LA VIE DE L’APÔTRE
SAINT THOMAS
Thomas signifie abyme, ou jumeau, en grec Dydime : ou bien il vient de thomos qui veut dire division, partage. Il signifie
abyme, parce qu’il mérita de sonder les profondeurs de la divinité, quand à sa
question, JÉSUS-CHRIST répondit : « Je suis la voie, la vérité et la
vie. » On l’appelle Dydime pour avoir connu de
deux manières la résurrection de JÉSUS-CHRIST. Les autres en effet, connurent le
Sauveur en le voyant, et lui en le voyant et en le touchant. Il signifie division,
soit parce qu’il sépara son âme de l’amour des choses du monde, soit parce qu’il
se sépara des autres dans la croyance à la Résurrection. On pourrait dire
encore qu’il porte le nom de Thomas, parce qu’il se laissa inonder tout entier
par l’Amour de Dieu. Il posséda ces trois qualités qui distinguent ceux qui ont
cet amour et que demande Prosper au livre de la vie contemplative : Aimer
Dieu, qu’est-ce ? si ce n’est concevoir au fond du cœur un vif désir de
voir Dieu, la haine du péché et le mépris du monde. Thomas pourrait encore
venir de Theos, Dieu, et meus, mien, c’est-à-dire
mon Dieu, par rapport à ces paroles qu’il prononça lorsqu’il fut convaincu et
eut la foi : « Mon Seigneur et mon Dieu. »
L’Apôtre
Thomas était à Césarée quand le Seigneur lui apparut, et lui dit : « Le
roi des Indes Gondoforus(1)
a envoyé son ministre Abanès à la recherche d’un
habile architecte. Viens, et je t’adresserai à lui. » « Seigneur,
répondit Thomas, partout où vous voudrez, envoyez-moi, excepté aux Indes. »
Dieu lui dit : « Va sans aucune appréhension, car je serai ton
gardien. Quand tu auras converti les Indiens, tu viendras à moi avec la palme
du martyre. » Et Thomas lui répondit : « Vous êtes mon Maître, Seigneur,
et moi votre serviteur, que votre volonté soit faite. » Comme le prévôt ou
l’intendant se promenait sur la place, le Seigneur lui dit : « Que
vous faut-il, jeune homme ? » « Mon maître, dit celui-ci, m’a
envoyé pour lui ramener des ouvriers habiles en architecture, qui lui construiraient
un palais à la romaine. » Alors, le Seigneur lui offrit Thomas comme un
homme très capable en cet art. Ils s’embarquèrent, et arrivèrent à une ville où
le roi célébrait le mariage de sa fille. Il avait fait annoncer que tous
prissent part à la noce, sous peine d’encourir sa colère. Abanès
et l’Apôtre s’y rendirent. Or, une jeune fille juive, qui tenait une flûte à la
main, adressait quelques paroles flatteuses à chacun. Quand elle vit l’Apôtre,
elle reconnut qu’il était juif parce qu’il ne mangeait point et qu’il tenait
les yeux fixés vers le ciel. Alors, elle se mit à chanter en hébreu devant lui :
« C’est le Dieu des Hébreux qui seul a créé l’univers, et creusé les
mers », et l’Apôtre voulait lui faire répéter ces mêmes paroles. L’échanson
remarquant qu’il ne mangeait ni ne buvait, mais tenait constamment les yeux
vers le ciel, donna un soufflet à l’Apôtre de Dieu. « Mieux vaudrait pour
toi d’être épargné plus tard, lui dit l’Apôtre, et d’être puni ici-bas d’un
châtiment passager. Je ne me lèverai point, que la main qui m’a frappé n’ait
été ici-même apportée par les chiens. » Or, l’échanson étant allé puiser
de l’eau à la fontaine, un lion l’étrangla et but son sang. Les chiens
déchirèrent son cadavre, et l’un d’eux, qui était noir, en apporta la main
droite au milieu du festin. À cette vue, toute la foule fut saisie, et la
pucelle se rappelant les paroles, jeta sa flûte et vint se prosterner aux pieds
de l’Apôtre. Cette vengeance est blâmée par saint Augustin dans son livre
contre Faustus où il déclare qu’elle a été intercalée
ici par un faussaire. Aussi cette légende est tenue pour suspecte en bien des
points. On pourrait dire néanmoins, que ce ne fut pas une vengeance mais une
prédiction. En examinant du reste avec soin les paroles de saint Augustin,
cette action ne paraît pas improuvée tout à fait. Or voici ce qu’il dit dans le
même livre : « Les Manichéens se servent de livres apocryphes, écrits
sous le nom des Apôtres, je ne sais par quels compilateurs de fables. Au temps
de leurs auteurs, il auraient joui de quelque autorité dans l’Église, si de
