Le « Curé
d'Ars » de la Canebière
Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine
C’est au cœur de Marseille, dans un quartier défavorisé et
essentiellement peuplé de musulmans, où le taux de pratique religieuse se
tassait sous la barre des 1%, que ce prêtre atypique a été installé en 2004.
Depuis, la presse locale l’a surnommé « le prêtre qui multiplie les
paroissiens ». Rencontre.
« C'est la bonté qui rend Dieu populaire. »
Cette bonté, le Père Michet Marie s'emploie à la déverser sur tous
ceux qu'il croise.
Ce samedi soir d’hiver, le Père Michel Marie Zanotti-Sorkine se
tient debout sous la lueur blafarde d’un lampadaire fatigué, adossé à l’église
dont il est le curé, Saint-Vincent-de-Paul. Longiligne dans sa soutane noire,
il se tient dans la pénombre, la chevelure impeccablement peignée et assortie à
son « habit de travail ». Égrenant son chapelet, l’homme prie en
attendant le journaliste. Nous sommes à Marseille, 1er arrondissement, sur les
hauteurs de cette Canebière connaissent peu ou pas les touristes. C’est au cœur
de la cité phocéenne, dans ce quartier défavorisé et essentiellement peuplé de
musulmans que le Père Michel prêtre du diocèse de Marseille, a été installé en
2004. « On a tout essayé ici, mais
rien ne prend... », lui explique Mgr Benoît
Rivière, alors évêque auxiliaire. La dévotion à Notre-Dame de la Garde cache un
taux de pratique qui n’excède pas 1% en ville.
En centre-ville, c’est pire. Même des « spécialistes »
comme les membres de la Communauté de l'Emmanuel, un temps présents sur la
paroisse, s’y sont cassé les dents. C’en est fini des « Réformés »,
comme l’appellent les Marseillais (l’actuelle église a été bâtie à
l’emplacement d’une ancienne chapelle d’Augustins Réformés). II est même
envisagé de désaffecter l’église Saint-Vincent-de-Paul dont les flèches
pointent à
« Quand je suis arrivé, la messe
était célébrée dans la crypte pour la petite communauté qui survivait ici, une
cinquantaine de personnes tout au plus », se remémore
un des plus anciens paroissiens. Le nouveau curé n’attendra pas plus de dix
jours avant de faire sortir le petit troupeau de ses catacombes. Cinq ans plus
tard, ils sont plus de cinq cents personnes, de toute origine sociale,
culturelle ou ethnique à accourir chaque dimanche de tout Marseille, parfois
même de plus loin, aux « Réformés ». L’ajout systématique de chaises
supplémentaires n’empêche pas des dizaines de personnes de devoir rester debout
au fond ou dans les allées latérales de l’église.
Toute exagération ayant parfois cours sur le Vieux Port mise à
part, le « miracle » est, en grande partie, imputable à l’homme à la
soutane, dont la réputation déborde aujourd'hui Marseille et sa région. En ces
temps où les prêtres se font aussi rares que leurs ouailles dans les églises de
France, la « success-story » des Réformés suscite l’interrogation.
Dans un récent article, le quotidien méridional La Provence s’étonne de ce « curé
qui multiplie les paroissiens ». Idem pour L’Express. Et Jean-Pierre Pernault et son JT de 13h lui ont aussi
rendu visite.
Un prêtre au charisme hors norme
Le Père Zanotti-Sorkine subit paisiblement cette renommée. Là n'est
pas l'essentiel pour le curé marseillais qui n’a d’autre souci que de « ramener le plus d’âmes possibles à
Dieu » comme il l’explique de sa voix à la fois onctueuse et décidée.
Pour cela, le prêtre a ressorti l’artillerie lourde, éprouvée depuis des
siècles dans l’Église. Des armes de conversion massive qui ont pour nom
charité, beauté de la liturgie, confessions, consécrations à la Sainte Vierge,
neuvaines et prières quotidiennes à saint Michel. Rien donc de révolutionnaire
aux Réformés, si ce n’est qu’au service de cette pastorale se trouve un prêtre
au charisme hors norme. « C’est la
Vierge qui fait tout ! », assure-t-il.
