LA VIE DE L’APÔTRE SAINT JACQUES (LE MAJEUR)*
Cet Apôtre fut appelé Jacques, fils de Zébédée, Jacques, frère de Jean, Boanerguès,
c'est-à-dire fils du tonnerre, et Jacques le Majeur. On appelle Jacques, fils
de Zébédée, non pas seulement parce qu'il fut son fils selon la chair, mais
pour faire comprendre son nom. Zébédée signifie donnant ou donné, et saint
Jacques se donna lui-même à JÉSUS-CHRIST par sa mort qui fut un martyre, et il
a été donné de Dieu pour être notre patron(1) spirituel.
On l’appelle Jacques, frère de Jean, parce qu'il fut son frère, et selon la
chair, et selon la ressemblance de la conduite. Tous les deux en effet eurent
le même zèle, le même désir de savoir, et firent les mêmes souhaits. Ils eurent
le même zèle pour venger le Seigneur, en effet comme les Samaritains ne
voulaient pas recevoir JÉSUS-CHRIST, Jacques et Jean dirent : « Voulez-vous
que nous commandions que le feu du ciel descende et qu'il consume ces gens-là ? »
Ils eurent le même goût pour apprendre : ce furent eux principalement qui
interrogèrent JÉSUS-CHRIST au sujet du jour du Jugement et des autres choses à
venir. Ils firent les mêmes souhaits, car tous les deux voulurent avoir leur
place pour s'asseoir l’un à la droite et l’autre à la gauche de JÉSUS-CHRIST.
On l’appelle fils du tonnerre, en raison du bruit que faisaient ses
prédications, parce qu'il effrayait les méchants, il excitait les paresseux, et
il s'attirait l’admiration générale par la profondeur de ses paroles. II en fut
de lui comme de saint Jean, dont Bède dit : « Il a retenti si haut
que s'il eût retenti un peu plus, le monde entier n'aurait pu le
contenir. » On l’appelle Jacques le Majeur comme l’autre est appelé le
Mineur :
1° en raison de vocation ; car il fut appelé le premier par JÉSUS-CHRIST,
2° en raison de familiarité ; car JÉSUS-CHRIST parait avoir
été plus familier avec lui qu'avec l’autre ; on en a la certitude, puisque
le Sauveur l’admettait dans ses secrets ainsi il l’admit à la résurrection de
la jeune fille, et à sa glorieuse Transfiguration,
3° en raison de sa passion ; car ce fut le premier des Apôtres
qui souffrit le martyre. De même qu'on l’appelle majeur pour avoir été le
premier à l’honneur de l’apostolat, de même on peut l’appeler majeur pour avoir
été appelé le premier à la gloire de l’éternité.
Saint Jacques, Apôtre, fils de
Zébédée, après l’Ascension du Seigneur, prêcha en Judée et dans le pays de
Samarie. Il vint enfin en Espagne pour y semer la parole de Dieu, mais comme il
voyait que ses paroles ne profitaient pas, et qu'il n'y avait gagné que neuf
disciples, il en laissa deux seulement pour prêcher dans le pays, et il revint
avec les autres en Judée. Cependant, maître Jean Beleth dit qu'il ne convertit
qu'un seul homme en Espagne. Pendant qu'il prêchait en Judée la Parole de Dieu,
un magicien nommé Hermogène, d'accord avec les Pharisiens, envoya à saint
Jacques un de ses disciples nommé Philétus, pour prouver à l’Apôtre que ce
qu'il annonçait était faux. Mais l’Apôtre l’ayant convaincu devant une foule de
personnes par des preuves évidentes, et opéré en sa présence de nombreux
miracles, Philétus revint trouver Hermogène en justifiant la doctrine de saint
Jacques : il raconta en outre les miracles opérés par le saint, déclara
vouloir devenir son disciple, et l’exhorta lui-même à l’imiter. Mais Hermogène
en colère, le rendit tellement immobile par sa magie qu'il ne pouvait remuer un
seul membre : « Nous verrons, dit-il, si ton Jacques te
déliera. » Philétus informa Jacques de cela par son valet, l’Apôtre lui
envoya son suaire et dit : « Qu'il prenne ce suaire et qu'il dise :
« Le Seigneur relève ceux qui sont abattus, il délie ceux qui sont
enchaînés (Ps. CXLV). »
(1) Le lecteur se rappelle que l’auteur s'appelle Jacques.
