DIEU A
HABITÉ PARMI NOUS
Le texte que nous
vous proposons ici est une réflexion personnelle. Nous souhaitons qu’elle soit
une préparation au temps de Noël si le lecteur le désire. Les citations et les références des
textes bibliques sont nombreuses. Que le lecteur nous pardonne s’il les trouve
trop envahissantes ; nous les avons introduites dans l’espoir de rendre la
Bible plus familière et de donner la soif de découvrir ses richesses.
De Franz Krause : adoration des Bergers
(église Saint-Michel à Dijon)
Dans quelques jours, ce sera Noël, l’une des
grandes fêtes chrétiennes. Mais une fête qui a peut-être plus ou moins perdu de
sa signification profonde, dans un monde qui vit une crise spirituelle et pour
lequel ce qui est affectif compte plus que ce qui est religieux, peut-être
aussi à cause de la concurrence de nombreuses offres de loisirs et d’évasion à
cette époque de l’année. En cette année 2011, la fête de Noël s’inscrit aussi
dans la crise financière qui touche le monde entier et engendre une incertitude
insupportable pour l’avenir, avenir qui apparaît plein de périls, vrais ou
supposés.
Aujourd’hui, personne ne semble être à l’abri de
l’affaiblissement du sens de Noël. Aussi est-il bon d’essayer d’opérer un
retour sur l’origine de Noël, et principalement sur ce qu’il faut bien appeler
la venue de Dieu en ce monde, d’où le titre retenu pour l’enseignement de
l’Avent :
« Dieu a habité parmi nous »
Qu’on ne s’attende pas ici à une étude
exhaustive ; nous proposons plutôt une approche, qui servira de point de
départ à chacun pour une méditation personnelle, s’il le désire. Le plan en est
très simple. Il s’articule en deux parties :
1 - D’abord, si je retiens pour vraie l’affirmation : « Dieu a
habité parmi nous », alors pourquoi a-t-il eu ce désir ?
2 - Ensuite, si je reconnais Jésus comme envoyé de Dieu, en quoi sa Résurrection est-elle si importante pour moi ?
1– Dieu a voulu habiter
parmi nous
Dans l’histoire de l’humanité, Dieu a choisi un
peuple pour être un peuple à part parmi les nations : « Ton serviteur est au milieu du peuple que Tu as élu, un peuple
nombreux, si nombreux qu'on ne peut le compter ni le recenser. » (1 R
3,8), ce que confirme cet extrait du livre d’Isaïe : « Les bêtes sauvages m'honoreront, les chacals
et les autruches, car j'ai mis dans le désert de l'eau et des fleuves dans la
steppe, pour abreuver mon peuple, mon
élu. Le peuple que je me suis formé publiera mes louanges. » (Is
43,20-21). Le peuple juif a une histoire ancrée sur l’attente d’un envoyé de
Dieu, un Élu de Dieu, le Messie, fils de David (Lc 1,32), dont la naissance a
été prophétisée par Michée : « Et
toi, Bethléem-Éphrata, petite parmi les clans de Juda, c'est de toi que sort
pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mi 5,1a). Ce Messie tant
espéré se fait attendre et cette attente crée un manque dans le cœur des Juifs,
car l’histoire du peuple juif est une histoire d’amour : on se reportera
avec profit au passage du prophète Isaïe (chapitre 54, versets 7-10) : « Un court instant je t'avais délaissée, ému
d'une immense pitié, je vais t'unir à moi. Débordant de fureur, un instant, je
t'avais caché ma face. Dans un Amour éternel, J'ai eu pitié de toi, dit Yahvé,
ton rédempteur. Ce sera pour moi comme au temps de Noé, quand j’ai juré que les
eaux de Noé ne se répandraient plus sur la terre. Je jure de même de ne plus
m'irriter contre toi, de ne plus te menacer. Car les montagnes peuvent
s'écarter et les collines chanceler, mon Amour ne s'écartera pas de toi, mon
alliance de paix ne chancellera pas, dit Yahvé qui te console. »
(Isaïe 54,7-10). Au cours des siècles, se précisera de plus en plus cette
notion d’envoyé, mais, même à
l’époque de Jésus, des doutes subsisteront sur sa véritable personnalité.
Messie, décalqué de l'hébreu et de l'araméen, et Christ, transcrit du
grec, signifient tous deux "qui a reçu l’onction". Cette
appellation est celle qui sera retenue pour Jésus. Elle soulignait d'ailleurs
avec bonheur le lien profond qui rattachait sa personne à l'espérance
millénaire du peuple juif, centrée sur l'attente du Messie, fils de David.
Néanmoins les emplois du mot dans l'Ancien Testament puis dans le judaïsme ne
comportaient pas encore la richesse de sens que le Nouveau Testament a donné au
mot Christ, qui l’a transformé en
projetant sur ce mot la lumière d'une révélation inscrite dans les paroles et
dans l'histoire de Jésus.
Dans l'Ancien
Testament, le mot Messie eut
plusieurs significations, désignant tout d'abord un roi ; mais plus tard
ce mot a désigné aussi d'autres personnages, notamment les prêtres. Néanmoins,
c’est le premier usage du mot et qui a laissé le plus de traces dans l'histoire
du peuple juif ainsi que dans son espérance. On pourra se reporter avec
intérêts au livre des psaumes, et notamment le psaume 45 au verset 8, qui met
en évidence la place du mot Messie
dans la vie de la foi d'Israël, l'onction étant le signe d'une préférence
divine. Cependant il arrivera que le peuple juif doutera de la sollicitude de
Dieu, notamment lorsqu'après la chute de Jérusalem les juifs seront déportés à
Babylone. Le peuple juif ne comprendra pas pourquoi Dieu a rejeté son peuple.
L'humiliation ressentie sera une épreuve pour la foi d'Israël, d'autant qu’il
n'y aura plus, à cette époque, de messie royal à la tête du peuple juif (Cf Lm
4,18-20).
L'espérance juive
enracinée dans les textes sacrés est extrêmement vive à l'époque du Nouveau
Testament, notamment chez les Pharisiens, dont on ne dira jamais assez que
c'est grâce à eux que la foi du peuple juif a pu se maintenir intacte ;
cependant plus tard ce mot pharisien prendra
une connotation péjorative par ce que ces hommes seront plus attachés à la
lettre de la Loi qu’à son esprit. Le Messie est perçu comme un Messie royal par
tout le peuple, ou un Messie sacerdotal dans certains milieux ; c’est
cette différence de perception qui sera à l'origine du malentendu qui conduira
à la perte de Jésus après son entrée triomphale à Jérusalem. Mais les promesses
contenues dans les Écritures ne se réduisent pas qu’à cela : l’espérance
juive est souvent liée à des rêves de restauration temporelle. Les Écritures
annonçant également l'instauration du Royaume de Dieu engendrent une nouvelle
confusion dans les esprits, confusion entre la notion de roi et le Royaume du
ciel. Jésus annonce un royaume du ciel alors que les juifs de son époque
attendent la restauration de la royauté d'Israël, ce sera notamment le cas des
zélotes. Seule la venue de Jésus dissipera sur ce point l'ambiguïté des
prophéties.