saints docteurs qui vivaient alors, et qui pouvaient les examiner, en eussent
reconnu l’authenticité. » Ils racontent donc que l’Apôtre Thomas se
trouvant à un repas de noces comme pèlerin inconnu, il avait été frappé de la
main d’un serviteur contre lequel il aurait exprimé aussitôt le souhait d’une
cruelle vengeance. Car cet homme, étant sorti afin d’aller puiser de l’eau à
une fontaine pour les convives, aurait été tué par un lion qui se serait jeté
sur lui ; et la main qui avait frappé légèrement la figure de l’Apôtre,
arrachée du corps d’après son vœu et ses imprécations, aurait été apportée par
un chien sur la table où l’Apôtre était placé. Peut-on voir quelque chose de
plus cruel ? Or, si je ne me trompe, cela veut dire qu’en obtenant son
pardon pour la vie future, il y eut une certaine compensation par un plus grand
service qu’il lui rendait. L’Apôtre, chéri et honoré de Dieu, était, par ce
moyen, rendu recommandable et à ceux qui ne le connaissaient pas et à celui en
faveur duquel il obtenait la vie éternelle à la place d’une vie qui devait
finir. Il m’importe peu si ce récit est vrai ou faux, ce qu’il y a de certain,
c’est que les Manichéens, qui reçoivent comme vraies et sincères ces écritures
que le canon de l’Église rejette, sont du moins forcés d’avouer que la vertu de
patience enseignée par le Seigneur, lorsqu’il dit : « Si quelqu’un
vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche », peut exister
réellement au fond du tueur, quand bien même on n’en ferait pas montre par ses
gestes et ses paroles, puisque l’Apôtre, qui avait été souffleté, pria le
Seigneur d’épargner l’insolent dans la vie future, en ne laissant pas sa faute
impunie ici-bas, plutôt que de lui présenter l’autre joue ou de l’avertir de le
frapper une seconde fois. Il avait l’amour de la charité intérieurement, et
extérieurement il réclamait une correction qui servit d’exemple. Que ceci soit
vrai ou que ce ne soit qu’une fable, pourquoi refuseraient-ils de louer dans l’Apôtre
ce qu’ils approuvent dans le serviteur de Dieu, Moïse, qui égorgea les
fabricateurs et les adorateurs d’une idole. « Si nous comparons les
châtiments, être tué par le glaive ou être déchiré sous la dent des bêtes
féroces, c’est chose semblable, puisque les juges, d’après les lois publiques,
condamnent les grands coupables à périr, ou sous la dent des bêtes, ou bien par
l’épée. » Voilà ce que dit saint Augustin. Alors l’Apôtre, sur la demande
du roi, bénit l’époux et l’épouse en disant : « Accordez, Seigneur,
la bénédiction de votre droite à ces jeunes gens, et semez au fond de leurs cœurs
les germes féconds de la vie. » Quand l’Apôtre se retira, l’époux se
trouva tenir une branche chargée de dattes. Les époux après avoir mangé de ces
fruits s’endormirent tous deux et eurent le même songe. Il leur semblait qu’un
roi couvert de pierreries les embrassait en disant : « Mon Apôtre
vous a bénis pour que vous ayez part à la vie éternelle. » S’étant
éveillés, ils se racontaient l’un à l’autre leur songe, quand l’Apôtre se
présenta, il leur dit : « Mon roi vient de vous apparaître, il m’a
introduit ici les portes fermées, pour que ma bénédiction vous profitât. Gardez
la pureté du corps, c’est la reine de toutes les vertus, et le salut éternel en
est le fruit. La virginité est la sœur des Anges, comble de biens, elle donne
la victoire sur les passions mauvaises, c’est le trophée de la foi, la fuite
des démons et le gage des joies éternelles. La luxure engendre la corruption,
de la corruption naît la souillure, de la souillure vient la culpabilité, et la
culpabilité produit la confusion. » Pendant qu’il exposait ces maximes,
apparurent deux anges qui leur dirent : « Nous sommes envoyés pour
être vos anges gardiens, si vous mettez en pratique les avis de l’Apôtre avec
fidélité, nous offrirons tous vos souhaits à Dieu. » Alors Thomas les
baptisa et leur enseigna chacune des vérités de la foi. Longtemps après, l’épouse,
nommée Pélage, se consacra à Dieu en prenant le voile, et l’époux, qui s’appelait
Denys, fut ordonné évêque de cette ville.
