Barthélemy
signifie fils de celui qui suspend les eaux, ou fils de celui qui se suspend.
Ce mot vient de Bar, qui veut dire fils, de thelos, sommité, et de moys, eau. De là Barthélemy, c'est-à-dire le
fils de celui qui suspend les eaux de Dieu, donc qui élève l’esprit des
docteurs en haut, afin qu'ils versent 'en bas’ les eaux de la doctrine. C'est
un nom Syrien et non pas Hébreu, il y a trois manières d'être suspendu, que
notre saint posséda. En effet il fut suspendu, c'est-à-dire élevé au-dessus de
l’amour du monde, porté à l’amour des choses du Ciel, entièrement appuyé sur la
grâce et le secours de Dieu, de sorte que toute sa vie dépendit non de ses
mérites mais de l’aide de Dieu. Par la seconde étymologie, est indiquée la
profondeur de sa sagesse dont saint Denys dit ce qui suit dans sa Théologie
mystique* : « Le divin Barthélemy avance que la Théologie est tout
ensemble, développée et brève, l’Évangile ample, abondant et néanmoins
concis. » Saint Barthélemy veut insinuer par là, d'après l’opinion de
Denys, que la nature suprême de Dieu s'élève au-dessus de tout, au-dessus de
toute négation, comme de toute affirmation.
* Chapitre I, 3
** Bréviaire romain.
Saint Barthélemy, Apôtre, en venant en Inde**,
qui est située aux extrémités du monde, entra dans un temple où se trouvait une
idole nommée Astaroth, et il s'y arrêta comme ferait un voyageur. Dans cette
idole habitait un démon qui prétendait faire du bien aux malades ; or, il
ne les guérissait pas, mais il suspendait seulement leurs souffrances.
Cependant comme le temple était rempli de malades et que, malgré les sacrifices
offerts tous les jours pour les infirmes des pays les plus éloignés, on ne
pouvait avoir aucune réponse d'Astaroth, les malades allèrent à une autre ville
où l’on adorait une idole nommé Bérith. Ils demandèrent à Bérith pourquoi
Astaroth ne donnait pas de réponse, et il dit : « Notre dieu est lié
dans des chaînes de feu ; il n'ose ni respirer, ni parler, à dater du
moment où est entré l’Apôtre de Dieu Barthélemy » Ils lui disent :
« Et quel est ce Barthélemy ? » Le démon répondit : « C'est
l’ami du Dieu tout-puissant ; il est venu en cette province pour chasser
tous les dieux de l’Inde. » Et ils dirent : « Dis-nous à quels
signes nous pourrions le trouver. » Le démon reprit : « Il a les
cheveux crépus et noirs, le teint pâle, les yeux grands, le nez régulier et
droit, la barbe longue et mêlée de quelques poils blancs, la taille bien prise ;
il est revêtu d'une robe sans manches avec des nœuds couleur de pourpre, son
manteau est blanc garni de pierres précieuses couleur de pourpre à chaque coin.
Depuis vingt ans qu'il les porte, ses habits et ses sandales ne s'usent ni ne
se salissent. Chaque jour il fléchit les genoux cent fois pour prier, et autant
pendant la nuit. Les anges voyagent avec lui, et ils ne le laissent pas se
fatiguer, ni avoir faim. Son visage est toujours le même, toujours il est
joyeux et gai. Il prévoit tout, il sait tout. Il connaît et comprend les
langues de tous les pays, et ce que je vous dis en ce moment, il le sait déjà ;
quand vous le cherchez, s'il le veut, il se montrera à vous, mais, s'il ne le
veut pas, vous ne pourrez le trouver. Or, je vous prie, quand vous l’aurez
rencontré, conjurez-le de ne pas venir ici de peur que ses anges ne me fassent
ce qu'ils ont déjà fait à mon compagnon. » Après donc qu'on l’eut cherché
avec soin pendant deux jours sans le trouver, un démoniaque s'écria titi jour :
« Apôtre de Dieu, Barthélemy, tes prières me brûlent. » L'Apôtre lui
dit : « Tais-toi, et sors de cet homme. » À l’instant le possédé
fut délivré. En apprenant cela, le roi de ce pays nommé Polimius, qui avait une
fille lunatique, envoya prier l’Apôtre de venir chez lui et de guérir sa fille.