Quand Pierre et Jean, animés par l’Esprit-Saint,
guérissent l’infirme de la porte du Temple au nom de Jésus le Nazaréen (Cf. Ac
3), Pierre s’adresse au peuple et lui dit en substance que, par Jésus, son Messie, Dieu a accompli ce qu'il avait annoncé d'avance par la bouche de tous les
prophètes. Quel est donc alors
ce Messie annoncé par les prophètes ?
Au chapitre 11 du livre d’Isaïe (versets 1 à10),
le prophète présente le Messie comme étant descendant de David, et que, rempli
de l'Esprit-Saint, le Messie fera naître un monde nouveau. Dans ce court
passage, le prophète définit les caractères essentiels du Messie :
à Son origine :
1 Un rameau sortira de la souche de
Jessé, père de David,
un rejeton jaillira
de ses racines.
à Son intelligence :
2 Sur lui reposera
l'esprit du Seigneur.
à Sa sagesse, qui sera impressionnante :
Comme un bâton, sa
parole frappera le pays,
à Sa mission enfin : universelle, elle annoncera la venue d’un Monde Nouveau
où règnera l’Amour et d’où la violence et la mort auront définitivement
disparu.
6 Le loup habitera avec l'agneau,
8 Le nourrisson s'amusera sur le nid du
cobra,
9 Il ne se fera plus rien de mauvais ni
de corrompu
Dans cette description, on ne trouve aucune
précision sur la nature du Messie : sera-t-il un roi temporel ou bien
sera-t-il un envoyé de Dieu, et encore quel type d'envoyé ? On se
rappellera ici la confusion qui était présente dans l'esprit des autorités
juives lorsque Jean le Baptiste prêchait dans le désert (Jn 1,19), confusion
qui sera encore confirmée plus tard lorsque Jésus lui-même demandera à ses
disciples : « Pour vous qui
suis-je ?, Et pour les gens qui suis-je ? » (Mt 16,13.15)
Le prologue de l’Évangile de
Jean
C’est saint Jean qui mettra le point final à la
révélation du Messie, dans le très connu prologue de son évangile, qui rappelle
de façon très forte le récit de la Genèse sur la création du monde, récit où
Dieu affirme de manière très claire son Amour pour cette création au sommet de
laquelle il a placé l’homme :
Au commencement
était le Verbe, la Parole de Dieu,
et le Verbe était
auprès de Dieu,
et le Verbe était
Dieu.
Il était au
commencement auprès de Dieu.
Par lui, tout s'est
fait,
et rien de ce qui
s'est fait ne s'est fait sans lui.
(Jn 1, 1-3)
Plus loin, il
ajoute :
Le Verbe était la vraie Lumière,
qui éclaire
tout homme en venant dans le monde.
Il était dans le monde,
lui par qui le
monde s'était fait
(Jn 1,9-10)
C’est ainsi que Jean exprime sa foi. Le Verbe,
c’est-à-dire Jésus-Christ, est venu dans notre monde pour porter la lumière de
Dieu à tous les hommes disposés à la recevoir. Tous les évènements que rapporte
saint Jean, toutes les paroles de Jésus qu’il a consignées, le rappel des actes
de celui qu’il désigne comme l’envoyé de Dieu, le Fils de Dieu, Dieu lui-même,
tout cela Jean peut le proclamer parce que
« Celui
qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi. Son témoignage est
véridique et le Seigneur sait qu'il dit vrai. » (Jn 19,35)
Jean s’affiche ainsi comme témoin authentique de
ce qu’il rapporte, un témoin que les siècles à venir ne parviendront pas à
récuser, un témoin privilégié parmi des milliers qui vont subir le martyre pour
la même foi, un témoin qui affirme que Dieu s’est fait homme et a habité parmi
nous.
Frappés par la
sainteté, l'autorité et la puissance de Jésus, ses auditeurs s'interrogent :
« Dans la foule, beaucoup crurent en
lui et disait : le Christ, quand il viendra, fera-t-il plus de signes que
n'en a faits celui-ci ? » (Jn 7,31)
Leur perplexité
persistera car en effet plusieurs questions se posent à eux : par exemple
« N'est-ce-pas le Messie ? », question qui sera posée par
la Samaritaine à ses congénères en revenant du puits après son entretien avec
Jésus (Jn 4,29). Ou encore : "N'est-ce-pas le fils de David ?",
exprimant la stupeur de la foule qui a assisté à la guérison du démoniaque
aveugle et muet (Mt 12,23). Et elle presse Jésus de se déclarer lors de la fête
de la Dédicace, les juifs faisant cercle autour de Jésus et lui demandant :
« jusqu'à quand vas-Tu nous tenir en
haleine ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement. » (Jn 10,24), car les avis sont partagés et certains s'en
irritent.
À la lumière de
Pâques, maintenant libérée de toute équivoque et incertitude, la jeune Église
attribue donc à Jésus ce titre de Messie-Christ.
Il lui faut montrer aux Juifs, et les en convaincre, que le Christ, objet de
leur espérance, est venu en la personne de Jésus. Cette démonstration repose
sur une théologie très sûre qui souligne la continuité des deux Alliances et
voit dans la seconde l'accomplissement de la première, comme leur maître l'a
affirmé : « N'allez pas croire que Je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes :
je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5,17). Jésus apparaît ainsi comme le véritable fils de David, destiné
dès sa conception en vertu de l'Esprit-Saint à recevoir le trône de David, pour
conduire à sa fin la royauté israélite en établissant sur terre le Royaume de
Dieu. C'est la Résurrection qui l'a intronisé dans sa gloire royale.
Avec Jésus, reconnu comme Christ par ses
disciples et les premiers chrétiens, se révèlent enfin les intentions de Dieu
envers l’humanité. Les textes qui les explicitent sont relativement peu
nombreux, mais ils suffisent cependant à éclairer notre propos : on peut
citer deux passages des épîtres de saint Paul, aux Romain (8,28) et aux Éphésiens
(1,4-14). Dans cette dernière, Paul écrit ceci :
Selon la
richesse de sa grâce, que Dieu nous a prodiguée, en toute sagesse et
intelligence, Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, ce dessein
bienveillant qu'Il avait formé en lui par avance, pour le réaliser quand les
temps seraient accomplis : ramener toutes choses sous un seul Chef, le
Christ, les êtres célestes comme les terrestres. (Ep 1,7b-10)
Dieu a voulu le salut universel dans le Christ :
le grand dessein de Dieu, c’est de rassembler toute la création dans le Christ,
qui est la tête de l'Église. Ce dessein
de Dieu est resté longtemps caché aux hommes jusqu’au moment où Dieu a jugé bon
de le révéler dans son entier :
« à moi, le moindre
de tous les saints, a été confiée cette grâce-là, d'annoncer aux païens
l'insondable richesse du Christ et de mettre en pleine lumière la dispensation
du Mystère : il a été tenu caché depuis les siècles en Dieu, le Créateur
de toutes choses, pour que les Principautés et les Puissances célestes aient
maintenant connaissance, par le moyen de l'Église, de la sagesse infinie en
ressources déployée par Dieu en ce dessein éternel qu'il a conçu dans le Christ
Jésus notre Seigneur. » écrira
saint Paul (Ep 3,8-11).
