Le Suaire de Manoppello révèle le visage du Christ

SURLERING.COM - LES PAGES ROUGES - par Maximilien Friche - le 28/02/2011

 

 

 

On connaît le linceul de Turin, ce grand morceau de lin sur lequel l’image du corps entier du Christ mort est incrustée. On connaît l’histoire de la photographie de 1898 révélant que l’image est un négatif. Nous suivons les débats liés à la datation au carbone 14, aux traces de pollen identifiées, nous essayons de suivre comment des scientifiques essayent de relever « ce défi lancé à l’intelligence » (1) et, on ne peut oublier l’image du cadavre du Sauveur. Eh bien, il ne s’agit que d’une partie du visage du Christ. Son double vivant, aux yeux ouverts et aux lèvres entrouvertes, fascinant et troublant, existe à Manoppello en Italie. C’est le visage du Christ ressuscité au matin de Pâques. Encore une nouvelle image qui résiste à la raison pure, dont il parait impossible qu’elle soit faite de main d’homme. Comme le linceul de Turin, et peut-être davantage, on s’aperçoit que ce visage est à l’origine de toutes les icônes les plus anciennes, et qu’il les a inspirées jusque dans les moindres détails.

La dernière ostension du suaire de Turin s'est déroulée du 10 avril au 23 mai 2010, et a accueilli 2.113.128 visiteurs. À cette occasion, les éditions de l’Emmanuel et les éditions du Jubilé ont publié une traduction française du livre de Paul Badde, journaliste allemand, « L’autre Suaire » (2). Il s’agit d’un livre d’enquête écrit en 2005 sur le suaire montrant le visage du Christ ressuscité, situé dans la petite ville des Abruzzes, à Manoppello. Le suaire de Manoppello est-il une preuve pour les incrédules que Jésus-Christ est ressuscité ? Il y a d’abord tous les détails de l’enquête qui permettent d’interroger la réalité. Le fait aussi que Benoît XVI se soit déplacé à Manoppello le 1er septembre 2006 pour contempler la Sainte Face n’est pas anodin. « Nous cherchons le visage du Seigneur. C’est aussi le sens de ma visite. » A-t-il alors déclaré.

I - L’enquête

L’enquête se construit en avançant tour à tour le pied de la raison, et celui de la foi. L’un ne va pas sans l’autre, d’une part parce qu’il faut avoir foi en un Dieu de raison et d’autre part, parce qu’il faut avoir conscience que quelque chose dépasse toujours notre intelligence. Donc le pied de la raison, puis le pied de la foi, puis, puis. Et parfois, on fait des bonds. C’est le cas de Paul Badde qui nous décrit ces instants où l’intelligence est comblée de grâces. Sa démarche s’inscrit dès lors pleinement dans la démarche de Benoît XVI visant à réconcilier foi et raison.

Le livre est écrit comme le roman de l’enquête, comme l’histoire d’un homme qui cherche, peut-être pour tenir en haleine des lecteurs habitués au « Da Vinci Code », mais surtout pour donner une âme à la quête de Dieu, celle de Paul Badde. Et cette âme qui ressemble au dialogue avec sa femme, avec Blandina, une sœur qui veille sur le voile, avec Chiara, une tisseuse de soie de mer, avec le Père Pfeiffer, avec ceux qui veillent sur le trésor du Vatican,… Le sujet du roman, c’est l’enquête, sa méthode, ses hypothèses et ses résultats.

Nous savons que les données de base du Credo sont historiques : Jésus de Nazareth a vécu il y a deux mille ans, il a été crucifié sous Ponce Pilate et, son corps a disparu. Ces données historiques sont partagées par le Judaïsme, par l’Islam et même par les dubitatifs suffisants que sont les journalistes Mordillat et Prieur (3). Face à l’absence du corps de Jésus, saint Jean écrit dans son Évangile : « Il vit les linges posés à terre, et le suaire qui couvrait la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé dans un autre endroit. Alors l’autre disciple qui était arrivé le premier au Sépulcre, entra aussi ; et il vit, et il crut… » (4) Qu’est-ce qu’il a vu ?

