ENSEIGNEMENT SOCIAL DE L'ÉGLISE
« L'enseignement social de l'Église n'est pas une
troisième voie », par Mgr Follo
Pour lire l’encyclique “Caritas in Veritate”
ROME, Mardi 7 juillet 2009 (ZENIT.org) - L'enseignement
social catholique accomplit « le "saut" essentiel de ne pas considérer le travail de l'homme comme
une simple "marchandise" », au contraire, il « affirme
le caractère central de la personne et
de son destin ultime, ainsi que le caractère central du "bien commun" »,
fait observer l'Observateur permanent du Saint-Siège à l'UNESCO à Paris,
Mgr Francesco Follo, dans ces
« quelques lignes » qui « se veulent une aide pour lire
l'encyclique "Caritas in Veritate". » Mgr Follo cite notamment la conception bénédictine du travail.
Avant tout, trois prémisses importantes :
1) La doctrine sociale de l'Église
n'est pas une troisième voie, à mi-chemin entre capitalisme et marxisme. Ce
n'est ni une idéologie ni un pur et simple manuel de normes et d'indications
morales modérées. En effet, la doctrine
sociale de l'Église est essentiellement différente des deux théories
"scientifiques" (le libéralisme capitaliste d'Adam Smith et de
ses successeurs, et le collectivisme d'Etat théorisé scientifiquement par
Karl Marx), parce qu'elle part de présupposés radicalement différents.
C'est une vision fondée non sur le capital ou sur les moyens de production,
mais sur la personne humaine et sa dignité.
2) La doctrine sociale de l'Église est articulée dans la mesure où
l'Église, dans la plénitude de la Parole révélée par Jésus-Christ, et par
l'assistance de l'Esprit-Saint, lit les faits selon leur déroulement dans
l'histoire. En bref, le développement de
cette doctrine est liée à la croissance de la conscience de la dignité de la
personne humaine, à défendre et à promouvoir.
3) Non seulement la doctrine sociale de l'Église part de
présupposés différents, mais elle a aussi un objectif sinon différents du moins
ultérieurs. Elle n'entend pas seulement aider à l'accomplissement de la
vocation terrestre de l'homme, mais aussi sa vocation transcendante. Et elle le
fait à partir d'une interprétation de la réalité sociale, en en examinant sa conformité ou non avec les lignes de l'enseignement
de l'Évangile et de la tradition sur l'homme et sur sa vocation intégrale.
La doctrine sociale catholique accomplit par conséquent le
« saut » essentiel de ne pas considérer le travail de l'homme comme
une simple « marchandise ». Elle
affirme le caractère central de la personne et de son destin ultime, ainsi
que le caractère central du « bien commun » et elle manifeste sa
grande attention aux thèmes de la solidarité coopérative (bien différente du
collectivisme imposé) qui a eu tant de développement au cours de l'histoire.
La propriété privée est acceptée comme un droit de l'individu,
ainsi que la redistribution des ressources en faveur des classes sociales les
plus faibles. La richesse a, dans cette perspective, une fin sociale, la
charité qui est plus que jamais le cœur vivant du message chrétien. « Si je n'ai pas la charité, je ne
suis rien », comme l'enseigne Paul.
Au-delà de la divergence radicale, les deux théories économiques
« scientifiques », ont une racine commune qui permet de considérer le
travail humain comme une marchandise, un fait qui porte en lui-même la
possibilité d'une déshumanisation. Et puis il importe peu que le
travail-marchandise soit traité comme un bien à acquérir, en spéculant dessus,
ou à répartir collectivement sur indication de l'État, de façon fatalement
coercitive.
La transformation implicite de l'homme en marchandise et donc en
une « chose » ou en consommateur de biens matériels, est un risque toujours présent dans des théories
qui ne mettent pas l'homme lui-même et le bien commun au centre, qui
situent l'homme en fonction de quelque chose d'autre qui peut être le profit né
de la plus-value, ou les intérêts abstraits du prolétaire ou de la
productivité.
Le désastre de la finance créative, de l'économie de la dette,
démontre qu'on pouvait s'épargner certaines critiques adressées à
l'enseignement social de l'Église. En effet, on a écrit que l'enseignement
social de l'Église est « antique » si on le compare aux grands
perfectionnements de ces dernières années en matière d'instruments financiers.
Les événements ont démontré que ces
développements de l'art de la finance n'étaient pas si
« perfectionnés ».
Les paroles des papes, de Léon XIII à aujourd'hui, sont et
seront plus que jamais précieuses dans ce moment d'égarement que monde traverse
après l'énième faillite des « destins magnifiques et progressifs ». Si l'on ne met pas Dieu au centre de nos
cœurs, on y place Mammon : l'argent, le profit ; l'idéologie, la
technique. Et alors, fatalement, la place de l'homme, au lieu d'assumer une
place centrale plus grande, du fait de l'élimination de Dieu, se réduit de
façon terrifiante.
En effet, la vraie foi
en Dieu s'accompagne toujours du caractère central de l'homme :
« Les mains sont
le paysage du cœur », écrivait Jean-Paul II, dans une belle poésie
intitulée : « Le tailleur de pierres ».