Et
aussitôt qu'on eut touché Philétus avec le suaire, il fut délié de ses chaînes,
se moqua des sortilèges d'Hermogène et se hâta d'aller trouver saint Jacques.
Hermogène irrité convoqua les démons, et leur ordonna de lui amener Jacques
garrotté avec Philétus, afin de se venger d'eux et qu'à l’avenir les disciples
de l’Apôtre n'eussent plus l’audace de l’insulter. Or, les démons qui vinrent
vers Jacques se mirent à hurler dans l’air en disant : « Jacques, Apôtre,
ayez pitié de nous car nous brûlons dès avant que notre temps soit venu. »
Saint Jacques leur dit : « Pourquoi êtes-vous venus vers moi ? »
Ils répondirent : « C'est Hermogène qui nous a envoyés pour vous
amener à lui, avec Philétus ; mais à peine nous dirigions-nous vers vous
que l’ange de Dieu nous a liés avec des chaînes de feu et nous a beaucoup
tourmentés. » « Que l’ange du Seigneur vous délie, reprit l’Apôtre ;
retournez à Hermogène et amenez-le moi garrotté, mais sans lui faire de
mal. » Ils s'en allèrent donc prendre Hermogène, lui lièrent les mains
derrière le dos et l’amenèrent ainsi garrotté à saint Jacques, en disant :
« Où tu nous as envoyés, nous avons été brûlés et horriblement
tourmentés. » Et les démons dirent à saint Jacques : « Mettez-le
sous notre puissance, afin que nous nous vengions des injures que vous avez
reçues et du feu qui nous a brûlés. Saint Jacques leur dit : « Voici
Philétus devant vous, pourquoi ne le tenez-vous pas ? » Les démons
répondirent : « Nous ne pouvons même pas toucher de la main une fourmi
qui est dans votre chambre. » Saint Jacques dit alors à Philétus :
« Afin de rendre le bien pour le mal, selon ce que JÉSUS-CHRIST nous a
enseigné, Hermogéne vous a liés ; vous, déliez-le ! » Hermogène
libre resta confus et saint Jacques lui dit : « Va librement où tu
voudras, car nous n'avons pas pour principe de convertir quelqu'un malgré lui. »
Hermogène répondit : « Je connais trop la rage des démons : Si
vous ne me donnez un objet que je porte avec moi, ils me tueront. » Saint
Jacques lui donna son bâton, alors Hermogène alla chercher tous ses livres de
magie et les apporta à l’Apôtre pour que celui-ci les brûlât. Mais saint
Jacques, de peur que l’odeur de ce feu n'incommodât ceux qui n'étaient point
sur leur garde, lui ordonna de jeter les livres dans la mer. Hermogène, à son
retour, se prosterna aux pieds de l’Apôtre et lui dit : « Libérateur
des âmes, accueillez un pénitent que vous avez épargné jusqu'ici, quoique
envieux et calomniateur. » Dès lors, il vécut dans la crainte de Dieu, au
point qu'il opéra une foule de prodiges. Alors les Juifs, transportés de colère
en voyant Hermogène converti, vinrent trouver saint Jacques et lui reprochèrent
de prêcher Jésus crucifié. Mais il leur prouva avec évidence par les Écritures
la venue du Christ et sa Passion, et plusieurs crurent.
Or,
Abiathar, qui était grand-prêtre cette année-là, excita une sédition parmi le
peuple ; il fit conduire à Hérode Agrippa l’Apôtre, une corde au cou. Le
prince ordonna de décapiter saint Jacques, et un paralytique couché sur le
chemin lui cria de le guérir : Saint Jacques lui dit : « Au Nom
de JÉSUS-CHRIST pour la foi duquel on va me couper la tête, lève-toi guéri, et
bénis ton Créateur. » À l’instant il se leva guéri et bénit le Seigneur.