La Véronique

Paul Badde nous rappelle que du VIème siècle jusqu’en 1600 environ, une icône non faite de main d’homme, une véritable icône (en mélange de latin-grec, "vera icon”) était exposée dans l’ancienne basilique Saint-Pierre de Rome, érigée par l’empereur Constantin au IVème siècle. C’est cette Sainte Face qui aurait même provoqué les pèlerinages en masse vers Rome dès le Moyen Age. On comprend en effet que les Chrétiens ne venaient pas forcément voir le Pape dans ces temps-là, il faut dire que certains papes n’inspiraient pas forcément la sainteté. Au préalable, cette icône aurait fait étape à Constantinople devenue centre de l’Empire. La relique, appelée relique de Véronique, était à ce point précieuse qu’un coffre lui a été aménagé dans un pilier de la coupole de la nouvelle basilique. À partir de ce moment, tout change à Rome. La Véronique est gardée secrètement dans son pilier creusé, ne sortant prendre l’air que le dimanche de la Passion portée à bout de bras durant cinq secondes de bénédiction du haut du balcon par les chanoines. Passé 1600, les copies de la Véronique ne représentent plus, comme avant, un visage aux yeux ouverts et aux lèvres entrouvertes, mais un visage mort aux yeux clos. Les copies deviennent même interdites pendant un temps. Dans son enquête méticuleuse, Paul Badde parvient à observer cette Véronique en 2005 peu de temps avant sa sortie annuelle : il y voit une vague tâche sombre sur un tissu crasseux à la forme d’une poire inversée, une tâche qui rappellerait l’ombre du Christ. Mais l’ombre n’est pas l’empreinte ! Ce que Badde a vu au Vatican, dans son trésor, c’est également l’ancien cadre de la Véronique, celui qui a servi pour l’ostension de la relique dans l’ancienne basilique. Un cadre à deux parois de cristal. Mais brisé. On date cet incident à 1606. Et, on retrouve la trace de la Sainte Face de Manoppello dès 1608 et le cadre brisé présent dans le trésor n’est que de quelques décimètres plus grand que l’icône des Abruzzes. Que s’est-il passé dans ces années où Camillo Borghèse était Paul V, dans ces années controversées de la construction de la nouvelle basilique ? Pour le Père Pfeiffer, professeur jésuite, expert en art chrétien, cela ne fait pas de doute, le suaire de Manoppello est bien la Véronique de Rome. Ce dernier s’amuse d’ailleurs de ce qu’il discerne comme l’humour du Christ et de Dieu le Père : au moment où on lui construit le plus gros coffre-fort du monde, il disparaît pour atterrir dans les Abruzzes ! (5)

Badde fait maintenant l’étude de toutes les légendes apparues autour de la véritable icône, tous les voiles jetés sur le voile de Manoppello. Il y a la légende de sainte Véronique (ou sainte Bérénice) qui à la VIème station du Chemin de Croix essuie le visage du Christ. Evénment qui aurait formé la première icône du monde. Il y a aussi la légende rapportée par les Actes de Jude Thaddée. Selon ses écrits, la véritable icône serait une image faite par le Christ lui-même en mettant sa tête sur un linge pour l’apporter au roi d’Édesse malade afin qu’il guérisse. Le voile est alors appelé Mandylion. Pour le Père Pfeiffer, toutes ces histoires sont des voiles jetés sur le voile, qui, venant jeter un flou sur une image officielle désormais crasseuse et noire, ont donné aux détracteurs comme Luther matière à se gausser et de se détourner de la Sainte Face. Mais comment se détourner de la Sainte Face de Manoppello quand on sait que superposée au linceul de Turin, on s’aperçoit qu’il s’agit du même visage ? Exactes mêmes proportions, mêmes blessures (nez cassé et boursouflure à la joue droite). Pour Badde, le suaire de Manoppello est la Véronique de la basilique Saint-Pierre, elle est aussi ce linge que Jean a vu en entrant dans le Sépulcre, la véritable icône qui est peut-être à l’origine des nombreuses conversions des premiers Chrétiens.