Dieu s'est fait connaître aux hommes dès le début de
ce que l'on peut appeler l'Histoire : il y eut Abraham, puis Moïse par
lequel Dieu donna aux hommes sa Loi, ensuite il y eut
les prophètes inspirés par Dieu, mais le cœur des hommes est souvent resté
fermé à leurs paroles. Enfin, précédé par Jean-Baptiste,
le dernier grand prophète, sinon le plus grand, vint Jésus, celui que Dieu avait prévu dans son immense sagesse pour révéler son plan de salut. Espérance des hommes, Jésus, le Messie (Christ), est venu jusqu’à nous pour nous conduire au Père, son Père, mais aussi notre
Père, qui a voulu ainsi manifester son Amour
infini pour l’humanité de tous les temps, Amour qui s’exerce
dans deux directions, celle de la création façonnée par Dieu, et celle du
malheureux implorant Dieu, afin que tous les hommes soient réunis pour une vie éternelle, en ce que les
évangiles appellent "le Royaume", et que ce qui était la Loi
fut accompli entièrement dans l’Amour (« L'accomplissement parfait de la Loi, c'est l'Amour. » en Rm 13,10). Notons au passage
l’insistance marquée par tous les textes à propos de l’Amour de Dieu ; si
on enlève l’Amour de Dieu de toute l’histoire de l’humanité, il ne reste qu’un
banal récit sans fil conducteur, une absurdité comme le soulignera le
philosophe Jean Guitton.
Par Jésus, Dieu accomplissait ce qu'il avait annoncé
d'avance par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait (Ac
3,18) et mourrait sur la Croix (Cf Isaïe
52,13-53,12 : quatrième chant du Serviteur). Mais
Jésus, dont Dieu avait authentifié la mission en
accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes, Dieu l'a
ressuscité en mettant fin aux douleurs de la mort, car il n'était pas possible
qu'elle le retienne en son pouvoir (Cf. Ac 2,22-24).
Tout cela, nous le savons aujourd’hui par le
témoignage de ceux qui ont vécu à cette époque. La conclusion appartient à
saint Jean :
« Nous qui avons vu,
nous attestons que le Père a envoyé son Fils
comme Sauveur du monde. »
(1 Jn 4,14)
Il ne faut pas oublier que la foi, qui est la
nôtre en ce temps, bénéficie à la fois de l’action d’évangélisation des tout
premiers témoins des évènements et de la réflexion entreprise par la suite par
les premiers chrétiens dans les quatre premiers siècles de notre ère.
Ce qu’il nous faut retenir, c’est que tout au
long de l’histoire de l’humanité, l’Amour de Dieu pour sa Création ne cesse pas
d’être une réalité. Nous l’avons évoqué avec Isaïe, nous le retrouvons dans les
textes du Nouveau Testament, et c’est peut-être saint Jean qui l’exprime le
plus clairement en son chapitre 15 :
« Comme le Père m'a aimé, Moi aussi Je vous
ai aimés. Demeurez dans mon Amour. ... Aimez-vous les uns les autres comme Je
vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand Amour que de donner sa vie pour ses
amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que Je vous commande. Je ne vous
appelle plus serviteurs, ... maintenant, Je vous appelle mes amis, car tout ce
que J'ai appris de mon Père, Je vous l'ai fait connaître. » (Jn 15,9-13 et 17,26).
2 – Le sens profond de
l’Incarnation
Jésus est-il un personnage
historique ?
Avant de poursuivre, il nous paraît
indispensable de se poser la question : Jésus a-t-il existé, en un mot
est-il un personnage historique ? Il est certain que l'historicité de
Jésus n’est pratiquement plus contestée aujourd’hui, même par des historiens
agnostiques. Des écrits contemporains de Jésus permettent d'affirmer que Jésus a existé. Ces écrits doivent être
reçus avec toutes les ressources et les précautions de la critique historique,
aucun d’eux n’ayant été rédigés selon les normes modernes de la relation
historique.
Quels sont donc les textes qui parlent de Jésus
en dehors des évangiles et autres épîtres apostoliques ? Citons trois
auteurs romains (Pline le Jeune dans Lettres,
panégyrique de Trajan, livre X, lettres 96 et 97 ; Tacite dans ses Annales (15,44) (début du 2ème siècle) et dans Vie de Néron 16 ; et Suétone dans Vie de Claude (25,4) où Suétone justifie l’expulsion des juifs de
Rome (en 41 ou 49) par l’agitation soulevée par un certain Christus), et enfin
un historien juif, Flavius Josèphe. Il y eut aussi Philon d’Alexandrie,
philosophe grec d’origine juive, né en 20 av .JC, mort vers 54.
Que disent
ces textes de Jésus ?
a) Chez les Juifs, peu de choses si ce n'est un passage de Flavius Josèphe
(historien juif né en 37 et mort en 100), passé du côté des Romains. Certains
ont pensé que ce texte était trop élogieux pour Jésus, et par conséquent que
c'était un faux ! L'avis dominant aujourd'hui est qu'au moins le noyau du
texte de Flavius Josèphe est authentique. Voici le passage essentiel, extrait
de : Antiquités juives, publiées en
93-94, XVIII, 63-64 :
"À cette époque-là, il y eut un homme sage
nommé Jésus, si seulement il est juste de l'appeler un homme, car c'était un
faiseur d'œuvres merveilleuses. Et beaucoup de juifs et de gens d'autres
nations se firent ses disciples. Pilate, sur la proposition des principaux
parmi nos chefs, le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui
s'étaient fait ses disciples prêchèrent sa doctrine. Ils racontèrent qu'il leur
apparut trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant comme les divins
prophètes l'avaient prédit, de même que dix mille autres choses merveilleuses
le concernant. Et le groupe des chrétiens, c'est ainsi qu'ils se nomment
depuis, n'est pas éteint à ce jour."
