LA VIE DE L’APÔTRE SAINT MATTHIEU
Saint Matthieu
eut deux noms, Matthieu et Lévi. Matthieu veut dire don hâtif, ou bien donneur
de conseil. Ou Matthieu vient de magnus, grand, et Theos, Dieu,
comme si on disait grand à Dieu, ou bien de main et de Theos, main de
Dieu. En effet, il fut un don hâtif, puisque sa conversion fut prompte. Il
donna des conseils par ses prédications salutaires. II fut grand devant Dieu
par la perfection de sa vie, et il fut la main dont Dieu se servit pour écrire
son Évangile. Lévi veut dire, enlevé, mis, ajouté, apposé. Il fut enlevé à son
bureau d'impôts, mis au nombre des Apôtres, ajouté à la société des Évangélistes,
et apposé au catalogue des martyrs.
Saint Matthieu, Apôtre, prêchait en Éthiopie(1) dans une ville nommée Nadaber, où il trouva
deux mages Zaroïs et Arphaxus qui ensorcelaient les hommes par de tels
artifices que tous ceux qu'ils voulaient paraissaient avoir perdu la santé et
l’usage de leurs membres. Ce qui enfla tellement leur orgueil qu'ils se
faisaient adorer comme des dieux par les hommes. L'Apôtre Matthieu étant entré
dans cette ville où il reçut l’hospitalité de l’eunuque de la reine de Candace
baptisé par Philippe (Actes VIII), découvrait si adroitement les prestiges
de ces mages qu'il changeait en bien le mal qu'ils faisaient aux hommes. Or,
l’eunuque ayant demandé à saint Matthieu comment il se faisait qu'il parlât et
comprit tant de langages différents ; Matthieu lui exposa qu'après la
descente du Saint-Esprit, il s'était trouvé posséder la science de toutes les
langues, afin que comme ceux qui avaient essayé par orgueil d'élever une tour
jusqu'au ciel s'étaient vus forcés d'interrompre leurs travaux par la confusion
des langues, de même les Apôtres, par la connaissance de tous les idiomes,
construisirent, non plus avec des pierres mais avec des vertus, une tour au
moyen de laquelle tous ceux qui croiraient pussent monter au Ciel. Alors
quelqu'un vint annoncer l’arrivée des deux mages accompagnés de dragons qui, en
vomissant un feu de soufre par la gueule et par les naseaux, tuaient tous les
hommes. L'Apôtre, se munissant du Signe de la Croix, alla avec assurance vers
eux. Les dragons ne l’eurent pas plutôt aperçu qu'ils vinrent à l’instant s'endormir
à ses pieds. Alors saint Matthieu dit aux mages : « Où donc est votre
art ? Éveillez-les, si vous pouvez, quant à moi, si je n'avais prié le Seigneur,
j’aurais de suite tourné contre vous ce que vous aviez en pensée de me
faire. » Or, comme le peuple s'était rassemblé, Matthieu commanda de par
le Nom de JÉSUS-CHRIST aux dragons de s'éloigner, et ils s'en allèrent de suite
sans nuire à personne. Ensuite, saint Matthieu commença à adresser un grand
discours au peuple sur la gloire du paradis terrestre, avançant qu'il était
plus élevé que toutes les montagnes, et voisin du ciel, qu'il n'y avait là ni
épines ni ronces, que les lys ni les roses ne s'y flétrissaient, que la
vieillesse n'y existait pas, mais que les hommes y restaient constamment
jeunes, que les concerts des anges s'y faisaient entendre, et que, quand on appelait
les oiseaux, ils obéissaient tout de suite. Il ajouta que l’homme avait été
chassé de ce paradis terrestre, mais que par la Naissance de JÉSUS-CHRIST, il avait
été rappelé au Paradis du Ciel. Pendant qu'il parlait au peuple, tout à coup
s'éleva un grand tumulte, car l’on pleurait la mort du fils du roi. Comme les
magiciens ne pouvaient le ressusciter, ils persuadaient le roi qu'il avait été
enlevé en la compagnie des dieux et qu'il fallait en conséquence lui élever une
statue et un temple. Mais l’eunuque, cité plus haut, fit garder les magiciens
et manda l’Apôtre qui, après avoir fait une prière, ressuscita à l’instant le
jeune homme(2). Alors le roi, qui se nommait Égippus, ayant
vu cela, envoya publier dans toutes ses provinces : « Venez voir un
Dieu caché sous les traits d'un homme. » On vint donc avec des couronnes
d'or et différentes victimes dans l’intention d'offrir des sacrifices à Matthieu,
mais celui-ci les en empêcha en disant : « Ô hommes, que faites-vous ?