Une icône non faite de main d’homme

Penchons-nous tout d’abord sur le support du suaire de Manoppello. Le voile est si fin que l’on voit à travers. Le voile est si fin qu’on peut le comparer à de la toile d’araignée. Et on n’est pas loin, car la source est bien animale. Les analyses montrent que l’étrange voile est un byssus, c’est à dire un voile fait en soie de mer, en fil de nacre, en cheveu de coquillage. En grattant un coquillage, on retrouve au bout de l’ongle des fils ultrafins extensibles, un peu brillants, un peu translucides. Une fois tissés, ils forment des morceaux de tissus de la plus grande délicatesse. Le luxe à l’époque du Christ… Pour identifier ce tissu, l’auteur n’a pas eu recours qu’à la technique, mais aussi à la tradition qui est venue jusqu’à nous, à la mémoire qui s’est étirée jusqu’à nous, prenant les médias les plus ordinaires d’entre nous. Ce média est cette Chiara Vigo, dernière tisseuse de Byssus encore vivante au monde, depuis son île au large de la Sardaigne, Sant’antioco (6), à côté d’un ancien centre de production de byssus sur l’île Santa Maddalena. Elle, qui a toujours entre ses doigts cette matière unique et précieuse de tous temps, est catégorique : le voile de Manoppello est bien un byssus. Dans sa famille, pétrie de tradition, au cœur du peuple original des Maestri qui parlent encore l’araméen, on tisse de mères en filles, de générations en générations, en s’appelant très souvent Maddalena. La légende fait remonter ces générations jusqu’à Bérénice, la fille d’Hérode.

Voilà donc pour l’identité du support, la matière du voile, la matière première utilisée par Dieu sait qui. Et sur cette matière, ce qui provoque aussitôt l’excitation des méninges et du tambour intérieur, il n’y a aucune trace de couleur, aucun pigment. Aucun pinceau n’a glissé sur le voile. Les ultraviolets l’auraient prouvé (7), et l’expérience nous dit surtout que les fils de nacre ne peuvent emprunter la couleur, car le sel les en empêche. Certains dubitatifs partent du principe qu’il s’agit d’une peinture, ils arrivent même à situer l’école : un genre très rare de la fin du Moyen Age, de l’école de Sienne avec des influences islamisantes, le suaire serait même peut-être le dernier spécimen de cette école. Il aurait fallu peindre cette image des deux côtés du voile très fin, car le visage est strictement identique au recto comme au verso. Mais le byssus ne fixe pas la couleur… Adhérer à la théorie d’une peinture de l’école de Sienne relèverait quasiment de la foi.

Mis entre deux parois de cristal, à contre-jour, l’objet est blanc comme linge. Une hostie, une hostie rectangulaire s’exclame Badde (8) ! Le premier cadre de la Véronique de Rome, reproduit pour le suaire de Manoppello, fut peut-être le prototype de l’ostensoir. C’est en passant une simple main derrière que le visage nous sourit, apparaît. Au grand jour, en plein soleil, lors des processions du troisième dimanche de mai et du 6 août, date de la fête de la Transfiguration du Christ sur le mont Thabor, véritable fête de la Sainte Face d’ailleurs, le visage bouge, son air change avec la lumière, un peu à la façon de ces images d’enfants qui en contiennent deux, il change tout le temps et reste insaisissable. Le byssus a une teinte naturelle un peu rousse, un peu bronze, un peu cuivre, plus or que jaune, une soie brune au reflet dorée (9). Le visage du Christ se détache grâce à un éclaircissement du tissu. Paul Badde nous dit : « Dieu crée en se retirant » (10). Dieu ne nous est accessible qu’en creux encore une fois, notre intelligence ne peut accéder à Dieu que de manière apophatique pour se prémunir de l’orgueil de vouloir comprendre Dieu. Voir Dieu ne peut être Le posséder. Dieu aurait donc laisser une empreinte sur le suaire de Manoppello, et cette empreinte contrairement au linceul de Turin est un positif. Ce qui, si on suppose les deux linges superposés, respecte la logique de la photographie. Paul Badde laisse sa pensée flotter et tombe sur cette phrase géniale : Dieu est photographe. C'est-à-dire : Dieu écrit avec de la lumière.