Or, un scribe appelé Josias, qui avait mis la corde au cou de l’Apôtre et qui
le tirait, à la vue de ce miracle, se jeta à ses pieds, lui adressa des excuses
et demanda à se faire chrétien. Abiathar à cette vue le fit empoigner et lui
dit : « Si tu ne maudis le Nom du Christ, tu seras décapité en même
temps que Jacques. » Josias reprit : « Maudit sois-tu toi-même,
maudites soient tes années, mais que le Nom du Seigneur JÉSUS-CHRIST soit béni
dans les siècles. » Alors Abiathar lui fit frapper la bouche à coups de
poing et envoya demander à Hérode(2) l’autorisation de le décapiter avec
Jacques. Tous les deux allaient être décapités quand saint Jacques demanda au
bourreau un vase plein d'eau, et baptisa Josias immédiatement. L'un et l’autre
consommèrent leur martyre, un instant après, en ayant la tête tranchée et
enseveli le 3 des calendes de janvier(3), parce que la construction de son tombeau dura d'août à
janvier. L'Église établit qu'on célébrerait universellement sa fête au 8 des
calendes d'août, qui est un temps plus convenable. Or, après que saint Jacques
eut été décollé, ainsi que le rapporte Jean Beleth qui a écrit avec soin l’histoire
de cette translation(4), ses disciples enlevèrent son corps pendant la nuit par
crainte des Juifs, le mirent sur un vaisseau, et, abandonnant à la divine
Providence le soin de sa sépulture, ils montèrent sur ce navire dépourvu de
gouvernail ; sous la conduite de l’ange de Dieu, ils abordèrent en Galice,
au royaume de Louve. Il y avait alors en Espagne une reine qui portait
réellement ce nom et qui le méritait. Les disciples déchargèrent le corps, et
le posèrent sur une pierre énorme qui, en se fondant comme de la cire sous le
corps, se façonna merveilleusement en sarcophage. Les disciples vinrent dire à
Louve : « Le Seigneur JÉSUS-CHRIST t’envoie le corps de son disciple,
afin que tu reçoives mort celui que tu n'as pas voulu recevoir vivant. »
Ils lui racontèrent alors le miracle par lequel il avait abordé en son pays
sans gouvernail, et lui demandèrent un lieu convenable pour sa sépulture. La
reine entendant cela, toujours selon Jean Beleth, les adressa, par supercherie,
à un homme très cruel, ou bien, d'après d'autres auteurs, au roi d'Espagne,
afin d'obtenir là-dessus son consentement, mais ce roi les fit mettre en
prison. Or, pendant qu'il était à table, l’ange du Seigneur ouvrit la prison et
les laissa s'en aller en liberté. Quand le roi l’eut appris, il envoya à la
hâte des soldats pour les ressaisir. Un pont sur lequel passaient les soldats
vint à s'écrouler, et tous furent noyés dans le fleuve. À cette nouvelle, le
roi, qui regrettait ce qu'il avait fait et qui craignait pour lui et pour les
siens, envoya prier les disciples de revenir chez lui et leur permit de lui
demander tout ce qu'ils voudraient. Ils revinrent donc et convertirent à la Foi
tout le peuple de la cité. Louve fut très chagrinée en apprenant ces faits, et
quand les disciples la vinrent trouver pour lui présenter l’autorisation du
roi, elle répondit : « Je savais que ces bœufs étaient des taureaux
indomptés et sauvages. » C'est pour cela qu'elle pensa qu'on ne pourrait
ni les réunir, ni les atteler, ou bien que si on pouvait les accoupler, ils
courraient çà et là, briseraient le char, renverseraient le corps et tueraient
les conducteurs eux-mêmes. Mais il n'y a point de sagesse contre Dieu (Prov.,
XXI).
Saint Jacques fut décollé le 8
des calendes d'avril(25 mars), le jour de l’Annonciation du
Seigneur ; son corps fut transporté à Compostelle, le 8 des calendes
d'août(25 juillet).