Je ne suis pas un Dieu, je suis seulement le serviteur de N.-S. JÉSUS-CHRIST »
Alors, avec l’argent et l’or qu'ils avaient apportés avec eux, ces gens
bâtirent, par l’ordre de l’Apôtre, une grande église qu'ils terminèrent en
trente jours, et dans laquelle saint Matthieu siégea trente-trois ans ; il
convertit l’Égypte toute entière ; le roi Egippus,
avec sa femme et tout le peuple, se fit baptiser. Iphigénie, la fille du roi,
qui avait été consacrée à Dieu, fut mise à la tête de plus de deux cents
vierges.
(1) Honorius d'Autun.
(2) Bréviaire.
Après quoi Hirtacus
succéda au roi, il s'éprit d'Iphigénie et promit à l’Apôtre la moitié de son
royaume s'il la faisait consentir à accepter sa main. L'Apôtre lui dit de venir
le dimanche à l’église comme son prédécesseur pour entendre, en présence d'Iphigénie
et des autres vierges, quels avantages procurent les mariages légitimes. Le roi
s'empressa de venir avec joie, dans la pensée que l’Apôtre voudrait conseiller
le mariage à Iphigénie. Quand les vierges et tout le peuple furent assemblés,
saint Matthieu parla longtemps des avantages du mariage et mérita les éloges du
roi qui croyait que l’Apôtre parlait ainsi afin d'engager la vierge à se
marier. Ensuite, ayant demandé qu'on fit silence, il reprit son discours en
disant « Puisque le mariage est une bonne chose, quand on en conserve
inviolablement les promesses, sachez-le bien, vous qui êtes ici présents, que
si un esclave avait la présomption d'enlever l’épouse du roi, non seulement il
encourrait la colère du prince, mais il mériterait encore la mort, non parce
qu'il serait convaincu de s'être marié, mais, parce qu'en prenant l’épouse de
son seigneur, il aurait outragé son prince dans sa femme. Il en serait de même
de vous, ô roi ; vous savez qu'Iphigénie est devenue l’épouse du Roi Éternel,
et qu'elle est consacrée par le voile sacré, comment donc pourrez-vous prendre
l’épouse de plus puissant que vous et vous unir à elle par le mariage ? »
Quand le roi eut entendu cela, il se retira furieux de colère(2). Mais l’Apôtre intrépide et constant exhorta tout le monde à la
patience et à la constance, ensuite il bénit Iphigénie, qui, tremblante de
peur, s'était jetée à genoux devant lui avec les autres vierges. Or, quand la
messe solennelle fut achevée, le roi envoya un bourreau qui tua Matthieu en
prières debout devant l’Autel et les bras étendus vers le ciel. Le bourreau le
frappa par derrière et en fit ainsi un martyr. À cette nouvelle, le peuple
courut au palais du roi pour y mettre le feu, et ce fut à peine si les prêtres
et les diacres purent le contenir, puis on célébra avec joie le martyre de l’Apôtre.
Or, comme le roi ne pouvait par aucun moyen faire changer Iphigénie de
résolution, malgré les instances des dames qui lui furent envoyées, et celles
des magiciens, il fit entourer sa demeure tout entière d'un feu immense afin de
la brûler avec les autres vierges. Mais l’Apôtre leur apparut, et il repoussa
l’incendie de leur maison. Ce feu en jaillissant se jeta sur le palais du roi
qu'il consuma en entier, le roi seul parvint avec peine à s'échapper avec son
fils unique. Aussitôt après ce fils fut saisi par le démon, et courut au
tombeau de l’Apôtre en confessant les crimes de son père, qui lui-même fut
attaqué d'une lèpre affreuse, et, comme il ne put être guéri, il se tua de sa
propre main en se perçant avec une épée. Alors le peuple établit roi le frère
d'Iphigénie qui avait été baptisé par l’Apôtre. Il régna soixante-dix ans, et
après s'être substitué son fils, il procura de l’accroissement au culte
chrétien et remplit toute la province de l’Éthiopie d'églises en l’honneur de JÉSUS-CHRIST.