Un tissu précieux impossible à peindre, un tissu avec une image du Christ vivant extraite de sa teinte : une icône non faite de main d’homme. Cela a un nom, cela s’appelle Acheiropoïète. Toutes les icônes se ressemblent, certes. Et les plus anciennes ressemblent au suaire de Manoppello : yeux ouverts, lèvres entrouvertes, nez cassé, pommette droite enflée, trois mèches sur le front, barbe éparse, oreilles masquées par les cheveux. Voilà le modèle commun et les légendes font remonter ce modèle à une icône non faite de mains d'homme. Le suaire de Manoppello est une image Acheiropoïète, miraculeuse comme le linceul de Turin et comme l’image de Sainte Marie de Guadalupe (11).

Le puzzle : Oviedo + Cahors + Turin + Manoppello

L’ordinateur interne de Badde se met dès lors en marche. Au-delà des légendes, on sait qu’il y a souvent une information, une matière vraie commune. Badde cogite vite et tombe sur des coïncidences. Et ces coïncidences vont former le faisceau d’indices qui le ramène au Sépulcre, au corps du Christ, à saint Jean qui entre le matin de Pâques et qui croit. C’est ça aussi l’enquête. Puisqu’il en connaît davantage sur le tissu, il va chercher comment il a pu atterrir à un moment donné sur la tête du Sauveur. Autour de Jésus mort, au pied de la Croix, il y avait sa sainte Mère, sainte Marie-Madeleine, et saint Jean. Au Sépulcre, il y avait les femmes et Joseph d’Arimatie, dont les noms sont cités dans les Évangiles de sorte qu’ils ont pu être vérifiés par leurs contemporains. Qui pouvait porter un voile en byssus pour le lui poser au-dessus du linceul ? Les présomptions sont fortes pour Marie-Madeleine. Elle portait ce genre de voile luxueux de séduction. Et puis d’un coup tout s’accélère dans un rapprochement des données, dans une compilation accélérée : le byssus a été porté par Marie-Madeleine ; l’île qui était le centre de fabrication du byssus s’appelait Maddalena ; les aïeules de Chiara Vigo s’appelaient Maddalena, et son peuple viendrait de Bérénice, et sainte Bérénice et sainte Véronique sont le même personnage. On comprend l’émotion, le vertige. Il y a une convergence manifeste vers le voile de Manopello.

Paul Badde recherche dans la littérature et tombe sur Dante et sa « Divine Comédie » qui semble décrire le suaire, celui aux yeux ouverts. Paul Badde apprend aussi au cours de son enquête que le suaire de Manopello était sous la garde du frère Domenico, proche de Padre Pio et que ce dernier, avant de mourir, dans un dernier exercice de son don d’ubiquité, s’est recueilli devant cette Sainte Face. Finalement, Paul Badde revient encore sur le visage superposable avec le linceul de Turin, plus proche et plus efficace que tout portrait-robot réalisé pour un avis de recherche quelconque, proche et plus exacte que la simulation réalisée par la Nasa en 1978

 

 

 

Image du Turin et Manopello superposés

 

 

 

Image du visage du Christ reconstitué par la Nasa à partir du Suaire de Turin

 