L'Apôtre étant venu chez le roi et voyant sa fille enchaînée, parce qu'elle
déchirait par ses morsures ceux qui l’approchaient, ordonna de la délier ;
et comme les serviteurs n'osaient l’approcher, il dit : « Déjà je
tiens enchaîné le démon qui était en elle, et vous craignez ? » On la
délia et elle fut délivrée. Alors le roi fit charger des chameaux d'or,
d'argent et de pierres précieuses, et fit chercher l’Apôtre qu'on ne put
rencontrer nulle part. Le lendemain matin, cependant, le roi étant seul dans sa
chambre, l’Apôtre lui apparut et lui dit : « Pourquoi m’as-tu cherché
toute la journée avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses ? Ces
présents sont utiles à ceux qui sont avides des biens de la terre ; quant
à moi, je ne désire rien de terrestre, rien de charnel. » Alors saint
Barthélemy se mit à lui apprendre beaucoup de choses sur la manière dont nous
avons été rachetés ; il lui montra, entre autres, que JÉSUS-CHRIST avait
vaincu le diable par convenance prodigieuse, par puissance, par justice et par
sagesse.
1° Il fut convenable en effet que celui qui
avait vaincu le fils d'une vierge, c'est-à-dire, Adam créé de la terre, alors
qu'elle était encore vierge, fût vaincu par le fils de la Vierge.
2° Il le vainquit par puissance ;
comme le diable, en faisant tomber l’homme, avait usurpé l’empire de Dieu, JÉSUS-CHRIST
l’en chassa avec sa toute-puissance. Et comme le vainqueur d'un tyran envoie
ses compagnons de victoire pour arborer ses drapeaux partout et pour abattre
ceux du tyran, de même JÉSUS-CHRIST vainqueur envoie partout ses messagers afin
de renverser le culte du diable et établir à la place le culte de JÉSUS-CHRIST
3° Il le vainquit avec justice. Il était
juste en effet que celui qui avait vaincu l’homme par le manger, et qui le
tenait encore sous sa puissance, fût vaincu par le jeûne d'un homme et
dépouillé de son usurpation.
4° Il le vainquit par sagesse, puisque les
artifices du diable furent déjoués par l’habileté de JÉSUS-CHRIST Tel fut
l’artifice du diable : comme un épervier qui saisit un oiseau, il devait
saisir JÉSUS-CHRIST dans le désert ; si en jeûnant JÉSUS-CHRIST n'avait
pas faim, il n'y aurait plus de doute qu'il fût Dieu ; mais s'il avait
faim, il l’aurait vaincu lui-même par la gourmandise comme il avait fait du
premier homme ; mais Dieu ne se fit pas connaître, parce qu'il eut faim ;
il ne put pas être vaincu, car il résista à sa tentation. Quand donc il eut
enseigné au roi les mystères de la foi, il ajouta que s'il voulait recevoir le
baptême, il lui montrerait son Dieu chargé de chaînes.
Le lendemain, les pontifes offraient,
vis-à-vis du palais du roi, un sacrifice à l’idole, quand le démon se mit à
crier en disant : « Cessez, misérables, de m'offrir des sacrifices,
de peur que vous ne souffriez pire encore que moi qui suis lié de chaînes de
feu par l’ange de JÉSUS-CHRIST que les Juifs ont crucifié, avec la pensée qu'il
serait retenu par la mort : au lieu qu'il a enchaîné la mort elle-même,
notre reine, et qu'il retient captif, dans des chaînes de feu, notre prince,
l’auteur de la mort. » Aussitôt tous se mirent en œuvre d'attacher des
cordes pour renverser l’idole, mais ils ne le purent. Alors l’Apôtre commanda
au démon de sortir de l’idole en la brisant : et à l’instant le démon
sortit et brisa lui-même toutes les idoles du temple. Puis l’Apôtre fit une
prière et tous les infirmes furent guéris. Alors saint Barthélemy consacra le
temple à Dieu et ordonna au démon de s'en aller dans le désert. L'ange du
Seigneur apparut en cet endroit, et, en volant autour du temple, il grava le
signe de la Croix avec le doigt aux quatre angles en disant : « Voici
ce que dit le Seigneur : Comme je vous ai purifiés de votre infirmité, de
même aussi ce temple sera purifié de toute souillure et de la présence de celui
qui l’habitait, puisque l’Apôtre l'a fait s'en aller au désert. Mais auparavant
je vous le ferai voir. Ne craignez pas en le regardant, mais faites sur votre
front un signe pareil à celui que j'ai sculpté sur ces pierres. » Et il
leur montra un Éthiopien plus noir que la suie, à la figure anguleuse, avec une
longue barbe, et des cheveux qui lui tombaient aux pieds, des yeux enflammés et
jetant des étincelles comme le fer rouge ; des flammes couleur de soufre
lui sortaient de la bouche et des yeux, et il avait les mains liées derrière le
dos avec des chaînes de feu. Et l’ange lui dit : « Puisque tu as
entendu l’ordre de l’Apôtre, et que tu as brisé toutes les idoles en sortant du
temple, je te délierai afin que tu puisses aller en tel endroit où aucun homme
n'habite, et que tu y restes jusqu'au jour du jugement. » Quand il fut délié
il disparut en hurlant et faisant un grand bruit ; mais l’ange du Seigneur
s'envola vers le ciel à la vue de tous les assistants. Alors le roi avec son
épouse, ses enfants et tout le peuple reçut le Baptême, après quoi il quitta
son royaume pour se faire le disciple de l’Apôtre.
