison, que lui-même n'aurait pas obtenue. Un jeune noble(3)
s’étant attaché à l’Apôtre malgré ses parents, ceux-ci mirent le feu à
une maison où leur fils demeurait avec André. Comme la flamme s’élevait déjà
fort haut, ce jeune homme prit un vase, en répandit l’eau sur le feu qui s’éteignit
aussitôt. « Notre fils, dirent alors ses parents, est déjà un grand
magicien. » Et pendant qu’ils voulaient monter au moyen des échelles, Dieu
les aveugla au point qu’ils ne les voyaient même pas. Alors quelqu’un s’écria :
« À quoi vous sert de vous consumer en vains efforts ? Dieu combat
pour eux et vous ne le voyez point ! Cessez donc, de crainte que la colère
de Dieu ne descende sur vous. » Or, beaucoup de témoins de ce fait crurent
au Seigneur, quant aux parents, ils moururent et furent enterrés cinquante
jours après.
(1) L’Éthiopie.
Nicéphore appelle la ville Myrmenen, lib. I, c. XLI, il ajoute que c’était le pays
des anthropophages.
(2) S. Jérôme ;
Épître 148 à Marcelle ; - Grégoire de Tours De Gloria Martyr., lib. I, c.
XXXI ; - S. Paulin, Gaudence de Bresce, Pierre Chrysologue, etc. La lettre
des prêtres d’Achaïe, sur le martyre de saint André, est une pièce du Ier au
IIe siècle, qui a été démontrée authentique par le protestant Woog. Voyez sur
cette épître la préface de Galland Veter Patr. Biblioth., I, prol., p. 38.
(3) Abdias, Saint André, c. XII.
Une femme mariée à un assassin ne pouvait accoucher : « Allez,
dit-elle à sa sœur, invoquer pour moi Diane notre déesse. » Le diable dit
à celle qui l’invoquait : « Pourquoi t’adresser à moi qui ne saurais
te secourir ? Va plutôt trouver l’Apôtre André qui pourra aider ta sœur(4) ».
Elle y alla, et mena l’Apôtre chez sa sœur en danger de périr. Il lui dit :
« Il est juste que tu souffres, car tu es mal mariée, tu as conçu dans le
mal, et tu as consulté les démons. Cependant repends-toi, crois en JÉSUS-CHRIST
et accouche. » Elle crut, et accoucha d’un avorton, puis sa douleur cessa.
(4) Idem, Ibid., c. XXX.
Un
vieillard nommé Nicolas alla trouver l’Apôtre et lui dit(5) :
« Seigneur, depuis soixante-dix ans je vis esclave de passions infâmes. J’ai
cependant reçu l’Évangile, et ai prié pour que Dieu m’accordât la continence.
Mais accoutumé à ce péché, et séduit par la concupiscence, je suis retourné à
mes désordres habituels. Un jour que, brûlant de mauvais désirs, j’avais oublié
que je portais l’Évangile sur moi, j’entrai dans une maison de débauche, et la
courtisane me dit aussitôt : « Sors, vieillard, sors, car tu es un
ange de Dieu. Ne me touche pas et ne t’avise pas d’approcher, car je vois sur
toi des prodiges. » Effrayé des paroles de cette femme, je me suis rappelé
que j’avais apporté sur moi l’Évangile. Maintenant donc, saint de Dieu, obtenez
mon salut par vos saintes prières. » En l’entendant, le bienheureux André
se mit à pleurer, et depuis tierce jusqu’à none, il pria. Se levant de sa
prière, il ne voulut point manger, mais il dit : « Je ne mangerai
point avant de savoir si le Seigneur aura pitié de ce vieillard. » Après
cinq jours de jeûne, une voix se fit entendre à André et dit : « André,
tu obtiens ce que tu sollicites pour ce vieillard, mais de même que tu t’es
macéré par le jeûne aussi faut-il que pour être sauvé, lui aussi s’affaiblisse
par les jeûnes. » C’est ce que fit le vieillard en jeûnant pendant six
mois au pain et à l’eau, après quoi, plein de bonnes œuvres, il reposa en paix.
Et une voix dit à André : « Par ta prière, j’ai recouvré Nicolas que
j’avais perdu. »
(5) Abdias,
Saint André, c. XXXIII.
Un
jeune chrétien confia ce qui suit sous le plus grand secret à saint André (6).