Paul Badde, pour consolider son enquête, va à la rencontre d’autres reliques en Europe sorties du Sépulcre. Il y a d’abord le linge maculé de sang et de lymphe entreposé à Oviedo en Espagne. Un linge qui montre des écoulements de sang correspondant aux mouvements de l’agonie du Christ. Et puis il y a la Sainte Coiffe de Cahors, dont il est dit qu’elle couvrait la tête de Jésus comme un long bonnet, dans le Sépulcre. Cette coiffe est trouée par des épines, et tâchée de sang. Voilà la diaspora des reliques, l’éparpillement en Europe des preuves de l’existence, de la Mort et de la Résurrection de Jésus-Christ. Cette dispersion est due aux croisades faisant suite à l’invasion des lieux saints par les nouvelles populations musulmanes. Pour Paul Badde, le puzzle peut enfin se reconstituer : Oviedo a épongé la face sanguinolente de Jésus, Cahors a couvert sa tête, Turin l’a enveloppée, et Manoppello a été posé par-dessus comme une caresse d’adieu.

II - À quoi sert le voile de Manoppello ?

Le rapport qu’ont les Chrétiens avec les reliques est compliqué. Les objets ne sont pas adorables, pour eux seul Dieu l’est. Par ailleurs, la foi n’est pas soumise à ces preuves. Saint Jean termine son Évangile en nous disant qu’il n’a raconté que ce qui était nécessaire pour que l’on croit, qu’il n’a pas écrit une biographie mais un texte inspiré par l’Esprit-Saint, pour donner la foi. (12) De même, à saint Thomas qui a besoin de toucher les cinq plaies, le Christ répond « heureux ceux qui croient sans avoir vu. » (13) D’où une exigence née chez les Chrétiens de croire sans voir, avec tous les risques possibles de la suffisance d’ailleurs. Mais le risque principal est d’écarter les traces visibles pour conceptualiser le Christ, en faire un humanisme en quelque sorte, en fait, désincarner la religion. Le christianisme n’est pourtant pas la religion du livre, mais celle de de l’incarnation. D’abord en une personne : Jésus-Christ et, dans le prolongement, dans la seule chose qu’il nous ait laissée, la seule chose qu’il ait créé : l’Église. Comme dit Scott Hahn, dans son témoignage passionnant de conversion du protestantisme vers le catholicisme (14), le Christ n’a pas demandé que l’on écrive un livre ou même quatre, il a juste créé une Église, l’Église, en missionnant saint Pierre.

L’existence d’une relique de la Résurrection est nécessairement un fait majeur pour le monde et renvoie chacun à sa propre tiédeur, à la radicalité de la conversion qu’il a repoussée à plus tard. Pour les incroyants, la relique est un tremblement de terre. Pour Mordillat et Prieur, qui doutent de tout, sauf d’eux-mêmes, un os à ronger. Paul Badde est un proche de Benoît XVI, il lui avait confié un morceau de byssus pour Jean-Paul II mourant. Il n’a jamais su si Jean-Paul II avait eu ce tissu, mais le fait que ce dernier ait institué avant de mourir la règle suivante : qu’un léger voile de soie fut déposé sur le visage des papes morts dans leur cercueil, représente un élément de désir de croire renouvelé.

« Il vit les linges posés à terre, et le suaire qui couvrait la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé dans un autre endroit. Alors l’autre disciple qui était arrivé le premier au Sépulcre, entra aussi ; et il vit, et il crut… » (4)

Une personne

Dieu ne s’est pas fait humanité, mais il s’est fait une personne humaine précise, avec un nom, une identité, et un visage. C’est aussi ce que nous rappelle le voile de Manoppello. On n’est pas dans les concepts quand on est dans les symboles. Ce visage renouvelé de Jésus surprend, intrigue. On serait même tenté de le refuser dans une réaction qui ressemble à la peur. Dans « L’autre Suaire » de Badde, Chiara Vigo s’exclame : «Il a les yeux d’un agneau… et aussi d’un lion. » C’est parce qu’il est insaisissable, que Chiara se reprend. En fait, il est peut-être plus aisé de le définir avec des verbes que des adjectifs. C’est un visage qui s’émerveille, qui aime, qui comprend, qui sonde, qui aimante, qui fascine, qui exige, qui sait, qui pardonne, qui élève, qui rachète, qui libère. Toute rigidité humaine finit par se dissoudre à la contemplation de la Sainte Face, toutes les fiertés se réduisent, tous les raisonnements s’évaporent, toutes les personnalités tombent.