* Pour la légende de
saint Thomas, on lira des détails fort intéressants dans l’explication du
vitrail de cet Apôtre (Les Vitraux de Bourges, par les PP. Martin et
Cassier, pages 133 et suiv.).
(1) On a des
médailles de Gondoforus.
Après cela, Thomas et Abatlès allèrent chez le
roi des Indes. L’Apôtre traça le plan d’un palais magnifique. Le roi, après lui
avoir remis de considérables trésors, partit pour une autre province. L’Apôtre
distribua aux pauvres le trésor tout entier. Pendant les deux ans que dura l’absence
du roi, Thomas se livra avec ardeur à la prédication et convertit à la foi un
monde innombrable. À son retour, le roi s’étant informé de ce qu’avait fait
Thomas, l’enferma avec Abanès au fond d’un cachot, en
attendant qu’on les fit écorcher et livrer aux flammes. Sur ces entrefaites, Gab, frère du roi, meurt. On se préparait à lui élever un
tombeau magnifique quand, le quatrième jour, le mort ressuscita ; tout le
monde effrayé fuyait sur ses pas. Alors, il dit à son frère : « Cet
homme, mon frère, que tu te disposais à faire écorcher et brûler, c’est un ami
de Dieu et tous les anges lui obéissent. Ceux qui me conduisaient en paradis me
montrèrent un palais admirable bâti d’or, d’argent et de pierres précieuses, j’en
admirais la beauté, quand ils me dirent : « C’est le palais que
Thomas avait construit pour ton frère, » et comme je disais : « Que
n’en suis-je le portier ! » Ils ajoutèrent alors : « Ton
frère s’en est rendu indigne, si donc tu veux y demeurer, nous prierons le
Seigneur de vouloir bien te ressusciter, afin que tu puisses l’acheter à ton
frère en lui remboursant l’argent qu’il pense avoir perdu. » En parlant
ainsi, il courut à la prison de l’Apôtre, le priant d’avoir de l’indulgence
pour son frère. Il délia ses chaînes et le pria de recevoir un vêtement précieux.
« Ignores-tu, lui répondit l’Apôtre, que rien de charnel, rien de
terrestre n’est estimé de ceux qui désirent avoir puissance en choses célestes ? »
Il sortait de la prison quand le roi, qui venait au-devant de lui, se jeta à
ses pieds en lui demandant pardon. Alors l’Apôtre dit : « Dieu t’a
accordé une grande faveur que de te révéler ses secrets. Crois en JÉSUS-CHRIST
et reçois le baptême pour participer au Royaume éternel. » Le frère du roi
lui dit : « J’ai vu le palais que tu avais bâti pour mon frère et il
me ferait plaisir de l’acheter. » L’Apôtre répartit : « Cela est
au pouvoir de ton frère. » Et le roi lui dit : « Je le garde
pour moi, que l’Apôtre t’en bâtisse un autre, ou bien s’il ne le peut, nous le
posséderons en commun. » L’Apôtre répondit : « Ils sont
innombrables dans le Ciel, les palais préparés aux élus depuis le commencement
du monde, on les achète par les prières et au prix de la foi et des aumônes.
Vos richesses peuvent vous y précéder, mais elles ne sauraient vous y suivre. »
Un mois après, l’Apôtre ordonna de rassembler tous les pauvres de cette
province, et quand ils furent réunis, il en sépara les malades et les infirmes,
fit une prière sur eux. Et après que ceux qui avaient été instruits eurent
répondu : Amen ! un éclair parti du ciel éblouit aussi bien l’Apôtre
que les assistants pendant une demi-heure, au point que tous se croyaient tués
par la foudre, mais Thomas se leva et dit : « Levez-vous, car mon
Seigneur est venu comme la foudre et vous a guéris. » Tous se levèrent alors
guéris et rendirent gloire à Dieu et à l’Apôtre. Thomas s’empressa de les
instruire et leur démontra les douze degrés des vertus :
- Le
1er degré c’est de croire en Dieu, qui est un en essence et triple
en personnes; il leur donna trois exemples sensibles pour prouver que dans une
essence il y a trois personnes.
a) est
que dans l’homme il y a une sagesse et d’elle seule et unique procèdent
intelligence, mémoire et génie. Par ce génie, dit-il, vous découvrez ce que
vous n’avez pas appris; par la mémoire, vous retenez ce que vous avez appris et
avec l’intelligence vous comprenez ce qui peut être démontré et enseigné.
b) est
que dans une vigne il se trouve trois parties : le bois, les feuilles et
le fruit et ces trois ensemble font une seule et même vigne.
c) est
qu’une tête contient quatre sens, à savoir : la vue, le goût, l’ouïe et l’odorat,
ce qui est multiple et ne fait cependant qu’une tête.