Tous les pontifes des temples
s'assemblèrent et allèrent trouver le roi Astyage, son frère. Ils portèrent
contre l’Apôtre des plaintes concernant la perte de leurs dieux, la profanation
du temple et la séduction magique qu'on avait exercée contre le roi*. Alors le
roi Astyage indigné fit partir mille hommes armés pour prendre l’Apôtre. Quand
il eut été amené au roi, celui-ci lui dit : « Es-tu celui qui a
perverti mon frère ? » L'Apôtre répondit : « Je ne l’ai pas
perverti mais je l’ai converti. » Le roi lui dit : « De même que
tu as fait que mon frère abandonnât son dieu pour croire au tien, de même aussi
je te ferai abandonner ton Dieu pour sacrifier au mien. » L'Apôtre répartit :
« Le dieu qu'adorait ton frère, je l’ai lié et je l’ai fait voir lié ;
après quoi je l’ai forcé à briser la statue de l’idole : si tu parviens à
en faire autant à mon Dieu, alors tu pourras m’inviter à adorer la statue,
sinon, de mon côté, je briserai tes dieux et tu croiras au mien. »
* Bréviaire romain.
Comme l’Apôtre parlait encore, on annonce
au roi que son dieu Baldach s'était renversé et brisé en morceaux. À cette
nouvelle, le roi déchira la robe de pourpre dont il était revêtu ; ensuite
il fit fouetter l’Apôtre avec des verges, et commanda qu'on l’écorchât vif.
Mais les chrétiens enlevèrent son corps et l’ensevelirent avec honneur. Quant
au roi Astyage et aux pontifes des temples, ils furent saisis par les démons et
ils moururent : mais le roi Polimius fut ordonné évêque et, après avoir
rempli avec honneur, pendant vingt ans, le ministère épiscopal, il mourut en
paix et plein de vertus. - Il y a différentes opinions sur le genre de la
passion de saint Barthélemy, car le bienheureux Dorothée dit qu'il fut
crucifié. Voici ses paroles : « Barthélemy prêcha aux Indiens et il
traduisit dans leur langue l’Évangile selon saint Mathieu. Il s'endormit à
Albane, ville de la grande Arménie, et fut crucifié la tête en bas. » Mais
saint Théodore dit qu'il fut écorché. Cependant, dans beaucoup de livres, on
lit qu'il fut seulement décapité. On peut concilier ces opinions différentes,
en disant qu'il fut d'abord crucifié, ensuite qu'il fut descendu de la croix
avant de mourir, et que pour ajouter à ses tortures, il fut écorché et, qu'en
dernier lieu, il eut la tête tranchée.