(2) Ou bien, selon une autre
version, le fit décapiter sans en demander l’autorisation à Hérode.
(3) 30 décembre.
(4) On peut voir, dans le transept sud de la cathédrale
d'Amiens, des hauts reliefs reproduisant ce récit.
Or, elle
parlait en louve car elle dit : « Prenez mes bœufs qui sont en tel
endroit ou sur la montagne, attelez-les à un char, portez le corps de votre
maître puis, dans le lieu qu'il vous plaira, bâtissez à votre goût. »
Ceux-ci, ne soupçonnant pas malice, gravissent la montagne où ils rencontrent
un dragon qui respirait du feu ; il allait arriver sur eux, quand ils
firent le signe de la Croix pour se défendre et coupèrent ce dragon par le milieu
du ventre. Ils firent aussi le signe de la Croix sur les taureaux qui,
instantanément, deviennent doux comme des agneaux. On les attelle, et on met
sur le char le corps de saint Jacques avec la pierre sur laquelle il avait été
déposé. Les bœufs alors, sans que personne les dirigeât, amenèrent le corps au
milieu du palais de Louve qui, à cette vue, resta stupéfaite. Elle crut et se
fit chrétienne. Tout ce que les disciples demandèrent, elle le leur accorda ;
elle dédia en l’honneur de saint Jacques son palais pour en faire une église
qu'elle dota magnifiquement ; puis elle finit sa vie dans la pratique des
bonnes œuvres.
- Le
pape Calixte dit qu'un homme du diocèse de Modène, nommé Bernard, était captif
et enchaîné au fond d'une tour, il invoquait constamment saint Jacques. Le
saint lui apparut : « Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice »,
puis il brisa ses chaînes et disparut. Alors le prisonnier suspendit ses
chaînes à son cou, monta en haut de la tour d'où il ne fit qu'un saut sans se
blesser, bien que la tour eût soixante coudées de hauteur.
- Un
homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un péché énorme ; or,
l’évêque, peu rassuré en l’absolvant en confession, envoya cet homme à
Saint-Jacques en lui donnant une cédule sur laquelle ce péché avait été écrit.
Le pèlerin posa, le jour de la fête du saint, la cédule sur l’autel et pria
saint Jacques de lui remettre le péché par ses mérites, après quoi il ouvrit la
cédule et trouva tout effacé. Il rendit grâce à Dieu et à saint Jacques et
raconta publiquement le fait à tout le monde.
- Trente
hommes de Lorraine, au rapport de Hubert de Besançon, allèrent vers l’an 1080 à
Saint-Jacques, et se donnèrent l’un à l’autre, un seul excepté, la promesse de
s'entraider. Or, l’un d'eux étant tombé malade, ses compagnons l’attendirent
pendant 15 jours, mais tous l’abandonnent à l’exception de celui-là seul
qui ne s'était pas engagé. Il le garda au pied du mont Saint-Michel, mais sur
le soir le malade mourut. Or, le survivant eut une grande peur occasionnée par
la solitude de l’endroit, par la présence du cadavre, par la nuit qui menaçait
d'être noire, enfin par la férocité des barbares du pays ; à l’instant
saint Jacques lui apparut sous la figure d'un chevalier et le consola en disant :
« Donne-moi ce mort, et toi, monte derrière moi sur le cheval. » Ce
fut ainsi que, cette nuit-là avant le lever du soleil, ils firent quinze
journées de chemin et arrivèrent à Montjoie qui n'est qu'à une demi-lieue de
Saint-Jacques. Là, le saint les mit à terre et commanda de convoquer les
chanoines de Saint-Jacques pour ensevelir le pèlerin qui était mort, et de dire
à ses compagnons, que, pour avoir manqué à leur promesse, leur pèlerinage ne
vaudrait rien. Le pèlerin accomplit ces ordres, et ses compagnons furent très
saisis, et pour le chemin qu'il avait fait, et des paroles qu'il leur rapporta
avoir été dites par saint Jacques.