« Ma mère, éblouie de ma beauté, me tenta pour une œuvre illicite, comme
je n’y consentais pas, elle alla trouver le juge, dans l’intention de faire
peser sur moi l’énormité d’un tel crime. Mais priez pour moi de peur que je ne
meure injustement, car lors de l’accusation, je préférerai me taire et perdre
la vie plutôt que déshonorer ainsi ma mère. » Le jeune homme est donc mandé
en justice : André l’y suit. La mère accuse positivement son fils d’avoir
voulu la violer. Interrogé plusieurs fois si la chose s’était ainsi passée, le
jeune homme ne répondit mot. André dit alors à cette mère « Ô la plus
cruelle des femmes, de vouloir la perte de ton fils unique pour satisfaire ta
débauche ! » La mère dit donc au juge : « Seigneur, voilà l’homme
auquel s’est attaché mon fils après qu’il eût tenté de consommer son crime,
sans pouvoir le commettre. » Alors le juge irrité condamna le jeune homme
à être mis en un sac enduit de poix et de bitume puis ensuite jeté dans la
rivière. Et il ordonna de garder en prison André, jusqu’à ce qu’il eût trouvé
un supplice pour le faire périr. Mais à la prière d’André, un tonnerre horrible
épouvanta les assistants, et un tremblement de terre les renversa tous, en même
temps que la femme, frappée de la foudre, était desséchée. Tous conjurèrent
alors l’Apôtre de ne pas les perdre. Il pria pour eux et le calme se fit. Le
juge crut ainsi que toute l'assistance.
(6) Adias,
Saint André, c. VI.
Comme
l’Apôtre était à Nicée, les habitants lui dirent que sur le chemin qui menait à
la ville, se trouvaient sept démons qui tuaient les passants(7).
L’Apôtre les fit venir sous la forme de chiens devant le peuple et leur commanda
d’aller où ils ne pourraient nuire à personne. Aussitôt ils disparurent. À
cette vue, ces hommes reçurent la foi de JÉSUS-CHRIST. En arrivant à la porte d’une
autre ville, l’Apôtre rencontra le convoi d’un jeune homme qu’on portait en
terre ; et comme il s’informait de l’accident, il lui fut dit que sept
chiens étaient venus et l’avaient fait mourir dans son lit. André se mit à
pleurer et dit : « Je sais bien, Seigneur, que c’est le fait des
démons que j’ai chassés de Nicée. » Et s’adressant au père : « Que
me donneras-tu, lui demanda-t-il, si je ressuscite ton fils ? »
« C’est tout ce que je possédais de plus cher au monde, répondit le père,
je te le donnerai. » L’Apôtre fit une prière et ressuscita l’enfant qui s’attacha
à lui.
(7) Abdias,
Saint André, c. VII.
Un jour, quarante hommes vinrent par mer trouver l’Apôtre, afin de
recevoir de lui la doctrine de la foi, mais le diable excita une tempête, qui
les engloutit tous. Leurs corps ayant été rejetés sur le rivage, furent portés
à l’Apôtre, et tout aussitôt ressuscités. Ils racontèrent tout ce qui leur
était arrivé.
De
là vient qu’on lit dans une des hymnes de son office : « Il rendit à
la vie quarante personnes que les flots avaient englouties. » Maître Jean
Beleth(8) dit en traitant de la fête de saint
André, qu’il avait le teint brun, la barbe épaisse et une petite taille.