- Le
2e degré est de recevoir le Baptême.
- Le
3e est de s’abstenir de la fornication.
- Le
4e c’est de fuir l’avarice.
- Le
5e de se préserver de la gourmandise.
- Le
6e de vivre dans la pénitence.
- Le
7e de persévérer dans ces bonnes Œuvres.
- Le
8e d’aimer à pratiquer l’hospitalité.
- Le
9e de chercher et de faire la Volonté de Dieu dans ses actions.
- Le
10e de rechercher ce que la Volonté de Dieu défend et de l’éviter.
- Le
11e de pratiquer la charité envers ses amis comme envers ses
ennemis.
- Le 12e d’apporter un soin vigilant à garder ces
degrés.
Après cette prédication furent baptisés neuf mille hommes, sans compter
les enfants et les femmes.
De là Thomas alla dans l’Inde supérieure, où il se rendit célèbre par un
grand nombre de miracles. L’Apôtre donna la lumière de la foi à Sintice qui était amie de Migdomie,
épouse de Carisius cousin du roi. Et Migdomie dit à Sintice : « Penses-tu
que je le puisse voir ? » Alors Migdomie,
de l’avis de Sintice, changea de vêtement et vint se
joindre aux pauvres femmes dans le lieu où l’Apôtre prêchait. Or, le saint se
mit à déplorer la misère de la vie et dit entre autres choses que cette vie est
misérable, qu’elle est fugitive et sujette aux disgrâces ! quand on croit
la tenir, elle s’échappe et se disloque, et il commença à exhorter, par quatre
raisons, à écouter volontiers la Parole de Dieu, qu’il compara à quatre sortes
de choses, à savoir : à un collyre, parce qu’elle éclaire l’œil de notre
intelligence ; à une potion, parce qu’elle purge et purifie notre
affection de tout amour charnel ; à un emplâtre, en ce qu’elle guérit les
blessures de nos péchés ; à la nourriture, parce qu’elle nous fortifie
dans l’amour des choses célestes. Or de même, ajouta-t-il, que ces objets ne
font de bien à un malade qu’autant qu’il les prend, de même la Parole de Dieu
ne profite pas à une âme languissante si elle ne l’écoute avec dévotion. Or,
tandis que l’Apôtre prêchait, Migdomie crut et dès
lors elle eut horreur de partager la couche de son mari. Mais Carisius demanda au roi et obtint que l’Apôtre fût mis en
prison. Migdomie l’y vint trouver et le pria de lui
pardonner d’avoir été emprisonné par rapport à elle. Il la consola avec bonté
et l’assura qu’il souffrait tout de bon cœur. Or, Carisius
demanda au roi d’envoyer la reine, sœur de sa femme, pour qu’elle tâchât de la
ramener, s’il était possible. La reine fut envoyée et convertie par celle qu’elle
voulait pervertir, après avoir vu tant de prodiges opérés par l’Apôtre :
« Ils sont maudits de Dieu, dit-elle, ceux qui ne croient pas à de si
grands miracles et à de pareilles œuvres. » Alors l’Apôtre instruisit
brièvement tous les auditeurs sur trois points, à savoir : d’aimer l’Église,
d’honorer les prêtres et de se réunir assidûment pour écouter la Parole de
Dieu. La reine étant revenue, le roi lui dit : « Pourquoi être restée
si longtemps ? » Elle répondit : « Je croyais Migdomie folle et elle est très sage, en me conduisant à l’Apôtre
de Dieu, elle m’a fait connaître la voie de la vérité, et ceux-là sont bien
insensés qui ne croient pas en JÉSUS-CHRIST. » Or, la reine refusa d’avoir
désormais commerce avec le roi. Celui-ci, stupéfait, dit à son parent :
« En voulant recouvrer ta femme, j’ai perdu la mienne qui se comporte
envers moi de pire façon que ne fait la tienne à ton égard. » Alors le roi
ordonna de lier les mains de l’Apôtre, le fit amener en sa présence et lui
enjoignit de ramener leurs femmes à leurs maris. Mais l’Apôtre lui démontra par
trois exemples qu’elles ne le devaient pas faire, tant qu’ils persisteraient
dans l’erreur, à savoir : par l’exemple du roi, l’exemple de la tour et l’exemple
de la fontaine. « D’où vient, dit-il, que vous, qui êtes roi, vous ne
voudriez pas que votre service se fit d’une manière sale et que vous exigez la
propreté dans vos serviteurs et dans vos servantes ? Combien plus
devez-vous croire que Dieu exige un service très chaste et très propre ?