Âgé de 50 ans, le Père Zanotti-Sorkine a été ordonné il y a
seulement dix ans. Avec pour devise, cette phrase de saint Paul aux
Corinthiens : « Je me suis fait
à tout à tous pour les sauver tous ». L’homme à la double ascendance
corse et russe date sa vocation sacerdotale de son enfance passée à Nice. « J’avais 7 ans lorsque j’ai rencontré
le Père Antoine Galas. Ce Salésien, un homme de piété et de dévouement, m’a
introduit dans le climat surnaturel. En le regardant vivre, j’avais
l’impression de me trouver en face de Don Bosco lui-même. » À 8 ans, « après deux jours de réflexion
intense », le jeune Michel-Marie prend sa décision : il sera
prêtre. Si ses parents l'ont élevé dans un climat d'amour, la question
religieuse est pourtant absente de la famille Zanotti-Sorkine. « Je n’ai pas le souvenir d’avoir prié
où d’être entré dans une église avant mes 7 ans. »
Entre ses activités avec le Père Galas, vécues dans le cadre d’un
patronage où ses parents l’avaient inscrit, et la classe de piano du
conservatoire de Nice, Michel-Marie grandit, enfant enthousiaste et insouciant
malgré la grande émotivité qui ne l’a jamais quitté. La mort de sa mère alors
qu’il a 13 ans est vécue comme « un
choc énorme », « une
rupture dévastatrice. » « Sa
disparition m’a fait entrer dans une sorte de gravité face à l’existence tout
en m’armant d’une force inattendue », reconnaît le prêtre au regard
sombre mais doux.
Pour faire taire la souffrance, le jeune garçon s'investit encore
plus dans la musique. Il trouve également en la personne de la Vierge Marie un
véritable soutien. « La Sainte
Vierge a pris le relais de ma mère. Elle est venue à ma rescousse. Je l'ai
toujours aimée d un amour inconditionnel » Cette dévotion pour la Mère
de Dieu ne l’a jamais quitté. Pour rien au monde le curé des Réformés ne
lâcherait son chapelet - il confesse même en récitant son rosaire, ce qui n’est
pas allé sans surprendre quelques pénitents ! « Le Christ est passé par Marie pour arriver jusqu’à nous. Comme
Lui, passons par elle pour arriver jusqu'à Dieu. Elle prépare les cœurs à
recevoir le Christ, c’est pourquoi elle devrait, à mon sens, être davantage
annoncée comme première dans la foi. »
« À travers mes paroles qui, je
l’espère, viennent de “plus haut” c'est tout l'être qui doit être touché, pas
seulement l’intellect ; l’âme tout entière est concernée », estime ce brillant prédicateur qui confie néanmoins que « parler au Nom de Dieu, c'est terrible !
Quelle responsabilité ! »
Le dimanche, entre 10h30 et midi, grâces et contraventions pleuvent
dans le quartier
« Le Père Zanotti est caractérisé
par son amour démesuré de la Vierge. Mais je suis également frappée par sa foi,
sa bonté et son sens du beau », explique Christiane
Dussaulx. Dans son modeste bureau de l’avenue Franklin-Roosevelt, la secrétaire
de la paroisse raconte sa rencontre avec lui lorsqu’il était encore vicaire à
la basilique du Sacré-Cœur de Marseille. « C’était
il y a dix ans. Mon mari venait de décéder… je partais à la retraite : une
période délicate dans ma vie durant laquelle il a su m’écouter et me
conseiller... », raconte pudiquement cette
Marseillaise pure souche.
Ainsi, lorsqu'il est nommé aux Réformés, Christiane ne va pas hésiter
à déménager pour le suivre dans sa nouvelle affectation. Un choix surprenant.
Mais elle n’est pas la seule. « Je
connais un couple âgé et une autre dame qui ont fait de même. »
C’est un fait, sur les cinq cents à six cents personnes qui se
pressent chaque dimanche aux Réformés pour y suivre la messe du Père
Zanotti-Sorkine, la moitié n’est pas du quartier. « Il n'est pas facile de s'y garer et certains me reprochent que
cela leur coûte cher de venir assister à la messe ici »,
explique-t-il, amusé. Tous les dimanches, entre 10h30 et midi, grâces et
contraventions pleuvent indistinctement sur les Réformés...
Colette vient des Trois-Lucs, un quartier résidentiel situe à l'est
de Marseille « J'ai entendu parler
du Père il y a quatre ans. Je suis venue assister à une messe et depuis je
reste fidèle aux Réformés », explique cette dame plutôt bon chic bon genre de 67 ans. Elle aussi loue les qualités
humaines du curé : « Il sent
les choses et fait du bien ». Pourtant, elle avoue avoir au début été
quelque peu décontenancée par cette manière « un
peu désuète ». de célébrer l’Eucharistie. Par
« désuète », entendre usage
de l’encens, génuflexions et discrets emprunts au latin durant la liturgie.
Mais elle est séduite par le recueillement de l’assemblée et, surtout, par les
homélies du Père Michel-Marie. « Je
venais avec un appareil pour enregistrer ses sermons. Cela me permettait de les
réécouter durant la semaine. » Devant la multiplication de ce genre de
comportement, des fidèles ont créé un site Internet où, semaine après
semaine, sont ajoutées ces homélies. « L’un
de mes paroissiens, un médecin m’a un jour confié : “Si je ne pleure pas
pendant l’un de vos sermons, c’est qu’il était mauvais”.»