(8) Rationale,
c. CLXIV,
Or saint André resta en Achaïe, y fonda de nombreuses églises et
convertit beaucoup de monde à la foi du CHRIST. Il instruisit même la femme du
proconsul Égée et la régénéra dans les eaux sacrées du baptême. À cette
nouvelle, Égée vient à Patras pour contraindre les chrétiens à sacrifier aux
idoles. André alla à sa rencontre et lui dit : « Il fallait que toi,
qui as l’honneur d’être ici-bas le juge des hommes, tu connusses et ensuite tu
honorasses ton juge qui est dans le Ciel, après avoir renoncé en ton cœur aux
faux dieux(9). » Égée lui répliqua : « C’est
toi qui es André : tu enseignes les dogmes de cette secte superstitieuse
que les empereurs romains viennent de prescrire d’exterminer. » « Les
empereurs romains, dit André, n’ont pas encore appris que le Fils de Dieu, en
venant sur la terre, a enseigné que les idoles sont des démons qui apprennent à
offenser Dieu en sorte, qu’offensé par les hommes, il détourne d’eux son
visage, qu’irrité contre eux, il ne les exauce point, et qu’en ne les exauçant
pas, ils sont les esclaves et le jouet du diable, jusqu’à ce que dépouillés de
tout en sortant de leur corps, ils n’emportent avec eux rien d'autre que leurs péchés. »
Égée : « Votre JÉSUS qui prêchait ces sottises a été attaché au gibet
de la Croix. André répartit : « C’est pour nous racheter et non pour
des crimes qu’il a bien voulu souffrir le supplice de la Croix. » Égée :
« Il a été livré par son disciple, pris par les Juifs et crucifié par les
soldats, comment donc peux-tu dire qu’il a souffert de plein gré le supplice de
la Croix ! » Alors André démontra par cinq raisons que JÉSUS-CHRIST
avait souffert parce qu’il l’avait voulu :
1° Il
a prévu et prédit sa Passion à ses disciples, lorsqu’il dit : « Voici
que nous allons à Jérusalem, etc.. »
2° Quand
saint Pierre voulut l’en détourner, il s’indigna fortement et lui dit :
« Va-t’en derrière moi Satan, etc.. »
3° Il
a clairement annoncé qu’il avait le pouvoir, et de souffrir et de ressusciter
tout à la fois, lorsqu’il dit : « J’ai la puissance de quitter la vie
et de la reprendre. »
4° Il
a connu d’avance celui qui le trahissait, lorsqu’il lui donna du pain trempé,
et cependant il ne se garda pas de lui.
5° Il
choisit l’endroit où il savait que devait venir le traître. Lui-même assura
avoir été témoin de chacun de ces faits. Il ajouta que c’était un grand mystère
que celui de la Croix.
(9) Abdias,
Saint André, c. XXVI.
Égée répondit : « On ne saurait appeler mystère ce qui fut un
supplice, cependant si tu n’obtempères pas à mes ordres, je te ferai passer par
l’épreuve du même mystère. » André : « Si j’étais épouvanté du
supplice de la croix, je n’en proclamerais point la gloire. Or, je veux t’apprendre
ce mystère de la Croix, peut-être qu’en le connaissant tu y croiras, tu l’adoreras
et tu seras sauvé. » Alors il commença à lui dévoiler le mystère de la
Rédemption et lui en prouva par cinq arguments la convenance et la
nécessité :
- Le
premier argument est que le premier homme ayant donné naissance à la mort par
le bois, il était convenable que le second homme détruisît la mort en souffrant
sur le bois.
- Le
second, que le prévaricateur ayant été formé d’une terre immaculée, il était
juste que le réconciliateur naquit d’une vierge immaculée.
- Le
troisième, que Adam ayant étendu la main avec intempérance vers le fruit
défendu, il seyait que le second Adam étendît sur la Croix ses mains
immaculées.
- Le
quatrième, que Adam ayant goûté de l’arbre défendu un fruit agréable, il était
convenable que le CHRIST, lorsqu’il fut abreuvé de fiel, détruisît le contraire
par son contraire.
- Le cinquième est que, pour nous conférer son immortalité, il
importait que le CHRIST prît avec Lui notre mortalité : car si Dieu ne s’était
fait mortel, l’homme ne fût pas devenu immortel.
Alors
Égée dit : « Va conter aux tiens ces rêveries, et obéis-moi en sacrifiant
aux dieux tout-puissants. » « Chaque jour, répondit André, j’offre au
Dieu tout-puissant l’Agneau sans tache, et quand il a été mangé par tout le
peuple, cet Agneau reste vivant et entier. » Égée demandant comment cela
pouvait-il se faire, André lui répondit de se mettre au nombre des disciples.