À part ce texte, le
silence des sources juives s'explique par la rupture entre la Synagogue et
l'Église, consommée en 70. Dès lors, les autorités juives interdirent toute
mention du fait chrétien. Un texte tardif du Talmud (Sanhédrin 43a) a pourtant recueilli sans doute une ancienne
tradition : « La veille de la
Pâque, ils pendirent Yeshou de Nazareth et le héraut le précéda pendant
quarante jours disant : "Yeshou de Nazareth va être lapidé, car il a
pratiqué la sorcellerie et trompé et égaré Israël. Que celui qui connait
quelque chose pour sa défense vienne et plaide pour lui. Mais ils ne trouvèrent
rien en sa défense et le pendirent à la veille de la Pâque". »
b) Les Romains,
eux, n'avaient aucune raison de s'intéresser directement à la personne de
Jésus. Les sages de Rome n'avaient pas grande estime pour les superstitions de
l'Orient, parmi lesquelles ils rangeaient le judaïsme et plus tard sa variante,
le christianisme. Jésus passe donc inaperçu. Mais, dès le 1er siècle,
apparaissent les chrétiens. Ils sont persécutés.
Qui sont-ils ?
Vers 111, l’historien Pline le jeune parle de gens qui se réunissent "à jour fixe avant le lever du soleil, et
chantent un hymne au Christ comme à un dieu". Un autre historien,
Tacite, explique comment Néron, en l'an 64, a pu persécuter les chrétiens sans
avoir rien à leur reprocher : "Ce
nom leur vient du Christ, qui a été exécuté sous le règne de Tibère par le
procurateur Ponce Pilate". Suétone parle de Jésus indirectement.
En conclusion, les quelques mentions du Christ Jésus dans la littérature
juive ou païenne suffisent à confirmer son existence et orientent l'attention
vers l'essentiel : sa Mort et la foi en sa Résurrection. Mais presque tout
ce que nous savons de la vie et de l'enseignement de Jésus vient des sources
chrétiennes, spécialement des quatre évangiles. En effet, la source de loin la
plus importante pour connaître la vie, l'action et l'itinéraire de Jésus est le
Nouveau Testament. Les quatre évangiles nous racontent en détail la vie de
Jésus. Parmi eux, les trois premiers évangiles, ceux de Marc, Matthieu et Luc,
appelés synoptiques, sont étroitement apparentés ; l'évangile de Jean, au
contraire, a un caractère propre. Par ailleurs, nous connaissons encore des
paroles isolées du Seigneur, que le Nouveau Testament ne nous transmet pas,
mais qui sont attestées par des Pères de l'Église. En dehors de ces documents,
les informations sur Jésus sont plus tardives, rares et pauvres. Néanmoins,
aucun historien sérieux ne conteste plus aujourd'hui que Jésus ait réellement
vécu en Palestine et qu'il soit mort crucifié à Jérusalem, vers l'an 30 de
notre ère, quand le gouverneur romain était Ponce Pilate.
Et n’omettons pas de citer d’autres écrits, les
apocryphes, des textes qui citent Jésus mais que l’Église ne reconnaît pas
officiellement. Leur lecture et leur analyse doivent rester prudentes ;
ils présentent cependant de l’intérêt par certains côtés pour se faire une idée
des débuts du christianisme.
L’originalité du christianisme
L’originalité de la religion chrétienne est
double :
1-Elle affirme qu’un homme, envoyé de Dieu, est
ressuscité (retenons cette formulation pour quelques instants).
2-Son Dieu est unique, mais en trois personnes
de même nature.
1-À y regarder de plus près, force est de
constater que la religion qui va émerger, se fortifier, se développer, pour
finir par s’imposer dans le monde romain, est la seule qui affirme qu’un homme, envoyé de Dieu, est ressuscité.
Certains Juifs n’ont pas osé franchir le pas ; les religions qui les ont
précédés n’ont pas également osé aller si loin, de même celle qui suivra
quelques siècles plus tard. Pour toutes, Dieu est l’inaccessible ; Dieu ne
descend pas au niveau de sa création, Dieu reste Dieu mais ne partage pas la
nature de sa créature suprême qu’est l’homme.
Aucune autre religion ne parle de résurrection.
Au mieux on envisage une suite de vies, des "réincarnations", mais dans un éventail de possibilités toutes
plus attristantes les unes que les autres. Ce dernier phénomène traduit
l’aspiration de beaucoup d’hommes et de femmes, selon laquelle la vie n'a de
sens que si elle ne se limite pas à l'existence terrestre ; l'humanité
aspire à une forme de vie au-delà de la mort, dépouillée de toute injustice, de
toute souffrance, de toutes les contraintes et limites de la condition humaine
sur Terre. L'originalité du christianisme est de prétendre à la résurrection
des morts, leur existence terrestre ne couvrant qu'une vie. Après la mort, il y
a une autre vie, la mort n'étant qu'une étape transitoire et la Résurrection de
Jésus-Christ étant là pour le prouver ; certains parlent même de re-naissance.
2-Autre originalité, et de taille celle-là, le
christianisme est une religion monothéiste, mais son Dieu est unique en trois
personnes de même nature. Comment expliquer simplement cela ?
La raison parvient à concevoir l'unicité de
Dieu. Il ne saurait y avoir plusieurs dieux, car affirmer qu'il y a des dieux,
c'est inévitablement créer une subordination entre eux ; c’est même
envisager qu’ils puissent entrer en conflit. Quelle est alors la place de
l’homme ? C’est un jouet pour certains de ces dieux ; c’est bien ce
que concevaient les mythologies. C’est aussi, vraisemblablement, finir par
affirmer qu'il y a un dieu au-dessus de tous les autres. La philosophie grecque
a évolué ainsi.
Que dit la Bible ? Des textes et psaumes
anciens mentionnent les dieux des nations, qu'ils subordonnent au Dieu d'Israël :
c'est vers le 6ème siècle av. J-C que l'on dit que ces dieux ne sont rien. Le
monothéisme biblique et chrétien prend sa source dans l'Alliance, et non pas
dans la philosophie. Le Dieu unique a fait alliance avec Israël au Sinaï, et ce
peuple est devenu son témoin privilégié devant les nations. Dieu accordera aux
hommes une nouvelle alliance que réalisera Jésus. « Je crois en un seul Dieu » indique que Dieu est unique.
L'affirmation de cette unicité est au centre du témoignage de l'Ancien
Testament. « Écoute Israël. Le
Seigneur notre Dieu est l'unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt
6,4-5) : c'est ainsi que commence la prière « Shema Israël », dans laquelle s'expriment l'histoire de l'Alliance
et la profession de foi du peuple juif. Dieu a dit : « Je suis le premier et le dernier ; Moi
excepté, il n'y a pas de dieu. » (Is 44,6). C'est la vérité que
traduit le premier commandement : « Tu n'auras pas d'autres dieux que Moi. » (Ex 20,3). Il en
résulte immédiatement l'interdiction des idoles (Ex 20,4-5). Au scribe qui lui
demande « Quel est le premier de
tous les Commandements ? », Jésus cite le shema Israël (Mc 12,28-31), qu’Il va d’ailleurs compléter par un
autre commandement.