Les Évangiles nous précisent que, malgré les informations données par Jésus, les apôtres n’avaient pas compris qu’il allait ressusciter d’entre les morts. Ils ne l’attendaient pas, ils se terraient et attendaient plutôt la fin du monde, mais absolument pas la Résurrection. Au matin de Pâques, les femmes (dont Marie-Madeleine) qui arrivent au tombeau s’alarment, car pour elles, on a enlevé le corps du Seigneur ! (15) Qu’est-ce qui fait que saint Jean a une réaction différente quand il entre dans le tombeau ? A-t-il vu danser le visage du Christ sur le voile de soie de mer ? En tous cas, il a cru. Ce qu’il a vu, contrairement à saint Thomas, lui a suffi pour croire.

Le visage sur le suaire de Manoppello, bien qu’exactement superposable avec celui de Turin est très différent, nous semble-t-il au simple regard. Son visage cicatrisé, aux joues plus pleines, aux traits adoucis, est à la fois strictement identique, et totalement différent. Dans les Évangiles, quand les disciples rencontrent le Christ après la Résurrection, ils ne le reconnaissent pas tout de suite. Et cette non reconnaissance immédiate n’est absolument pas niée par les Évangélistes. Ont-ils été confrontés au visage transfiguré, au visage de Manoppello ? Sur le mont Thabor, le Christ avait expérimenté le corps glorieux devant Pierre, Jacques et Jean. (16) Jésus a été une personne précise avec son identité, une personne tracée dans l’histoire dès les débuts avec le grand recensement d’Hérode, et c’est cette même personne, avec la même matière que la nôtre, qui resplendit. Manoppello permet un rapprochement soudain entre Incarnation et Résurrection, sur un même visage.

Le 6 septembre 2006, six jours après sa visite à Manoppello, en audience à Rome, notre Pape a déclaré : « Pour nous exprimer selon le paradoxe de l'Incarnation, nous pouvons bien dire que Dieu s'est donné un visage humain, celui de Jésus, et en conséquence à partir de maintenant, si nous voulons vraiment connaître le visage de Dieu, nous n'avons qu'à contempler le visage de Jésus ! Dans son visage, nous voyons réellement qui est Dieu et comment est Dieu ! » (17)

La Mort et la Résurrection

Turin et Manoppello sont les deux faces d’un même salaire. L’économie de notre salut passe par les deux parties de ce visage, le corps mort et le corps glorieux. Les deux aspects sont indispensables et l’on peut lire les erreurs de nos époques et de nos raisonnements en fonction de la négation de l’un ou l’autre. Turin sans Manoppello nous conduit à un Christ humaniste et mort de façon injuste. C’est la vision très moderne qui nous amène à transformer la religion en morale. Benoît XVI dans Jésus de Nazareth (18) insistait particulièrement sur ce message : Jésus s’est vécu, a vécu, comme le Fils de Dieu, et il est mort à cause de ça. Quand il dit je suis le Royaume, la Loi, quand il pardonne les péchés, quand il chasse les marchands du temple, il est le Fils de Dieu. Il est mis à mort pour ça. Ne voir que Turin, c’est ne voir qu’un homme mort, l’échec, c’est risquer de se focaliser sur le sacrifice du personnage, du Gandhi des temps anciens, pour ne retenir que son message d’amour, pour une société plus juste, bref quelque chose qui participe du vivre ensemble, un moralisme en soi.