Et donc le travail n'est pas seulement un instrument ni non plus
seulement une nécessité pour vivre ou pour survivre, mais il a une dignité
intrinsèque, parce « qu'il procède immédiatement de la personne qui imprime dans la nature comme son sceau, et la soumet à
sa volonté (Gaudium et spes, 67).
Le travail a une valeur
créatrice et sociale, parce qu'il offre à l'individu non seulement la possibilité de se
réaliser en tant que personne, et de se perfectionner lui-même, mais le conduit
à s'engager avec toute la communauté familiale, sociale et politique.
En indiquant que la charité doit être faite dans la vérité,
Benoît XVI se réfère à la tradition bénédictine dans laquelle le travail est la prière des mains.
En vivant avec ses moines, saint Benoît a pensé la journée
monastique de façon à ce que chacun des
gestes et leur ensemble soit capable d'unifier ce qui est divisé. Cela est
simplement très chrétien, parce que notre foi porte en elle une profondeur, une
ampleur et une force telles qu'elle peut tenir compte de tout ce qui est
humain.
L'équilibre de la journée monastique est aussi formateur, avec
cette succession de gestes (prière
privée et chorale, lectio, travail, repos) qui tient compte de la personne
et de sa complexité et de son unité : son être en relation, son être
intérieur, constitué d'intelligence et de rationalité, de mémoire, de volonté
et d'affectivité, don être corporel.
La personne tout entière est impliquée non seulement dans la
succession alternée des moments et des gestes qui tout ensemble l'embrassent,
mais aussi dans chaque geste particulier, qui contient en lui toutes les
dimensions. De cette façon, chaque geste
conduit à l'unification de la personne, à l'harmonie qui est beauté et qui
éclaire l'homme, image et ressemblance de Dieu.
Cela fait partie de la bonne éducation que de maintenir l'équilibre
entre la grandeur des principes et le caractère concret de leur réalisation.
Pour prendre un exemple banal : la société peut aussi aller de l'avant si l'on éduque les jeunes à laisser leur
place, dans le métro, aux personnes âgées - ce n'est pas une obligation.
Mais ne plus l'exiger du tout, c'est l'exact contraire. Les jeunes ont perdu cette attention pour les personnes âgées, mais
ils l'ont perdue aussi envers toute autre personne. Alors, cette prescription
qui semblait si odieuse, et même un peut formelle, sévère, n'est pas à
négliger.
La conception anthropologique du pape débouche sur une vision
sacrée et transcendante du travailleur, dont la finalité, atteinte dans le
travail, est celle d'un type humain tendant vers son destin (Cf. Redemptor
hominis 8, 9, 11).
C'est dans le Christ
que l'homme se comprend. De cette affirmation découle le fait que :
a) le travail n'est pas seulement coopération, mais union avec le
Christ dans l'Œuvre de la Rédemption (Cfr. Gaudium et spes 67);
b) le Christ et l'Église avec lui veulent aider l'homme, afin que
tout ce qui compose la vie corresponde à la vraie dignité de l'homme.
L'Église appelle
l'homme,
lui indique le caractère dangereux des systèmes économiques et sociaux
contemporains, et affirme le primat de
la personne sur les choses et de l'esprit sur la matière. Une approche
purement économique de la compréhension du travail est décidément
« antihumaniste ». Ce n'est pas seulement le travail qui produit
l'homme. Mais si nous voulons être fidèles à une analyse exacte de la personne,
nous devons affirmer que l'auto-réalisation a pour source la conscience.
L'homme est
participation à la royauté du Christ. Cette participation à la royauté a deux
aspects :
1) la tendance vers la liberté royale à travers la souveraineté sur
le péché,
2) le service du Christ dans le prochain, et ce service est compris
par "Gaudium et spes" comme un travail pour conduire au Christ par
l'humilité et la patience.
La royauté du travail, la souveraineté sur le péché et le service
des frères doivent être complémentaires.
De cette façon, le travail humain reflète la signification qui
jaillit de la mission royale du Christ de transformer le monde c'est-à-dire
d'élever les choses au niveau de l'homme = munus
royal (charge, tâche royale).
Pour enrichir la foi, est également importante l'attitude de responsabilité
chrétienne qui s'exprime par la
conscience du devoir et qui jaillit d'une conscience juste. La
responsabilité est étroitement liée à la dignité de la personne parce qu'elle
exprime une certaine auto-décision, dans laquelle l'homme fait bon usage de sa
liberté, en prenant toujours en considération les vraies valeurs et les raisons
justes.
Dimension éthique :
L'éthique doit
l'emporter sur la technique. Il est une responsabilité (a) dans la
famille, (b) dans la culture, (c) dans les rapports
économiques et sociaux, où il ne faut
jamais oublier le primat de l'éthique sur l'économie ou la politique.
Le pape rappelle que la fonction de la conscience consiste dans la
description du vrai bien dans
l'action : « la charité dans
la vérité est une force qui constitue la communauté, unifie les hommes »
(Caritas in Veritate", n. 34).
Mgr Francesco Follo
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