À ce point de notre réflexion, il nous reste à traiter de la partie la plus
difficile du mystère le plus profond de la foi chrétienne en Dieu :
l’affirmation que le Dieu des chrétiens est un Dieu trinitaire. La raison
s’insurge si on dit que Dieu est en trois
personnes ; on ajoute parfois de
même nature. Aussi, de prime abord, la doctrine du Dieu trinitaire est tout
simplement incompréhensible, pour ne pas dire contradictoire et illogique. Que
répondre ? Ce serait effectivement le cas, si le Credo disait trois fois un font un, ou encore si on
est mathématicien : 1 + 1 + 1 = 1. Mais, comme on va le montrer, il n'est
pas question de cela.
Affirmer que le Dieu des chrétiens est un Dieu trinitaire résulte de la
rencontre des disciples avec Jésus-Christ et de l'expérience de l'Esprit-Saint
qui continue d'agir. Déjà l'ordre du Seigneur ressuscité résume la révélation
du Dieu trinitaire :
"Allez donc : de toutes les
nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit" (Mt 28,19).
Par le baptême, l'homme reçoit la vie de Dieu et entre en communion avec
lui : il est uni au Fils de Dieu de telle manière que, rempli de son
Esprit, il devient enfant de Dieu, fils ou fille du Père. C'est pourquoi
l'apôtre Paul résume le mystère trinitaire de Dieu par un souhait de
bénédiction et de grâce, que l’Église, dans sa sagesse, a conservé dans la
salutation qui ouvre la célébration de l'eucharistie :
"La grâce de Jésus notre
Seigneur, l'Amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit-Saint soient avec
vous tous" (2 Co 13,13).
Ce qui fonde l'existence chrétienne, c'est le fait d'être baptisé "au nom du Père, et du Fils, et du
Saint-Esprit". La célébration de l'eucharistie, qui constitue le
centre de la vie chrétienne et ecclésiale, s'ouvre et s'achève par l'invocation
du Dieu trinitaire.
L'explicitation doctrinale du témoignage de la Sainte Écriture a été
l'œuvre des deux premiers conciles œcuméniques, celui de Nicée (325) et celui
de Constantinople (381). Elle a été précédée de longues polémiques. Il a fallu
réfuter principalement deux théories erronées : le Fils et l'Esprit
seraient subordonnés au Père, et le Dieu unique apparaîtrait pour ainsi dire
sous trois formes différentes comme Père, Fils et Esprit. Contre ces erreurs,
l'Église a maintenu fermement cette doctrine : tel que Dieu apparaît, tel
il est. Père, Fils et Esprit ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu en
trois Personnes de même nature.
La préface de la fête de la Sainte Trinité dit de même :
"Avec ton Fils unique et le Saint-Esprit,
Tu es un seul Dieu, Tu es un seul Seigneur,
dans la trinité
des personnes et l'unité de leur nature".
Cette profession de foi au Dieu trinitaire est un profond mystère, qu'aucun
esprit créé ne peut découvrir par lui-même ni comprendre parfaitement. C'est le
mystère d'un Amour insondable et débordant : Dieu n'est pas un être
solitaire, mais un Dieu qui, dans la surabondance de son être, se donne et se
communique ; un Dieu qui vit dans la communion du Père, du Fils et de
l'Esprit, et qui, par conséquent, peut aussi offrir et fonder une communion.
La Résurrection de Jésus
est-elle une fable ?
C’est un évènement exceptionnel et unique que
les témoins contemporains de Jésus rapportent et affirment comme vrai, avec une
inébranlable conviction comme le montre le martyre d’Étienne (Ac 7). L’homme
que de nombreux témoins ont approché, entendu, vu opérer des signes inspirés
par Dieu (Cf. Matthieu 12, 22-28 et passages parallèles, par exemple), ce
Jésus, il est ressuscité ! Les Actes des Apôtres et les lettres de saint
Paul reprennent cette affirmation en de nombreuses circonstances.
Cependant, des affirmations de gens convaincus
ne prouvent pas un fait ; c’est l’objection, semble-t-il, que l’on puisse
avancer pour nier la Résurrection de Jésus Crucifié. Seul le témoignage des
Apôtres et des premiers disciples atteste de cette Résurrection : la foi
chrétienne est fondée sur le témoignage des Apôtres, qui confirme la parole des
prophètes. On en trouve l’affirmation dans les Actes des Apôtres (Ac
2,22-24.26) et dans la seconde lettre de Pierre (2 P 1,12.16-18). En voici le
rappel des points principaux de ces deux passages :
Pierre s’adresse à la foule à la Pentecôte :
« Hommes d'Israël, écoutez ces
paroles. Jésus le Nazaréen, cet homme que Dieu a accrédité auprès de vous par
les miracles, prodiges et signes qu'il a opérés par lui au milieu de vous,
ainsi que vous le savez vous-mêmes, cet homme qui avait été livré selon le
dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l'avez pris et fait mourir
en le clouant à la Croix par la main des impies, mais Dieu l'a ressuscité, le
délivrant des affres de l'Hadès…Dieu l'a ressuscité, ce Jésus ; nous en
sommes tous témoins. »
Pierre s’adresse à la foule en une autre
occasion : « C'est pourquoi je
vous rappellerai toujours ces choses, bien que vous les sachiez et soyez
affermis dans la présente vérité … Ce n'est pas en suivant des fables
sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et l'Avènement de
notre Seigneur Jésus-Christ, mais après avoir été témoins oculaires de sa
majesté. Car ce n'est pas en suivant des fables sophistiquées que nous vous
avons fait connaître la puissance et l'Avènement de notre Seigneur Jésus-Christ,
mais après avoir été témoins oculaires de sa majesté. Il reçut en effet de Dieu
le Père honneur et gloire, lorsque la Gloire pleine de majesté lui transmit une
telle parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma
faveur » Cette voix, nous, nous l'avons entendue ; elle venait du
Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte. [Allusion à la
Transfiguration]
Des apparitions ultérieures auront lieu mais
elles sont réservées à des personnes choisies par Dieu pour leur foi. Aucune
apparition ne s'est faite auprès de personnes autres que des disciples de
Jésus. Cette restriction alimente encore de nos jours une attitude méprisante
ou condescendante ou incrédule envers la croyance des chrétiens en la Résurrection de Jésus. Il en était de même au temps de saint Paul lors de sa
tentative à l’aréopage d’Athènes : quand les Athéniens présents
entendirent parler de résurrection des morts, les uns riaient, et les autres
déclarèrent : « Sur cette
question nous t'écouterons une autre fois. » (Ac
17,32). Pourquoi n’en serait-il pas de même de nos jours ?