- D'après
le pape Calixte, un Allemand allant avec son fils à Saint-Jacques, vers l’an du
Seigneur 1090, s'arrêta pour loger à Toulouse chez un hôte qui l’enivra et
cacha une coupe d'argent dans sa malle. Quand ils furent partis le lendemain,
l’hôte les poursuivit comme des voleurs et leur reprocha d'avoir volé sa coupe
d'argent. Comme il leur disait qu'il les fît punir s'il pouvait trouver la
coupe sur eux, on ouvrit leur malle et on trouva l’objet ; on les traîna
de suite chez le juge. Il y eut un jugement qui prononçait que tout leur avoir
fût adjugé à l’hôte, et que l’un des deux serait pendu. Mais comme le père
voulait mourir à la place du fils et le fils à la place du père, le fils fut
pendu et le père continua, tout chagrin, sa route vers Saint-Jacques.
Or,
vingt-six jours après, il revint, s'arrêta auprès du corps de son fils et il
poussait des cris lamentables, quand voici que le fils attaché à la potence se
mit à le consoler en disant : « Très doux père, ne pleure pas, car je
n'ai jamais été si bien ; jusqu'à ce jour saint Jacques m’a sustenté, et
il me restaure d'une douceur céleste. » En entendant cela, le père courut
à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pèlerin qui était sain et sauf,
et pendit l’hôte.
- Hugues
de Saint-Victor raconte qu'un pèlerin allait à Saint-Jacques quand le démon lui
apparut sous la figure de ce saint et, lui rappelant toutes les misères de la
vie présente, il ajouta qu'il serait heureux s'il se tuait en son honneur. Le
pèlerin saisit une épée et se tua tout aussitôt. Et comme celui chez lequel il
avait reçu l’hospitalité passait pour suspect et craignait beaucoup de mourir,
voilà qu'à l’instant le mort ressuscite et dit qu'au moment où le démon, à la
persuasion duquel il s'était donné la mort, le conduisait au supplice, le
bienheureux Jacques était venu, l’avait arraché des mains du démon et l’avait
mené au trône du souverain juge ; et là, malgré les accusations du démon,
il avait obtenu d'être rendu à la vie.
- Un
jeune homme du territoire de Lyon, selon le récit de Hugues, abbé de Cluny,
avait coutume d'aller souvent à Saint-Jacques avec dévotion. Une fois qu'il y
voulait aller, il tomba, cette nuit-là même, dans le péché de fornication. Il
partit donc, et une nuit, le diable lui apparut sous la figure de saint Jacques
et lui dit : « Sais-tu qui je suis ? » Le jeune homme lui
demanda qui il était, et le diable lui dit : « Je suis l’Apôtre
Jacques que tu as coutume de visiter chaque année. Tu sauras que je me
réjouissais beaucoup de ta dévotion, mais dernièrement, en sortant de ta
maison, tu as commis une fornication et sans t'être confessé, tu as eu la
présomption de t'approcher de moi, comme si ton pèlerinage pût plaire à Dieu et
à moi. Cela n'est pas convenable, car quiconque désire venir à moi en
pèlerinage doit d'abord s'accuser de ses péchés en confession, et ensuite faire
le pèlerinage pour expier ses péchés. » Après avoir dit ces mots, le démon
disparut. Alors le jeune homme tourmenté se disposait à revenir chez lui, à se
confesser, et ensuite à recommencer son voyage. Et voici que le diable lui
apparaissant de nouveau, sous la figure de l’Apôtre, le dissuada complètement
de son projet, en l’assurant que jamais son péché ne lui serait remis, s'il ne
se coupait radicalement les membres qui servent à la génération, qu'au reste il
serait plus heureux, s'il voulait se tuer et être martyr en son honneur et nom.