Pour Zaroës et Arphaxat,
dès le jour où l’Apôtre ressuscita le fils du roi, ils s'enfuirent en Perse,
mais saint Simon et saint Jude les y vainquirent.
(2) Bréviaire.
Dans saint Matthieu, il faut considérer
quatre vertus :
1° La promptitude de son obéissance
car, à l’instant où JÉSUS-CHRIST l’appela, il quitta immédiatement son bureau,
et, sans craindre ses maîtres, il laissa les états d'impôts inachevés pour
s'attacher entièrement à JÉSUS-CHRIST. Cette promptitude dans son obéissance a
donné à quelques-uns l’occasion de tomber en erreur, selon que le rapporte
saint Jérôme dans son commentaire sur cet endroit de l’Évangile : « Porphyre,
dit-il, et l’empereur Julien accusent l’historien de mensonge et de maladresse,
comme aussi il taxe de folie la conduite de ceux qui se mirent aussitôt à la
suite du Sauveur, comme ils auraient fait à l’égard de n'importe quel homme qu'ils
auraient suivi sans motif. JÉSUS-CHRIST opéra auparavant de si grands prodiges
et de si grands miracles qu'il n'y a pas de doute que les Apôtres ne les aient
vus avant de croire. Certainement l’éclat même et la Majesté de la Puissance
divine qui était cachée, et qui brillait sur sa face humaine, pouvait au
premier aspect attirer à Lui ceux qui le voyaient. Car si on attribue à
l’aimant la force d'attirer des anneaux et de la paille, combien, à plus forte
raison, le Maître de toutes les créatures pouvait-Il attirer à Lui ceux qu'Il
voulait. »
2° Considérons ses largesses et sa
libéralité, puisqu'il donna de suite au Sauveur un grand repas dans sa maison.
Or, ce repas ne fut pas grand, mais splendide il le fut :
a) par la résolution qui lui fit
recevoir JÉSUS-CHRIST avec grande affection et désir,
b) par le mystère dont il fut la
signification, mystère que la glose sur saint Luc explique en disant :
« Celui qui reçoit JÉSUS-CHRIST dans l’intérieur de sa maison est rempli
d'un torrent de délices et de volupté. »,
c) par les instructions que JÉSUS-CHRIST
ne cessa d'y adresser comme, par exemple : « Je veux la Miséricorde
et non le sacrifice » et encore : « Ce ne sont pas ceux qui se
portent bien qui ont besoin de médecins. »,
d) par la qualité des invités qui
furent de grands personnages, comme JÉSUS-CHRIST et ses disciples.
3° Son humilité qui parut en deux circonstances :
- La première en ce qu'il avoua
être un publicain. Les autres Évangélistes, dit la glose, par un sentiment de
pudeur et par respect pour saint Matthieu, ne lui donnent pas son nom
ordinaire. Mais, d'après ce qui est écrit du Juste, qu'il est son propre
accusateur, il se nomme lui-même Matthieu et publicain, pour montrer à celui
qui se convertit qu'il ne doit jamais désespérer de son salut, car de publicain
il fut fait de suite Apôtre et Évangéliste.
- La seconde, en ce qu'il
supporta avec patience les injures qui lui furent adressées. En effet, quand
les pharisiens murmuraient que JÉSUS-CHRIST fut logé chez un pécheur, il aurait
pu de bon droit leur répondre et leur dire : « C'est plutôt vous
qui êtes des misérables et des pécheurs, puisque vous refusez les secours du
médecin en vous croyant justes, mais moi je ne puis plus être désormais appelé
pécheur, quand j'ai recours au médecin du salut et que je lui découvre mes
plaies. »
4° L'honneur que reçoit dans l’Église
son Évangile qui se lit plus souvent que celui des autres Évangélistes comme
les psaumes de David et les Épîtres de saint Paul, qu'on lit plus fréquemment
que les autres livres de la sainte Écriture. En voici la raison : selon
saint Jacques, il y a trois sortes de péchés, à savoir : l’orgueil, la
luxure et l’avarice. Saul, ainsi appelé de Saül le plus orgueilleux des rois,
commit le péché d'orgueil quand il persécuta l’Église au-delà de toute mesure.