La Résurrection de
Jésus est attestée par les Apôtres et les martyrs, mais ce témoignage est-il
recevable pour autant ? Les évangiles rapportent des actes et des paroles
d’un homme bien réel, mais deux questions se posent : quelle valeur
accorder aux Évangiles, et ces documents sont-ils fiables ? Il est juste
de se poser ces deux questions. En effet, pour un esprit logique et réaliste,
l’affirmation centrale des évangiles est invérifiable : aucun raisonnement,
aucune expérimentation, ne pourront jamais prouver que le Christ est
ressuscité. Donc le doute est permis, et à la limite, on peut qualifier de
fable mythologique ce que ces textes racontent ; on peut même accuser
d’hystérie collective les évangélistes et les premiers témoins, et certains
opposants à toute idée de religion ne s’en privent pas. Il s’ensuit que le même
sort est réservé aux miracles, aux déclarations de Jésus sur lui-même, à
l'annonce de son retour, etc... Et du coup les récits de l'enfance de Jésus dus
à saint Luc relèveraient du conte féerique.
Et cependant, aucun
texte de toute la littérature mondiale n'a jamais été soumis à autant
d'analyses, d'hypothèses et de reconstructions. Et les évangiles tiennent
toujours. C’est parce que derrière les textes, il y a du réel. Les évangiles
sont quatre récits pour un même personnage présenté sous des jours très
différents, ce qui s’explique par la diversité des communautés qui recevront
ces récits : juifs, païens d’origine grecque ou autre, gens simples ou
cultivés, hommes libres ou esclaves, etc. Entre ces récits, des différences
mais aussi une irrésistible cohésion. Bien loin de se contredire, ces quatre
récits, que l'Église n'a jamais voulu réduire autoritairement à un seul,
s'enrichissent mutuellement.
Les évangélistes ne
développent pas des idées qu'ils croient justes. Ils témoignent de faits qui
leur permettent de dire : le Christ est venu, c'est Jésus. Il est Fils de
Dieu ; il est ressuscité, aujourd'hui vivant.
Le témoignage des Apôtres repose tout entier sur
la Résurrection de Jésus qui est l'évènement fondateur de leur action. Or ces
hommes ont bravé la puissance romaine et les chefs religieux de leur pays :
souvent ils ont payé de leur vie le témoignage qu'ils ont porté au monde, sans
qu'ils en retirent un bénéfice matériel ou social quelconque. Cela devrait
suffire à accepter pour vrai ce qu’ils ont proclamé.
La réflexion des premiers
chrétiens
Alors, si Jésus est vraiment ressuscité,
l’attention de tout homme devrait se focaliser sur lui, dans la mesure où les
chrétiens en sont les hérauts. Qui est cet homme ? Qui est-il, lui qui se
dit Fils de l’Homme ou encore, plus rarement, Fils de Dieu ? Ne s’est-il
pas nommé de lui-même « Je suis » (Jn
8,28) comme Yahvé s’était désigné à Moïse : « Dieu dit à Moïse : « Je suis Celui qui Suis. Tu parleras
ainsi aux fils d'Israël : 'Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est :
Je-Suis'. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux
fils d'Israël : 'Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est Yahvé, c'est le
Seigneur, le Dieu de vos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob'.
C'est là mon nom pour toujours. » (Ex 3,14-15) ? Est-il Dieu
alors ? Est-il seulement homme ? Est-il les deux en même temps ?
Est-ce un illuminé ? Quelle est sa relation avec Dieu ?
Nous ne souhaitons pas ici insister sur le
cheminement de la pensée des premiers chrétiens ; certes, il est important
pour nous aujourd’hui d’en connaître l’essentiel, pour être capable de
comprendre et faire préciser les questions de ceux que le Christ nous demande
d’évangéliser ((Mt 28,16-20). Quatre conciles ont été nécessaires pour préciser
l'identité de Jésus : Nicée (325), Constantinople I (381), Éphèse (431),
et enfin Chalcédoine (451). La conclusion finale est importante : Jésus est vrai Dieu, engendré non pas créé,
de même nature que le Père et par lui tout a été fait (Cf. le Credo). Mort
sur la Croix, il est ressuscité, monté auprès du Père.
Il en résulte que vient de Dieu tout ce que
Jésus a révélé et fait. À ses disciples, dont quelques-uns n’ont pas encore
tout compris, Jésus dira le soir de la Cène :
« Puisque
vous me connaissez, dès maintenant vous connaissez le Père, et vous l'avez vu.
Celui qui m'a vu a vu le Père. Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas
de moi-même ; mais c'est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit ses
propres œuvres. Croyez ce que Je vous dis : Je suis dans le Père, et le
Père est en Moi. » (Cf. Jn 14,7-11)
Ainsi Dieu s’est adressé aux hommes, directement
pour ainsi dire ! Il a voulu nous donner la vie par sa parole de vérité
(Jc 1,18), ce qui doit nous inciter à étudier et méditer les paroles et les
actes de Jésus, pour en imprégner nos paroles et nos actes.
Jésus-Christ,
vérité des Écritures
C'est par la Résurrection de Jésus que les Apôtres ont
compris finalement le mystère de sa filiation divine : la Résurrection
accomplissait le psaume 2 (Cf. Ps 2,7 et Ac 13,33), et Dieu confirmait les
revendications de Jésus devant Caïphe et sur la Croix. Dès le lendemain de la
Pentecôte, le témoignage apostolique et la confession de foi chrétienne ont
donc pour objet Jésus-Christ, ressuscité, Fils unique de Dieu (Voir par exemple : Ac 9,20 & 13,33 ;
2 P 1,17-18 ; 1 Jn 3,8 & 4,15 & 5,10.20 ; Rm 1,4 & 8,3 ;
2 Co 1,19 ; Ga 4,4 ; etc.). Les écrits chrétiens qui s’ancrèrent sur
le témoignage des Apôtres restèrent fidèlement dans la ligne de celui-ci. Ils
prirent pour point de départ la Résurrection de Jésus, rejoignant ainsi le
commencement à partir de la fin. Ces écrits insistent sur le prophétisme qui
met en œuvre les correspondances lumineuses et l'unité profonde des deux
Testaments dont Jésus, le Christ, est la vérité ultime. L’étude objective de la
Bible met en évidence l’exceptionnelle cohérence de la pensée des nombreux
auteurs bibliques, qui sur près de onze siècles ont écrit l’histoire religieuse
d’un peuple. Cette unité suffit à dire que la Bible est bien l’expression de la
Parole de Dieu. Laissons à Pierre le soin de nous le rappeler :
« Ce
n'est pas d'une volonté humaine qu'est jamais venue une prophétie, c'est portés
par l'Esprit-Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu. » (2 P 1,21)
Ce qu’accomplit Jésus s'est accompli selon les Écritures. Cette conviction
est affirmée, dans les Actes, par Pierre à la Pentecôte : le don de
l'Esprit réalise la prophétie de Joël (3,1-5) : « Je répandrai mon esprit sur toute créature,
vos fils et vos filles deviendront prophètes, vos anciens seront instruits par
des songes, et vos jeunes gens par des visions. Même sur les serviteurs et sur
les servantes je répandrai mon esprit en ces jours-là [les temps messianiques].