Pourquoi me faire un crime de prêcher aux serviteurs de Dieu de l’aimer, quand
vous désirez la même chose dans les vôtres ? J’ai élevé une tour très
haute, et vous me dites, à moi qui l’ai bâtie, de la détruire ? J’ai
creusé profondément la terre et fait jaillir une fontaine de l’abîme, et vous
me dites de la combler ? » Le roi, en colère, fit apporter des lames
de fer brûlantes et placer l’Apôtre nu-pieds sur elles, mais aussitôt, par l’ordre
de Dieu, une fontaine surgit en cet endroit-là même et les refroidit. Alors le
roi, d’après le conseil de son parent, fit jeter Thomas dans une fournaise
ardente, qui s’éteignit, de telle sorte que le lendemain il en sortit sain et
frais. Carisius dit au roi : « Fais-lui
offrir un sacrifice au soleil, afin qu’il encoure la colère de son Dieu qui le
préserve. » Comme on pressait l’Apôtre de le faire, il dit au roi :
« Tu vaux mieux que ce que tu fais exécuter, puisque tu négliges le vrai
Dieu pour honorer une image. Tu penses, comme te l’a dit Carisius,
que Dieu s’irritera contre moi quand j’aurai adoré ton dieu, il sera bien plus
irrité contre ton idole, car il la brisera : adore-le donc. Que si en
adorant ton dieu, le mien ne le renverse pas, je sacrifie à l’idole, mais s’il
en arrive ainsi que je le dis, tu croiras à mon Dieu. » Le roi lui dit :
« Tu me parles comme à un égal. » Alors l’Apôtre commanda en langue
hébraïque au démon renfermé dans l’idole, qu’aussitôt qu’il aurait fléchi le
genou devant lui, à l’instant il briserait l’idole. Or l’Apôtre, en fléchissant
le genou, dit : « Voici que j’adore, mais ce n’est pas l’idole ;
voici que j’adore, mais ce n’est pas le métal ; voici que j’adore, mais ce
n’est pas un simulacre, car Celui que j’adore, c’est mon Seigneur JÉSUS-CHRIST,
au Nom duquel je te commande, démon, qui te caches dans cette image, de la
briser. » Et aussitôt elle disparut comme une cire qui se fond. Tous les
prêtres poussèrent des hurlements et le pontife du temple saisit un glaive avec
lequel il perça l’Apôtre en disant : « C’est moi qui tirerai
vengeance de l’affront fait à mon dieu. » Pour le roi et Carisius, ils s’enfuirent en voyant le peuple s’apprêtant à
venger l’Apôtre et à brûler vif le pontife. Les chrétiens emportèrent le corps
du saint et l’ensevelirent honorablement. Longtemps après, c’est-à-dire environ
l’an 230, il fut transporté en la ville d’Édesse, qui s’appelait autrefois
Ragès des Mèdes. Ce fut l’empereur Alexandre qui le fit, à la prière des Syriens.
Or, en cette ville, aucun hérétique, aucun juif, aucun païen n’y peut vivre,
pas plus qu’aucun tyran ne saurait y faire de mal, depuis que Abgar, roi de
cette cité, eut l’honneur de recevoir une lettre écrite de la main du Sauveur(2).
Car aussitôt que l’ennemi vient attaquer cette ville, un enfant baptisé, debout
sur la porte, lit cette lettre et le jour même, tant par l’écrit du Sauveur,
que par les mérites de l’Apôtre Thomas, les ennemis sont mis en fuite ou font
la paix. Voici ce que dit de cet Apôtre Isidore, dans son livre de la vie et
de la mort des saints : « Thomas, disciple et imitateur de JÉSUS-CHRIST,
fut incrédule en entendant et fidèle en voyant. Il prêcha l’Évangile aux
Parthes, aux Mèdes, aux Perses, aux Hircaniens et aux
Bactriens. En entrant dans l’Orient et en pénétrant dans l’intérieur du pays,
il prêcha jusqu’à l’heure de son martyre. Il fut percé à coups de lances. »
Ainsi parle Isidore(3). Et saint Chrysostome dit, de son côté, que quand Thomas
fut arrivé au pays des Mages qui étaient venus adorer JÉSUS-CHRIST, il les
baptisa, puis ils devinrent ses coadjuteurs dans l’établissement de la foi
chrétienne.
(2) Eusèbe rapporte
au 1er livre de son Histoire ecclésiastique et la lettre d’Abgar,
et la réponse de JÉSUS-CHRIST (chap. XIII). Il a pris, dit-il, ces deux pièces
dans les archives d’Édesse.
(3) Isidore
raconte des faits conformes à cette légende.
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