Égée répliqua : « Avec des tourments, je saurai bien te faire
expliquer la chose. » Et tout en colère, il le fit enfermer dans une
prison. Le matin étant venu, il s’assit sur son tribunal et de nouveau il l’exhorta
à sacrifier aux idoles. « Si tu ne m’obéis, lui dit-il, je te ferai
suspendre à cette croix que tu as glorifiée. » Et comme il le menaçait de
nombreux tourments, André répondit : « Invente tout ce qui te
paraîtra de plus cruel en fait de supplice. Plus je serai constant à souffrir
dans les tourments pour le Nom de mon Roi, plus je lui serai agréable. Alors
Égée le fit fouetter par vingt hommes, et le fit lier ensuite à une croix par
les mains et par les pieds afin qu’il souffrît plus longtemps. Et comme il
était conduit à la croix, il se fit un grand concours du peuple qui disait :
« Il est innocent et condamné sans preuves à verser son sang. »
Cependant, l’Apôtre pria cette foule de ne point s’opposer à son martyre. Et
quand André aperçut la croix de loin, il la salua en disant :
« Salut, ô Croix consacrée par le Sang de JÉSUS-CHRIST, et décorée par chacun
de ses membres comme avec des pierres précieuses. Avant que le Seigneur eût été
élevé sur toi, tu étais un sujet d’effroi pour la terre ; maintenant, en
procurant l’Amour du Ciel, tu es l’objet de tous les désirs. Plein de sincérité
et de joie, je viens à toi afin de te procurer la joie de recevoir en moi un
disciple de celui qui a été pendu sur toi. En effet, toujours je t’ai aimée et
ai désiré t’embrasser. Ô bonne Croix, ! qui as reçu gloire et beauté des
membres du Seigneur. Toi que j’ai longtemps désirée, que j’ai aimée avec
sollicitude, que j’ai recherchée sans relâche et qui enfin es préparée à mon
âme désireuse, reçois-moi du milieu des hommes, et rends-moi à mon Maître afin
qu’il me reçoive par toi, lui qui par toi m’a racheté. » En disant ces
mots, il se dépouilla de ses vêtements qu’il donna aux bourreaux. Alors ceux-ci
le suspendirent à la croix, comme il leur avait été prescrit. Pendant deux
jours qu’il y vécût, il prêcha à vingt mille hommes qui l’entouraient. Cette
foule menaçait Égée de le faire mourir, en disant qu’un saint doux et pieux ne
devait pas ainsi périr ; Égée vint pour le délivrer. À sa vue André lui
dit : « Pourquoi viens-tu vers nous ? Si c’est pour demander
pardon, tu l’obtiendras ; mais si c’est pour me détacher, sache que je ne
descendrai pas vivant de la croix. Déjà, en effet, je vois mon Roi qui m’attend. »
Et, comme on voulait le délier, on ne put y parvenir, parce que les bras de
ceux qui essayaient de le faire devenaient paralysés. Pour André, comme il
voyait que le peuple le voulait délivrer, il fit cette prière sur la croix,
comme le rapporte saint Augustin en son livre de la Pénitence. « Ne
permettez pas, Seigneur, que je descende vivant, il est temps que vous confiiez
mon corps à la terre, car tant que je l’ai porté, tant j’ai veillé à sa garde,
j’ai travaillé à vouloir être délivré de ce soin, et à être dépouillé de ce
très épais vêtement. Je sais combien je l’ai trouvé lourd à porter, redoutable
à vaincre, paresseux à enflammer et prompt à faiblir. Vous savez, Seigneur,
combien il était porté à m’arracher aux pures contemplations, combien il s’efforçait
de me tirer du sommeil de votre charmant repos. Toutes et quantes fois il me
fit souffrir de douleur. Chaque fois que je l’ai pu, Père débonnaire, j’ai
résisté en combattant et j’ai vaincu avec votre aide. C’est à vous, juste et
pieux rémunérateur, que je demande de ne plus me confier à ce corps, mais, je
vous rends ce dépôt. Confiez-le à un autre, et ne m’opposez plus par lui d’obstacles.
Qu’il soit conservé et rendu à la résurrection, afin que vous retiriez honneur
de ses œuvres. Confiez-le à la terre afin de ne plus veiller, afin qu’il ne m’empêche
pas de tendre avec ardeur et librement vers vous qui êtes la source d’une vie
de joie intarissable. » (Saint Augustin, De vexa et falsa poenit.,
c. VIII). Après ces paroles, une lumière éclatante venue du ciel l’entoura
pendant une demi-heure, en sorte que personne ne pouvait fixer sur lui les yeux ,
et, cette lumière disparaissant, il rendit en même temps l’esprit. Maximilla, l’épouse
d’Égée, prit le corps du saint Apôtre et l’ensevelit avec honneur(10).
Quant à Égée, avant d’être rentré dans sa maison, il fut saisi par le démon, et
à la vue de tous il expira sur le chemin. On dit(11) que
du tombeau de saint André découle une manne semblable à de la farine et une
huile odoriférante. Les habitants du pays en tirent un présage pour la récolte,
car si ce qui coule est en petite quantité, la récolte sera peu considérable, s’il
en coule beaucoup, elle sera abondante. Peut-être qu’il en a été ainsi autrefois,
mais aujourd’hui on prétend que son corps a été transporté à Constantinople.
(10) Bréviaire
romain.
(11) Saint
Grégoire de Tours, ubi supra.