David se livra au péché de luxure en commettant un adultère et en faisant tuer,
par suite de ce premier crime, Urie le plus fidèle de
ses soldats. Matthieu commit le péché d'avarice, en se livrant à des gains
honteux, car il était douanier. La douane, dit Isidore, est un lieu sur un port
de mer où sont reçus les marchandises des vaisseaux et les gages des matelots. Telos, en grec, dit Bède, veut dire impôt. Or, bien
que Saul, David et Matthieu eussent été pécheurs, cependant leur pénitence fut
si agréable que non seulement le Seigneur leur pardonna leurs fautes, mais qu'Il
les combla de toutes sortes de bienfaits car, du plus cruel persécuteur, il fit
le plus fidèle prédicateur ; d'un adultère et d'un homicide, il fit un
prophète et un psalmiste ; d'un homme avide de richesses et d'un avare, il
fit un Apôtre et un Évangéliste. C'est pour cela que les paroles de ces trois
personnages se lisent si fréquemment, afin que personne ne désespère de son pardon,
s'il veut se convertir, en considérant la grandeur de la race de ceux qui ont
été de si grands coupables. D'après saint Ambroise, dans la conversion de saint
Matthieu il y a certaines particularités à considérer du côté du médecin, du
côté de l’infirme qui est guéri, et du côté de la manière de guérir. Dans le
médecin, il y a eu trois qualités, à savoir : la sagesse qui connut le mal
dans sa racine, la bonté qui employa les remèdes, et la puissance qui changea
saint Matthieu si subitement. Saint Ambroise parle ainsi de ces trois qualités
dans la personne de saint Matthieu lui-même :
« Celui-là peut enlever la douleur de
mon cœur et la pâleur de mon âme qui connaît ce qui est caché. » Voici ce
qui a rapport à la Sagesse.
« J'ai trouvé le médecin qui habite
les Cieux et qui sème les remèdes sur la terre. » Ceci se rapporte à la Bonté.
« Celui-là seul peut guérir mes blessures
qu’il ne connaît pas. » Ceci s'applique à la Puissance. Or, dans cet
infirme qui est guéri, c'est-à-dire dans saint Matthieu, il y a trois
circonstances à considérer, toujours d'après saint Ambroise : il se
dépouilla parfaitement de la maladie, il resta agréable à Celui qui le
guérissait, et, quand il eut reçu la santé, toujours il se conserva intact.
C'est ce qui lui fait dire : « Déjà
je ne suis plus ce publicain, je ne suis plus Lévi, je me suis dépouillé de
Lévi quand j'ai eu revêtu JÉSUS-CHRIST », ce qui se rapporte à la première
considération.
« Je hais ma race, je change de vie,
je marche seulement à votre suite, mon Seigneur Jésus, vous qui guérissez mes
plaies. » Ceci a trait à la deuxième considération.
« Quel est celui qui me séparera de la
Charité de Dieu, laquelle réside en moi ? Sera-ce la tribulation, la
détresse, la faim ? » C'est ce qui s'applique à la troisième.
D'après saint Ambroise le mode de guérison
fut triple :
1° JÉSUS-CHRIST le lia avec des chaînes,
2° Il le cautérisa,
3° Il le débarrassa de toutes ses
pourritures. Ce qui fait dire à saint Ambroise, dans la personne de saint Matthieu :
« J'ai été lié avec les clous de la Croix et dans les douces entraves de
la Charité ; enlevez, ô Jésus ! la pourriture de mes péchés, tandis
que vous me tenez enchaîné dans les liens de la Charité ; tranchez tout ce
que vous trouverez de vicieux. »
Premier mode : « Votre Commandement
sera pour moi un caustique que je tiendrai sur moi, et si le caustique de votre
Commandement brûle, toutefois il ne brûle que les pourritures de la chair, de
peur que la contagion ne se glisse comme un virus ; et quand bien-même le
médicament tourmenterait, il n’enlève pas l’ulcère. »
Deuxième mode : « Venez de suite,
Seigneur, tranchez les passions cachées et profondes. Ouvrez vite la blessure,
de peur que le mal ne s'aggrave ; purifiez tout ce qui est fétide dans un
bain salutaire. »
Troisième mode : L'Évangile de saint Matthieu
fut trouvé écrit de sa main l’an du Seigneur 500, avec les os de saint Barnabé.
Cet Apôtre portait cet Évangile avec lui et le posait sur les infirmes qui tous
étaient guéris, tant par la foi de Barnabé que par les mérites de Matthieu.
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