L'an du Seigneur 831, les Sarrasins, qui
envahirent la Sicile, ravagèrent l’île de Lipard où reposait le corps de saint
Barthélemy, et, brisant son tombeau, ils dispersèrent ses ossements. Or, voici
comme on rapporte que son corps fut transporté de l’Inde dans cette île. Ces
païens voyant que son corps était en grande vénération à cause de la quantité
de miracles qu'il opérait, en furent remplis d'indignation et ils le
renfermèrent dans un coffre de plomb qu'ils jetèrent dans la mer. Dieu permit
qu'il abordât dans l’île susdite* ; et comme les Sarrasins avaient
dispersé ses os, quand ils se furent retirés, le saint apparut à un moine et
lui dit : « Lève-toi, rassemble mes os qui ont été dispersés. »
Le moine lui répondit : « Pour quelle raison devons-nous ramasser vos
os ou vous rendre quelque honneur, quand vous nous avez laissé exterminer sans
nous secourir ? » L'Apôtre reprit : « Pendant un long
espace de temps le Seigneur a épargné ce peuple en vue de mes mérites ;
mais ses péchés s'augmentant de plus en plus et criant jusqu'au ciel, je n'ai plus
pu obtenir pardon pour lui. » Comme le moine lui demandait comment il ne
pourrait jamais trouver ses os qui étaient confondus avec beaucoup d'autres, l’Apôtre
lui dit : « La nuit, tu iras pour les rassembler, et ceux que tu
verras briller comme du feu, tu les enlèveras. » Le moine trouva tout
ainsi que l’Apôtre lui avait dit : il enleva les os, et, s'embarquant sur
un vaisseau, il les transporta à Bénévent, métropole de la Pouille. Maintenant
on dit qu'ils sont à Rome, quoique les Bénéventins assurent les posséder
encore. Une femme avait apporté un vase plein d'huile qu'elle voulait verser
dans la lampe de saint Barthélemy. Mais de quelque façon que l’on penchât le
vase sur la lampe, il ne pouvait rien en sortir, quoiqu’en touchant l’huile
avec les doigts on la trouvât liquide. Alors quelqu'un s'écria : « Je
pense qu'il n'est pas agréable à l’Apôtre qu'on verse de cette huile dans sa
lampe. » C'est pourquoi on versa dans une autre lampe cette huile qui
coula aussitôt.
* Grég. de Tours, De Glor. Martyr, l. I,
c. XXXVIII.
Quand l’empereur Frédéric détruisit
Bénévent, il donna l’ordre de raser toutes les-églises ; car son intention
était de transporter la ville entière dans un autre endroit. Alors, un homme
rencontra quelques personnages revêtus d'aubes blanches et resplendissants qui
paraissaient parler ensemble et discuter entre eux une question. Cet homme,
rempli d'étonnement, demanda qui ils étaient, et l’un d'eux répondit :
« Voici l’Apôtre Barthélemy avec les autres saints qui se trouvaient dans les
églises dans la ville : ils se sont réunis pour chercher et discuter de quelle
peine devra subir celui qui les a chassés de leurs demeures : déjà ils ont
décidé entre eux et leur sentence est inviolable, que le coupable sera traduit sans
retard au tribunal de Dieu devant lequel il aura à répondre de tout cela. »
Et peu après, ledit empereur mourut misérablement.
On lit dans un livre des Miracles des
Saints, qu'un Docteur célébrait solennellement chaque année la fête de
saint Barthélemy. Un jour qu'il prêchait, le diable lui apparut sous
l’apparence d'une jeune fille remarquablement belle : Le prédicateur jeta
les yeux sur elle et l’invita à dîner. Pendant le repas, elle faisait tous ses
efforts pour lui inspirer de l’amour. Saint Barthélemy vint à la porte sous la
figure d'un pèlerin qui demanda avec instance qu'on le fit entrer pour l’amour
de saint Barthélemy. La jeune fille s'y opposa et on envoya au pèlerin un pain
que celui-ci refusa d'accepter.
Alors, par le messager, il envoya prier le
maître de lui dire ce qui était plus particulièrement propre à l’homme. Le
maître prétendait que c'était le rire, mais la jeune fille répondit :
« Dites plutôt le péché avec lequel l’homme est conçu, naît et vit. »
Barthélemy répondit que le maître avait bien parlé mais qu’elle, femme, avait
donné une réponse renfermant un sens plus profond.
En second lieu, le pèlerin envoya demander
au maître de lui indiquer un endroit n'ayant qu'un pied d'étendue où Dieu avait
manifesté les plus grandes merveilles. Comme le maître disait que c'était
l’endroit de la Croix dans lequel Dieu a opéré des miracles, la femme dit :
« C'est plutôt la tête de l’homme dans laquelle existe comme un petit
monde. » L'Apôtre approuva la sentence de l’un et de l’autre.
Troisièmement, il demanda quelle distance
il y avait depuis le haut du ciel jusqu'au bas de l’enfer. Comme le maître
avouait qu'il ne le savait pas, la femme dit : « Je vois maintenant
que je suis surpassée : mais je le sais, moi, qui suis tombée de l’un dans
l’autre ; et il faut que je te montre cela. » Alors le diable en
poussant un grand hurlement se précipita dans l’abîme. Or, quand on chercha le
pèlerin, on ne le trouva pas. On lit quelque chose d'à peu près semblable de
saint André.