Un évêque, qui menait une vie sainte, avait une vénération particulière
pour saint André, en sorte qu’à chacun de ses ouvrages, il mettait en tête :
« À l’honneur de Dieu et de saint André. » Or, jaloux de la sainteté
de ce personnage, l’antique ennemi, pour le séduire, après avoir employé toutes
sortes de ruses, prit la forme d’une femme merveilleusement belle. Elle vint au
palais de l’évêque sous prétexte de vouloir se confesser à lui. Sur l’ordre de
l’évêque de l’adresser à son pénitencier qui avait tous ses pouvoirs, elle
répondit qu’elle ne révélera à nul autre qu’à lui les secrets de sa conscience.
Le Prélat touché la fait entrer. « Je vous en conjure, Seigneur, lui
dit-elle, ayez pitié de moi, car jeune encore, ainsi que vous le voyez, élevée
dans les délices dès mon enfance, issue même de race royale, je suis venue
seule ici sous l’habit des pèlerins. Le roi mon père, prince très puissant,
voulant me marier à un grand personnage, je lui ai répondu que j’avais en
horreur le lien du mariage, puisque j’ai consacré ma virginité pour toujours à JÉSUS-CHRIST
et, qu’en conséquence, je ne pourrais jamais consentir à la perdre. Pressée d’obéir
à ses ordres ou de subir sur la terre différents supplices, je pris secrètement
la fuite, préférant m’exiler que de violer la foi jurée à mon époux. La
renommée de votre sainteté étant parvenue à mes oreilles, je me suis réfugiée
sous les ailes de votre protection, dans l’espoir de trouver auprès de vous un
lieu de repos où je puisse jouir en secret des douceurs de la contemplation, me
sauver des naufrages de la vie présente, enfuir le bruit et les agitations du
monde. » Plein d’admiration pour la noblesse de sa race, la beauté de sa
personne, sa grande ferveur, et l’élégance remarquable de ses paroles, l’évêque
lui répondit avec bonté et douceur : « Soyez tranquille, ma fille, ne
craignez point, car celui pour l’amour duquel vous avez méprisé avec tant de
courage et vous-même, et vos parents et vos biens, vous accordera, pour ce
sacrifice, le comble de la grâce en cette vie et la plénitude de la gloire en l’autre.
Aussi moi qui suis son serviteur, je m’offre à vous avec ce qui m’appartient :
choisissez l’appartement qu’il vous plaira, et je veux qu’aujourd’hui vous
mangiez avec moi. » « Veuillez, ah ! veuillez, dit-elle, mon
Père, ne pas exiger cela de moi, de peur d’éveiller quelque mauvais soupçon et
de porter quelque atteinte à l’éclat de votre réputation. » « Nous
serons plusieurs, lui répondit l’évêque, nous ne serons pas seuls, et ainsi il
n’y aura pas lieu de fournir en quoi que ce soit l’apparence à mauvais
soupçon. » Les convives se mirent à table, l’évêque se plaça en face de la
dame et les autres de l’un et de l’autre côté. L’évêque eut beaucoup d’attention
pour cette femme, il ne cessa de la regarder et d’en admirer la beauté. Pendant
qu’il a les yeux fixés ainsi, son âme est atteinte, et tandis qu’il ne cesse de
la regarder, l’antique ennemi lance contre son cœur une flèche acérée. Le
Diable, qui tenait compte de tout, se mit à augmenter de plus en plus sa
beauté. Déjà l’évêque était sur le point de donner son consentement à la
tentation de commettre avec cette personne une action criminelle dès que la
possibilité s’en présenterait, quand, tout à coup, un pèlerin vient heurter à
la porte avec violence, demandant à grands cris qu’on lui ouvre. Comme on s’y
refusait et que le pèlerin devenait importun par ses clameurs et ses coups
répétés, l’évêque demande à la femme si elle voulait recevoir ce pèlerin.
« Qu’on lui propose, dit-elle, quelque question difficile, s’il sait la
résoudre, qu’on l’introduise, s’il ne le peut, qu’on l’éloigne comme un
ignorant, et comme une personne indigne de paraître devant l’évêque. » On
applaudit à la proposition, et l’on se demande qui sera capable de poser la
question. Et comme on ne trouvait personne : « Quelle autre, madame,
reprit l’évêque, peut mieux poser la question que vous qui l’emportez sur nous
autres en éloquence et dont la sagesse brille au-dessus de la nôtre à tous ?