Du mardi au vendredi, le prêtre ouvre son église à 8h. Là,
l’attendent souvent quelques personnes venues lui confier un problème
personnel, familial, ou désirant se confesser. Tous les soirs de la semaine, à
partir de 19h et souvent tard dans la nuit, il se tient également à disposition
dans la sacristie.
Pour se rendre disponible à tous, il a pris une décision
radicale : aux Réformés, les réunions sont limitées au strict nécessaire. « Le bien concret de la personne passe
avant les problèmes d'ensemble. Si j’ai quelque chose à entendre de l’un des
soixante bénévoles de la paroisse, ou à lui dire, je choisis la rencontre
individuelle, souvent autour d’un repas ou d’un verre dans l'un des cafés
voisins de l'église Ce sont mes chapelles latérales ! »,s'amuse le Père Zanotti-Sorkine, qui défend mordicus une
vision familiale de la vie paroissiale. Il ajoute : « Tout le monde, chrétien ou pas, a le droit de voir un prêtre en
dehors de l’église ».
Remarqué par Tino Rossi au « Café de Paris » de
Monte-Carlo
Le curé tire en partie cette conviction de son expérience dans le
monde du spectacle. En effet, bien avant d’enflammer par la voix le cœur de ses
paroissiens, il a connu le succès dans les cabarets de Paris et de la Côte
d’Azur. Auteur, compositeur, interprète, il faisait alors fructifier son talent
et ses années de conservatoire. Persuadé que la musique lui permettrait
d’évangéliser le monde, il sa carrière avec ardeur, se produisant toujours avec
une petite statue de Marie posée sur son piano. Un soir, au célèbre Café de Paris de Monte-Carlo, un certain
Tino Rossi remarque son tour de chants. « Ce
fut une belle rencontre, extrêmement encourageante. Il me mit en rapport avec
son impresario et m’incita vivement à gagner Paris »
Cependant, inlassablement habité par le désir d'être prêtre,
Michel-Marie se rend alors au Foyer de Charité de Châteauneuf-de-galaure pour
connaître l’avis de Marthe Robin sur la suite à donner à sa vie. « Il vous faudra beaucoup de temps...
m’a-t-elle dit. J’ai mis vingt ans pour comprendre le sens de cette
phrase. » La petite paysanne drômoise l’avait pressenti : le
chemin qui le mènerait jusqu’à l’ordination serait sinueux. Sur le pas de la
porte de Marthe, le Père Finet devait ajouter : « Allez à Paris ! »
Une promesse de travail au Lido sans suite, suivie d’une rencontre
avec un Frère de la Congrégation Saint-Jean l’amène à rencontrer le Père
Marie-Dominique Philippe un dominicain. Le début d’une longue amitié entre les
deux hommes. « “Préférez les âmes à
votre vocation”, m’a-t-il dit. “Ne vous inquiétez pas, la Sainte Vierge s'en
occupe”. »
Michel-Marie se croit appelé chez les Dominicains : il passe
chez eux quatre ans à Toulouse et à Bordeaux. Puis, fasciné par la figure
spirituelle de saint Maximilien Kolbe, il rencontre des franciscains
conventuels. Qu’il rejoint finalement.
En septembre 1993, il est envoyé en Roumanie, chargé de la
formation d’une quarantaine de jeunes, dont dix-neuf sont aujourd’hui prêtres.
Il vient d’ailleurs de consacrer un livre inspiré, incandescent et
remarquablement écrit, à l’un de ses anciens élèves, le Père Valentin-Marie(1),
mort à l’âge de 26 ans en allant célébrer sa première messe.
Dix ans après son ordination pour le diocèse de Marseille en 1999,
Père Zanotti-Sorkine est toujours brûlé par désir d’annoncer le Christ, habité
par ces mots du célèbre prédicateur dominicain Lacordaire dont il a fait une
devise : « C'est la bonté qui
rend Dieu populaire ». Cette bonté, il s’emploie à la déverser sur
tous ceux qu’il croise dans son église, son confessionnal, les bars du quartier
ou dans la rue. « Baptême, mariage,
bénédiction, simple écoute ou soutien matériel : j’essaie toujours de
répondre favorablement aux demandes que l’on me fait... dans la mesure où elles
ne sont pas farfelues ! Je ne veux pas faire passer ces gens au tamis de
ma personne ou encore de l’Église, mais bien à celui de Dieu. »
Son regard sombre vous scrute avec bienveillance. Dernière poignée
de main avant de l’enfouir dans sa poche pour serrer son chapelet. Le prêtre
longiligne s’en retourne vers son église. En le regardant s’éloigner, courbé
dans sa soutane, on n’est pas loin de penser que la Canebière a accouché d’un
nouveau Curé d'Ars.
(1) Cette
nuit, l’éternité par Michel-Marie Zanotti-Sorkine,
Éditions de l’Œuvre,
160 pages, 17€.