Je ferai des prodiges au ciel et sur la terre : du sang, du feu, des
colonnes de fumée. Le soleil se changera en ténèbres, et la lune sera couleur
de sang, avant que vienne le Jour du Seigneur, grand et redoutable. Alors, tous
ceux qui invoqueront le Nom du Seigneur seront sauvés. »
La Résurrection de Jésus était annoncée par le
psaume 15 : “ Tu ne laisseras pas ton saint connaître la
décomposition ” La glorification de Jésus auprès de Dieu accomplit la
prophétie du psaume 109 : “Siège à
ma droite ”. Il n'y a pas d'annonce de Jésus comme Christ qui ne fasse une
référence essentielle aux Écritures.
Importance de la venue de Dieu en notre monde
Dieu est venu en
notre monde ; il s’est fait homme, en tous points sauf le péché (Voir He
4,15 : 2 Co 5,21). Alors, en définitive, quel sens donner à la venue de
Dieu sur Terre ?
Dieu veut que l’homme vive.
En premier lieu, on l’a vu, l’Incarnation, la
Mort et la Résurrection sont pour tous les hommes, de tous les temps, la
garantie que Dieu veut notre vie et non pas notre mort (Sg 1,13 : Mc
12,26-27). Tout ce que fait ou dit Dieu est Amour. Si le Christ n’a pas été
réellement ressuscité, alors tout n’est qu’illusion :
Si l'on
prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi vous
peuvent-ils dire qu'il n'y a pas de résurrection des morts ? S'il n'y a
pas de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Mais si
le Christ n'est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre
foi. Il se trouve même que nous sommes des faux témoins de Dieu, puisque nous
avons attesté contre Dieu qu'il a ressuscité le Christ, alors qu'il ne l'a pas
ressuscité, s'il est vrai que les morts ne ressuscitent pas. Car si les morts
ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ
n'est pas ressuscité, vaine est votre foi … Alors aussi ceux qui se sont
endormis dans le Christ ont péri. Si nous qui sommes dans le Christ n'avons
d'espoir que cette vie, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. (1 Co 15,12-15.18-19)
Le salut apporté par le Christ intéresse la
totalité de ce que nous sommes et il promet la résurrection de notre chair.
C’est l'argumentation de Paul.
En second lieu, le sacrifice de Jésus s’est
accompli pour réconcilier Dieu avec les hommes. En effet, dès l'Ancien
Testament, Dieu travaille à la réconciliation des hommes avec lui, en ne
cessant pas de leur offrir son pardon, et il multiplie avec eux les alliances,
malgré les nombreuses ruptures de l'alliance du Sinaï dues aux hommes. Il s'est
révélé lui-même comme le « Dieu de tendresse et de pitié » (Ex
34,6). C'est une réconciliation - même si le mot n'est pas utilisé - que
Yahweh propose à son épouse infidèle et à ses enfants rebelles (Os 2,16-22).
Mais le temps n'était pas encore venu de la complète réconciliation par la
rémission des péchés, et les fidèles de Dieu restaient dans l'attente de
quelque chose de meilleur. C’est le Christ Jésus qui accomplira la
réconciliation parfaite et définitive (Cf. 1 Tm 2,4-5).
Par lui-même, l'homme est incapable de se réconcilier avec Dieu ;
c’est Dieu qui est l’initiateur de la réconciliation, car Dieu nous aimait déjà
quand nous étions ses “ ennemis ”, écrira saint Paul (Cf. Rm 5,10). Dieu
est avec nous ; c’est ainsi qu’il veut qu’on appelle celui qu’il envoie :
« Tout cela arriva pour que
s'accomplît la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra et elle mettra
au monde un fils, auquel on donnera le nom d'Emmanuel, qui se traduit : “ Dieu-avec-nous ” »
(Mt 1,22-23 rappelant Is 7,14).
Ainsi celui qui écoute et met en pratique la
Parole de Dieu, révélée définitivement par Jésus, celui-là est mort au péché,
il ne sera plus séparé de Dieu. Saint Paul a écrit que, baptisés en Jésus-Christ,
c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. En menant une vie nouvelle, en
communion avec le Christ, nous vivrons avec lui, puisque, ressuscité d'entre
les morts, le Christ ne meurt plus (Voir Rm 6,2-11).
L’Amour comme seule règle de vie.
Enfin, Dieu a voulu que notre seule règle de vie soit l’Amour. Encore
faut-il s’entendre sur le sens de ce mot, aujourd’hui si galvaudé, et qui
désigne maintenant bien des réalités différentes. Essayons de préciser le sens
de ce mot en termes de relation entre Dieu et sa création.
Notre langue, si riche de nuances, est bien
pauvre quand il s’agit du mot aimer. Nous connaissons bien le passage de saint
Jean, au chapitre 21 (versets 15 à 19), où Jésus demande à Pierre : « M’aimes-tu ? ».
L’Amour dont le Christ parle à Pierre est celui qui donne à l’objet aimé tout,
le corps, l’esprit, l’âme. C’est un Amour qui ira jusqu’à donner sa vie pour
l’autre, s’il le faut : Marc (12,30-31) et Luc (10,27) insistent sur le
don total (corps, esprit, âme), et n’oublient pas le prochain (« comme toi-même »). Ces citations
établissent un lien très étroit avec les livres du Lévitique (19,18) et du Deutéronome (6,5).
Quand la notion d'Amour pénètre le domaine religieux, elle soulève au moins
deux questions :
¾ Comment
Dieu, créateur de cet univers si vaste, créateur de cette vie si inventive et
si diversifiée, comment Dieu peut-il s'abaisser à aimer l'homme si petit, si
négligeable, si insignifiant ?
¾ Et si Dieu
condescend à aimer l'homme, comment l'homme pourrait-il répondre à cet Amour
par un amour ?