Proposez donc vous-même une question. » « Qu’on lui demande,
dit-elle, ce que Dieu a fait de plus merveilleux dans une petite chose. »
Le pèlerin auquel un messager porta la question répondit : « C’est la
variété et l’excellence du visage. Parmi tant d’hommes qui ont existé depuis le
commencement du monde, et qui existeront dans l’avenir, on n’en saurait
rencontrer deux dont les visages soient semblables en tout point, et cependant,
dans une si petite figure, Dieu a placé tous les sens du corps. » En
entendant cette réponse on s’écria avec admiration : « C’est vraiment
une excellente solution à la demande. » Alors la dame dit : « Qu’on
lui en propose une seconde plus difficile qui mette sa science à meilleure
épreuve : « Qu’on lui demande où la terre est plus haute que le ciel
tout entier. » Le pèlerin interrogé répondit : « Dans le Ciel
empyrée, où réside le corps de JÉSUS-CHRIST. Le corps du CHRIST en effet, qui
est plus élevé que tout le ciel, est formé de notre chair, or notre chair est
une portion de la substance de la terre : comme donc le corps du CHRIST
est au-dessus de tous les cieux, et qu’il tire son origine de notre chair, que
notre chair est formée de la terre, il est donc constant que là où le corps de JÉSUS-CHRIST
réside, là certainement la terre est plus élevée que le ciel. » L’envoyé
rapporte la réponse du pèlerin, et tous d’approuver cette solution merveilleuse
et d’en louer hautement la sagesse. Alors la femme dit encore : « Qu’on
lui pose de nouveau une troisième question très grave, compliquée, difficile à
résoudre, obscure, afin que, pour la troisième fois, il soit prouvé qu’il est
digne à juste titre d’être admis à la table de l’évêque. Demandez-lui quelle
distance il y a de la terre au Ciel. » Le pèlerin répondit à l’envoyé qui
lui portait la question : « Allez le demander à celui-là même qui a
posé la demande. Il le sait certainement et il pourra répondre mieux que je ne
le ferais , car lui-même a mesuré cette distance, quand du ciel il est
tombé dans l’abîme. Pour moi je ne suis jamais tombé du ciel et n’ai jamais
mesuré cet espace. Car ce n’est pas une femme, mais le diable qui s’est caché
sous la ressemblance d’une femme. » À ces paroles, le messager fut pâmé,
et répéta devant tous les convives ce qu’il avait entendu. Tandis que l’étonnement
et la stupeur ont saisi les convives, le vieil ennemi a disparu. L’évêque,
rentrant en lui-même, se reprochait amèrement sa conduite et demandait avec
lamentations le pardon de la faute qu’il avait commise. Il envoya aussitôt pour
qu’on introduisît le pèlerin, mais on ne le trouva plus. L’évêque convoqua le
peuple, lui exposa de point en point ce qui s’était passé, et commanda des
jeûnes et des prières pour que le Seigneur daignât révéler quel était ce
pèlerin qui l’avait sauvé de si grand péril. Et cette nuit-là même, il fut
révélé à l’évêque que c’était saint André qui, pour le délivrer, avait pris l’extérieur
d’un pèlerin. L’évêque redoubla de dévotion envers le saint Apôtre et il ne
cessa de donner des preuves de sa vénération pour lui.
Le prévôt d’une ville(12) s’était emparé d’un
champ de saint André, et par les prières de l’évêque, il en fut puni de très
fortes fièvres. Il alla trouver le prélat, le conjurant d’intercéder en sa
faveur et lui promit de restituer le champ. Mais après sa guérison obtenue par
l’intercession du pontife, il reprit une seconde fois la terre. Alors l’évêque
se mit en prières et brisa toutes les lampes de l’église, en disant :
« Qu’on n’allume plus ces lumières, jusqu’à ce que le Seigneur se venge
lui-même de son ennemi, et que l’église recouvre ce qu’elle a perdu. » Et
voilà que le prévôt eut encore de très fortes fièvres. Il envoya alors demander
à l’évêque de prier pour lui, l’assurant qu’il rendrait son champ, et en
surplus un autre de la même valeur. Comme l’évêque lui faisait répondre
toujours : « J’ai déjà prié, et Dieu m’a exaucé », le prévôt se
fit porter chez le prélat et le força d’entrer dans l’église pour prier. À l’instant
où l’évêque entre dans l’église, le prévôt meurt subitement et le champ est
restitué à l’église.
(12) D’après
saint Grégoire de Tours, De gloria martyrum, l. I, c.
LXXIX, cet homme était Gomacharus, comte de la ville d’Agde, vers la fin du VIe
siècle.
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