Pendant la nuit, et quand ses compagnons dormaient, le jeune homme prit une
épée, se coupa les membres de la génération, ensuite il se perça le ventre avec
le même instrument. Ses compagnons à leur réveil, voyant cela, eurent grande
peur, et prirent aussitôt la fuite de crainte de passer pour coupables de cet
homicide. Néanmoins, pendant qu'on préparait sa fosse, celui qui était mort
revint à la vie. Tout le monde s'enfuit épouvanté, et le pèlerin raconta ainsi
ce qui lui était arrivé : « Quand je me fus tué à la suggestion du
malin esprit, les démons me prirent et ils me conduisaient vers Rome, quand
voici saint Jacques qui accourut après nous, en reprochant vivement ces
tromperies aux démons. Et après s'être disputés longtemps, saint Jacques les y
forçant, nous vînmes dans un pré la sainte Vierge s'entretenir avec un grand
nombre de saints : « Jacques t'ayant implorée pour moi. », la
sainte Vierge adressa des reproches sévères aux démons et ordonna que je
revinsse à la vie. Alors saint Jacques me prit et me ressuscita, comme vous
voyez. » Et trois jours après il ne lui restait de ses blessures que des
cicatrices, après quoi il se remit en route, et, quand il eut rejoint ses
compagnons, il leur raconta tout ce qui s'était passé.
- Un
Français, ainsi que le raconte le pape Calixte, allait, en l’an 1100, avec sa
femme et ses fils à Saint-Jacques, tant pour éviter la mortalité sévissant en
France, que pour accomplir le désir de visiter saint Jacques. Arrivés à
Pampelune, sa femme mourut, et son hôte s'empara de tout son argent et du
cheval qui servait de monture à ses enfants. Il s'en alla désolé portant
plusieurs de ses enfants sur ses épaules, et menant les autres par la main. Un
homme avec un âne le rencontra et, touché de compassion, il lui prêta son âne,
afin que les enfants montassent dessus. Quand le pèlerin fut arrivé à
Saint-Jacques, pendant qu'il veillait et priait, le saint Apôtre lui apparut et
lui demanda s'il le connaissait, et il répondit que non. Alors le saint lui dit :
« Je suis l’Apôtre Jacques qui t'ai prêté mon âne et je te le prête encore
pour ton retour, mais tu sauras d'avance que ton hôte mourra en tombant de
l’étage de sa maison ; tu recouvreras alors tout ce qu'il t'avait
volé. » Les choses étant arrivées ainsi, cet homme revint joyeux à sa
maison, et, quand il eut descendu ses enfants de dessus l’âne, cet animal
disparut.
- Un
marchand, injustement dépouillé par un tyran, était détenu en prison, et
invoquait saint Jacques à son secours. Saint Jacques lui apparut en présence de
ses gardes et le conduisit jusqu'en haut de la tour qui s'abaissa aussitôt, de
telle sorte que le sommet était au niveau de la terre ; il en descendit
sans faire un saut et s'en alla délivré. Les gardes qui le poursuivaient
passèrent auprès de lui, sans le voir.
- Hubert de Besançon
raconte que trois militaires, du diocèse de Lyon, allaient à Saint-Jacques.
L'un d'eux, à la prière d'une pauvre femme qui le lui avait demandé pour
l’amour de saint Jacques, portait sur son cheval un petit sac qu'elle lui avait
confié, il rencontra un homme malade qui n'avait plus la force de continuer sa
route, il le mit encore sur son cheval, quant à lui, il portait le bâton du
malade avec le sac de la femme en suivant l’animal, mais la chaleur du soleil
et la fatigue du chemin l’ayant accablé, à son arrivée en Galice, il tomba très
gravement malade, et, comme ses compagnons l’intéressaient au salut de son âme,
il resta muet pendant trois jours, mais au quatrième, alors que ses compagnons
attendaient le moment de son trépas, il poussa un long soupir et dit :
« Grâces soient rendues à Dieu et à saint Jacques, aux mérites duquel je
dois d'être délivré. Je voulais bien faire ce que vous me recommandiez, mais
les démons sont venus m’étrangler si violemment que je ne pouvais rien
prononcer qui eût rapport au salut de mon âme. Je vous entendais bien mais je
ne pouvais nullement répondre. Cependant, saint Jacques vient d'entrer ici
portant à la main gauche le sac de la femme, et à sa droite le bâton du pauvre
auxquels j'avais prêté aide en chemin, de sorte qu'il avait le bâton en guise
de lame et le sac pour bouclier, il assaillit les démons comme s'il eût été en
colère et, en levant le bâton, il les effraya et les mit en fuite. Maintenant
c'est grâce à saint Jacques que je suis délivré et que la parole m’a été
rendue. Appelez-moi un prêtre, car je ne puis plus être longtemps en vie. »
Et se tournant vers l’un deux, il lui dit : « Mon ami, ne reste plus
davantage au service de ton maître, car il est vraiment damné et dans peu il
mourra de malemort. » Quand cet homme eut été enseveli, le soldat rapporta
à son maître ce qui avait été dit, celui-ci n'en tint pas compte et refusa de
s'amender, mais peu de temps après il mourut percé d'un coup de lance dans une
bataille(5).