Saint Ambroise, dans la préface qu'il a
composée pour cet Apôtre, raconte ainsi sa légende en abrégé : « Ô
Jésus, vous avez daigné manifester d'une manière admirable votre majesté à ceux
que vous avez chargés de prêcher votre Trinité qui forme une seule divinité.
Parmi eux, c'est sur saint Barthélemy que vous avez daigné jeter les yeux pour
l’envoyer prêcher un peuple éloigné. Aussi, l’avez-vous orné de toutes sortes
de vertus. Ce peuple, bien que séparé du reste du monde, vous a été acquis et a
été rapproché de vous par les mérites de la prédication de votre Apôtre. De
quelles louanges n'est pas digne cet homme merveilleux ! Ce n'est pas
assez pour lui de gagner à la Foi les cœurs de ceux qui l’environnent ; il
vole plutôt qu'il ne marche vers les extrémités du monde habitées par les
Indiens. Une multitude innombrable de malades le suit dans le temple du démon
et, à l’instant, ce père du mensonge ne donne plus de réponses. Oh !
Combien furent merveilleux les prodiges de sa vertu ! Un sophiste veut
argumenter contre lui, l’Apôtre ordonne et le sophiste reste muet et épuisé. La
fille du roi que le démon tourmentait, il la délivre et la rend guérie à son
père. Oh ! Prodige de sainteté ! Il force le démon à réduire en
poudre les idoles sous lesquelles l’antique ennemi du genre humain se faisait
adorer. Il peut bien être compté dans l’armée du Ciel celui auquel apparut un
ange envoyé de la Cour Céleste afin de rendre un témoignage certain à la Vérité !
Cet ange montre le démon enchaîné et grave sur la pierre le signe de la Croix
qui a sauvé les hommes. Le roi et la reine sont baptisés avec leur peuple, et
les habitants de douze villes vous confessent de corps et de cœur. Enfin, sur
la dénonciation des pontifes païens, un tyran, le frère de Polémius encore
néophyte, fait battre de verges l’Apôtre, et le fait écorcher et périr de la
mort la plus atroce. » Le bienheureux Théodore*, abbé et docteur, dit
entre autres ces paroles au sujet de saint Barthélemy : « L'Apôtre
Barthélemy prêcha premièrement en Lycaonie, ensuite en Inde, enfin à Albane,
ville de la grande Arménie où il fut d'abord écorché et enfin décapité ;
il y fut aussi enseveli. »
* Cf. Anastase le
Biblioth., t. III, p. 732.
Quand il reçut du Seigneur la mission de
prêcher, je pense qu'il entendit qu'on lui adressait ces mots : « Mon
disciple, va prêcher, va au combat, affronte les périls ; J'ai achevé
l’œuvre de Mon Père, J'ai été témoin le premier ; accomplis la tâche qui
t'est imposée, marche sur les pas de ton Maître, donne sang pour sang, chair
pour chair, endure ce que J'ai enduré pour toi dans Ma Passion. Que tes armes
soient la bénignité au milieu de tes fatigues, et la douceur vis-à-vis des
méchants, et la patience dans cette vie qui passe. » L'Apôtre accepta, et
comme un serviteur fidèle, il acquiesça à l’ordre de son Seigneur ; il
s'avance plein de joie comme la lumière du monde, afin d'éclairer ceux qui
vivaient dans les ténèbres : c'est le sel de la terre qui conserve les
peuples énervés, c'est le laboureur qui met la dernière main à la culture des
cœurs. L'Apôtre saint Pierre enseigne aussi les nations, saint Barthélemy en
fait autant ; Pierre opère de grands prodiges, Barthélemy fait des
miracles éclatants ; Pierre est crucifié la tête en bas, Barthélemy, après
avoir été écorché vif, est décapité. Autant Pierre conçoit les mystères, autant
en pénètre Barthélemy. Il féconde l’Église comme le prince des Apôtres ;
les grâces qu'ils ont reçues tous les deux se balancent. De même que la harpe
produit des accords harmonieux, de même Barthélemy, qui tient le milieu dans le
mystérieux nombre douze, s'accorde avec ceux qui le précèdent comme avec ceux
qui le suivent pour produire des sons mélodieux au moyen de la Parole divine.