À l’inverse, Manoppello sans Turin nous amènerait à une vision uniquement mystique du Christ. L’incarnation ne serait qu’un détail s’effaçant devant le surnaturel omniprésent, une vision limite extra-terrestre du Sauveur, en tout cas angélique. Cette vision aboutirait à deux erreurs contradictoires, que Jésus n’est pas pleinement homme, et par ailleurs, que le fils de Dieu relève quasiment d’un être créé comme un ange. Manoppello sans Turin ouvrirait le règne du psychisme, du moralisme pour soi. Ce serait oublier que Dieu s’est incarné jusqu’au bout. Heureusement, nous avons eu Mel Gibson (19) qui a fait l’œuvre cinématographique la plus capitale qui soit, « La Passion du Christ ». Grâce à lui, les niaiseuses croyances New Age se sont évaporées devant la dure réalité historique : Dieu s’est fait cadavre !

L’un ne va pas sans l’autre. Il nous faut les deux visages : Turin et Manoppello, Mort et Résurrection. Que Manoppello sorte du bois à notre époque est une bonne nouvelle pour l’orthodoxie de la foi de l’Église, à plusieurs titres d’ailleurs.

L’action de Dieu n’est que miracle

Chaque pas dans la compréhension de ce qui s’est réellement passé procure une certaine jouissance. On est content de comprendre mieux ce que l’on savait. C’est ainsi qu’on jouit de parler de photographie, de radioactivité, etc. Et pourtant notre science butte, ce qui est normal, puisque même si notre cerveau jubile à comprendre davantage les procédés de la création, la nature même du miracle ne peut être remise en cause. Tant que Dieu est présent, il y a miracle. Le miracle est l’agir de Dieu.

Les images sur les suaires de Turin et de Manoppello, ces linges de matière particulière, du lin d’un côté et de la soie de mer de l’autre, sont comparables à des photographies dit-on, des photos qui auraient pu être produites par la radioactivité liée à l’événement de la Résurrection. Dieu est photographe, c'est-à-dire : Dieu écrit avec de la lumière. D’accord mais il écrit droit sur des lignes courbes compte tenu de l’absence de déformation de l’image sur les linges. Il faut bien que quelque chose résiste à notre analyse, c’est la nature du miracle. D’ailleurs, les Évangiles nous disent que le Christ, pourvu de son corps glorieux, après la Résurrection, traversait les murs. Il a donc pu traverser les linges pour y laisser son empreinte. Cette trouvaille de la lumière est comme un pétillement pour nos méninges. Les frères Bogdanov n’ont-ils pas avoué dans la formule qui a servi de titre à leur livre en 2010, qu’ils avaient vu le visage de Dieu en captant la lumière première, à l’origine de l’univers. Igor Bogdanov dit en juin dernier : « Oui, Dieu existe de manière très évidente. L'image d'un ordre extrêmement précis est associée à la première lumière qui précède le big-bang. » (20) Et l’on se souvient avec une certaine émotion de la représentation du doigt de Dieu en feu gravant les Tables de la Loi devant le Charlton Heston de notre enfance. (21)

Revenons pour finir encore une fois à l’image de Manoppello. Paul Badde nous rappelle qu’une image contient beaucoup plus d’informations qu’un texte, et l’informatique, l’ère médiatique, nous en a montré le principe. « Elle n’est plus seulement l’Image des images, elle est aussi le Texte des textes, la Parole des paroles, le tout en un seul et unique paquet sémantique ! » (21) Pour les orthodoxes, une icône est écrite, et non dessinée. Elle est toujours la retranscription de la véritable icône, c’est en ce sens qu’elle devient adorable. Le voile de Manoppello pourrait bien être l’instrument d’une réconciliation entre l’Orient et l’Occident. Rien d’étonnant que ce soit par une relique que la réconciliation soit rendue possible, plutôt que par le dialogue moderne. Le Dieu des Chrétiens s’est incarné, ce qui leur donne la chance de pouvoir voir Dieu. Ils peuvent regarder tous dans le même sens, en adorant Dieu présent dans l’Eucharistie avec le recours de la foi, ils le peuvent aussi maintenant en regardant le voile de Manoppello.

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