(5) Saint Anselme, t. II, p.
335.
- Le
pape Calixte rapporte qu'un homme de Vézelay, dans un pèlerinage qu'il fit à
Saint-Jacques, se trouvant à court d'argent, avait honte de mendier. En se
reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques le nourrissait. Et à son
réveil, il trouva près de sa tête un pain cuit sous la cendre, avec lequel il vécut
quinze jours, tant qu'il arriva chez lui. Chaque jour il en mangeait deux fois
suffisamment, et le jour suivant, il le retrouvait entier dans son sac.
- Le
pape Calixte raconte que vers l’an du Seigneur 1100, un citoyen de Barcelone,
venu à Saint-Jacques, se contenta de demander de ne plus tomber à l’avenir dans
les mains des ennemis. En revenant par la Sicile, il fut pris en mer par les
Sarrasins et vendu plusieurs fois dans les marchés, mais toujours les chaînes
qui le liaient se brisaient. Ayant été vendu pour la treizième fois, il fut
garrotté avec des chaînes doubles. Alors, il invoqua saint Jacques qui lui
apparut et lui dit : « Quand tu étais dans mon église, tu as demandé
la délivrance du corps au préjudice du salut de ton âme, c'est pour cela que tu
es tombé dans ces périls, mais parce que le Seigneur est miséricordieux, il m’a
envoyé pour te racheter. » À l’instant ses chaînes se rompirent, et
passant à travers le pays et les châteaux des Sarrasins, emportant avec lui une
partie de sa chaîne pour témoigner du miracle, il arriva dans son pays au vu et
à l’admiration de tous. Lorsque quelqu'un le voulait prendre, il n'avait qu'à
montrer sa chaîne et l’ennemi s'enfuyait ; et quand les lions et autres
bêtes féroces voulaient se jeter sur lui, en passant dans les déserts,
seulement en voyant sa chaîne, ils étaient saisis d'une grande terreur et
s'éloignaient.
- L'an
du Seigneur 1238, la veille de la Saint-Jacques, en un château appelé Prato
situé entre Florence et Pistoia, un jeune homme, déçu par une simplicité
grossière, mit le feu aux blés de son tuteur qui voulait usurper son bien. Pris
et confondu, il fut condamné à être brûlé, après avoir été traîné à la queue
d'un cheval. Il confessa son péché et se dévoua à saint Jacques. Après avoir
été traîné en chemise sur un terrain pierreux, il ne ressentit aucune blessure
sur le corps et sa chemise ne fut pas même déchirée. Enfin on le lie au poteau,
on amasse du bois autour. Le feu est mis, le bois et les liens brûlent, mais
comme il ne cessait d'invoquer saint Jacques, aucune tache de feu ne fut
trouvée, ni sur sa chemise ni sur son corps. On voulait le jeter une seconde
fois dans le feu, le peuple l’en arracha, et Dieu fut loué magnifiquement dans
la personne de son saint Apôtre.
Notes :
- Pour la légende de saint
Jacques, on peut consulter les notes de Bivar sur la Chronique de Dexter. Les
traditions des églises d'Espagne s'y trouvent exposées tout au long.
- On
parait douter si l’opuscule sur les miracles de saint Jacques appartient au
pape Calixte. Il est tiré tout entier de Vincent de Beauvais : Spécula
Hist., liv. XXVII.
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