Tous les Apôtres, en se partageant l’univers, ont été établis les pasteurs du
Roi des rois. L'Arménie qui s'étend de Éjulath jusqu'à Gabaoth est la partie
qui lui échoit ; aussi voyez-le se servir de sa langue comme d'un soc pour
labourer le champ de l’esprit des hommes dans les cœurs desquels il enfouit la
parole de sa Foi ; il plante les jardins et les vignes du Seigneur, il
greffe les remèdes qui guériront les passions de chacun, il extirpe les épines
nuisibles, il coupe le bois de l’impiété, il entoure le dogme de défenses. Mais
qu'ont-ils gagné pour l’offrir au Créateur ! Au lieu des honneurs, ils
n'ont que déshonneur ; au lieu de bénédiction, malédiction ; au lieu
des récompenses, des tourments ; au lieu d'une vie de repos, la mort la
plus amère : car après avoir subi des supplices intolérables, Barthélemy fut
écorché par les impies comme s'ils avaient prétendu en faire un sac et, après
sa sortie de ce monde, il ne méprisa pas ceux qui l’avaient tué ; mais
ceux qui se perdaient, il les attirait par des miracles, ceux qui étaient des
adversaires, il les gagnait par des prodiges. Cependant il n'y avait rien qu'il
n'employât pour calmer leur fureur aveugle, et pour les éloigner du Mal. Or,
comment se comportent-ils ensuite ? Ils s'acharnent contre le corps du
saint. Les malades méprisent celui qui les voulait guérir ; les orphelins,
celui qui les menait par la main ; les aveugles, leur conducteur ;
les naufragés, leur pilote ; les morts, celui qui leur rendait la vie. Et
comment cela ? En jetant ce corps saint dans la mer. »
« Le flot poussa des rivages de
l’Arménie le coffre où étaient les ossements du saint avec quatre autres
coffres d'os de martyrs qui avaient été jetés aussi dans la mer. Pendant tout
le trajet, les quatre coffres précédaient celui de l’Apôtre auquel ils
semblaient faire cortège. Ils abordèrent ainsi, auprès de la Sicile, dans une
île appelée Lipari. Le prodige fut révélé à l’évêque d'Ostie qui se trouvait
présent. Ce trésor inestimable vint dans un lieu très pauvre. Cette pierre des
plus précieuses vint aborder sur un rocher, cette lumière resplendissante se
répandit dans un lieu obscur. Les quatre autres coffres allèrent dans
différents pays et laissèrent le saint Apôtre dans l’île citée plus-haut. En
effet, l’Apôtre laissa les quatre martyrs par derrière et envoya l’un, à savoir :
Papinus, dans une ville de Sicile nommée Milas, un autre qui s'appelait Lucien,
à Messine ; les deux autres, il les fit aller dans la Calabre, à savoir :
Grégoire dans la cité de Colonne, et Achatius dans la cité de Chale où jusqu’à
aujourd'hui ils brillent par les faveurs qu'ils accordent. Le corps de saint
Barthélemy fut reçu au chant des hymnes, au milieu des louanges ; on alla
au-devant de lui avec des flambeaux, et on éleva en son honneur un temple
magnifique. Le mont Volcano, voisin de l’île, causait des dommages aux
habitants parce qu'il jetait du feu, il s'éloigna de sept stades sans qu'on le
vît, et s'arrêta au milieu de la mer, en sorte qu'aujourd'hui encore on n'en
aperçoit plus que l’apparence d'un feu qui s'échappe. Maintenant donc, salut, ô
bienheureux des bienheureux ! Trois fois heureux Barthélemy qui êtes la splendeur de la lumière divine, le pêcheur de la
sainte Église, l’homme habile à prendre les poissons doués de raison, le doux
fruit du palmier vivace, l’exterminateur du diable occupé à blesser le monde
par ses violences ! Gloire à vous, soleil qui éclairez tout ce qu'il y a
sur la terre, bouche de Dieu, langue de feu qui répand la Sagesse, fontaine
intarissable de santé qui avez sanctifié la mer dans votre course, qui avez
rougi la terre de la pourpre de votre sang, qui êtes monté aux Cieux où vous
brillez dans l’armée divine, qui êtes environné d'un éclat, d'une gloire
incorruptible, et qui nagez dans des transports d'un bonheur sans fin !* »
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