La Bible, et tout particulièrement l’Évangile,
répondent avec clarté : Dieu a pris l'initiative d'un dialogue d'amour avec
les hommes, et au nom de cet Amour il les engage à l’aimer et leur apprend à
s'aimer les uns les autres. L'Amour de Dieu s'exprime par le fait que Jésus est
venu vivre en Homme-Dieu le dialogue d'amour entre Dieu et l'homme. L’Amour que
porte Dieu pour sa création est un Amour dépourvu de toute contrainte :
les hommes restent libres, totalement libres, de répondre à cette offre
d’Amour car si Dieu imposait son Amour d’une quelconque manière, ce ne serait
plus un amour parfait, or Dieu est parfait (Cf. Mt 5,48). Jésus est venu pour
révéler aux hommes ce qu’est le véritable amour, invitant tous les hommes à
tendre vers cet idéal, et c’est pourquoi l’Esprit-Saint vient au secours de
notre faiblesse (Rm 8,26). Cet Amour donné par Dieu à toute créature est
destiné à donner la vie éternelle à cette créature. C’est donc un Amour qui a
un but, mais qui en même temps est un Amour total et désintéressé. Isaïe a très
bien exprimé ce désintéressement : « Vous tous qui avez soif, venez, voici de l'eau ! Même si vous
n'avez pas d'argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du
lait sans argent et sans rien payer. » (Is 55,1-2a. 3a.6-8).
Le scandale de la Croix, signe d’Amour.
Tout cela est bien beau, mais qu’en penser lorsque la souffrance, la
maladie, le malheur, surgissent dans notre vie ? Les mots semblent se
vider de leur sens, et il ne reste plus qu’un bavardage creux. C’est alors que
la Croix prend tout son sens et livre son mystère. En prenant notre nature
humaine, le Christ a librement accepté ce qui est le lot de la vie ordinaire,
et peut atteindre chacun de nous, même dans sa finitude. Il a connu la violence
du monde, les injures, la médisance, l’injustice d’un procès inique, il a été
abandonné par ceux auxquels il avait fait du bien, il a connu les affres de
l'agonie, il a été réduit à l'impuissance. La peur de la mort et la tentation
du désespoir l’ont envahi : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu
abandonné ? » (Mt 27,46)
Ayant atteint le fond du gouffre profond de son Agonie, Jésus a trouvé la
force de dire : « Père, Je remets mon esprit entre tes Mains. »
Cette confiance inébranlable et totale en l’Amour de Dieu lui a fait vaincre la
mort. C’est cela que Jésus est venu communiquer aux hommes : l’Amour de
Dieu est plus puissant que le mal et la mort, et Dieu est toujours disposé à
aimer. C’est cela que nous rappelle chaque eucharistie quand le prêtre dit :
« Ceci est la coupe de mon Sang, le Sang de l'Alliance nouvelle et
éternelle, versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. »
Par l’incarnation du Fils, le Père a partie liée avec l'humanité, il a pris le
visage de l'innocent torturé. Et cela transforme complètement l’ancienne
Alliance.
Le Christ en prenant notre humanité est d’abord
venu sauver les hommes en leur indiquant le chemin qui mène à Dieu et qui
s’appelle l’Amour : « Dieu a
tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, l'Unique-Engendré, afin que
quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a
pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde
soit sauvé par son entremise. » (Jn 3,16-17)
Le Jugement est pour plus tard, mais les hommes savent désormais que l’Amour en
est à la base : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger,
j'ai eu soif, et vous m'avez offert à boire, j'étais étranger, et vous m'avez
recueilli, nu, et vous m'avez vêtu, infirme, et vous m'avez rendu visite en
prison, et vous êtes venus à Moi. » (Mt 25,35-36)
Le critère du
Jugement, c'est donc l'Amour. Il s'agit d'aimer, en actes concrets, et dans une
authentique compassion, ceux auxquels le Christ s'est identifié en vivant sa
vie d'homme : les faibles, les malheureux, les disgraciés. Saint Jacques a
écrit que « Le jugement est sans Miséricorde pour celui qui n'a pas
fait miséricorde, mais la Miséricorde se moque du Jugement. » (Jc 2,13). Aimer comme Jésus nous a aimés, être
miséricordieux comme Dieu est miséricordieux (Lc 6,36). Toutefois, on peut se
sentir impuissant à suivre le Christ dans cette voie quand on est confronté à
des souffrances qui nous dépassent ou qui nous déconcertent ; seul,
l’abandon dans la prière peut nous soutenir et nous guider.
Ce critère d’Amour est cependant redoutable. Qui
est capable d'aimer réellement et de suivre la voie tracée par Jésus ?
Mais alors : « Qui donc peut être sauvé ? » (Cf. Mt
19,25 ; Lc 18,26.) À cette question posée par les disciples, le Christ a
fourni une réponse : « Pour les hommes c'est impossible, mais,
pour Dieu, tout est possible » (Mt 19,26 : Lc 18,27). Dieu peut
tout, et surtout changer des cœurs de pierre en cœurs de chair (Cf. Ez 11,19 et
36,26). Voilà pourquoi le Christ est venu changer les cœurs en leur
communiquant son Esprit d'Amour, et en accomplissant l’Alliance annoncée par le
prophète Jérémie : « Je mettrai ma Loi au fond de leur être, Je
l'écrirai dans leur cœur » (Jr 31,33). Il n'y a plus Dieu d'un côté,
et l'homme de l'autre, mais Dieu à l'intérieur de l'homme, pour peu que
celui-ci l'accepte. L’homme ne se sépare de Dieu que si l’homme le veut
réellement.
Dieu est avec nous pour
toujours
Dieu a habité parmi
nous. Mais cette formule n’est pas complètement satisfaisante. Elle implique
que Dieu est venu sur Terre rejoindre les hommes à un moment de leur Histoire,
puis qu’il est reparti dans son Royaume. Nous a-t-il pour autant abandonnés
comme la formule pourrait le laisser entendre ?
Non, bien sûr, nous ne sommes pas abandonnés. En
quittant les siens pour rejoindre son Père, Jésus leur dit : « Moi, Je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la fin du monde. » (Matthieu 28,20b). Pierre disait aussi :
« Pour le Seigneur, un jour est
comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne retarde pas
l'accomplissement de ce qu'Il a promis, comme certains l'accusent de retard,
mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que
tous arrivent au repentir. » (2 P 3,8b-9)
Pour les hommes qui veulent bien écouter la
Parole de Dieu que nous avons à leur faire connaître, ne l’oublions pas (Cf. Mt
28,16-20), l'Incarnation et la Résurrection de Jésus sont le gage précieux que
Dieu veut que tous les hommes vivent avec Lui, débarrassés pour toujours de ce
qui fait leurs peines, leurs doutes et leurs souffrances d’ici-bas. Si Jésus
n'est pas Dieu fait homme, né comme l'homme, mort comme l'homme, et
ressuscité, alors notre foi est vide de sens comme l’écrivait saint Paul.
La Résurrection du Christ et notre propre résurrection sont inséparables.
Pour vous
qui avez lu ce texte,
que Dieu vous fasse la grâce
de vivre Noël
dans sa PAIX !
(Jn 14,27)
Théophile, diacre
permanent
(19 décembre 2011)
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