Lettre du Primat du Canada aux
médecins
« ÊTRE ET DEVENIR
PERSONNE »
À LA FÉDÉRATION CANADIENNE DES
SOCIÉTÉS DE MÉDECINS CATHOLIQUES (FCSMC)
INTRODUCTION
Je salue
comme un grand signe d'espérance l'engagement renouvelé des médecins
catholiques pour une culture de la vie qui soit davantage respectueuse de la
dignité de la personne humaine. Ce congrès annuel de la Fédération
canadienne des sociétés de médecins catholiques témoigne de cet engagement
et je vous remercie de m'avoir associé à votre réflexion.
Engagés par
le Serment d'Hippocrate et guidés par une vision anthropologique
chrétienne, vous êtes confrontés à des courants sociaux qui défient ouvertement
votre conscience morale et votre service professionnel.
Cette
confrontation devient maintenant plus dramatique à cause de la pression accrue
venant de mesures législatives (ex.: lois ou projets de lois sur l'avortement
et l'euthanasie) qui touchent le traitement de la vie humaine à son début et à sa
fin. Par ailleurs, l'objection de conscience à laquelle vous avez droit est un
dernier recours qui menace d'être remis en cause par de nouvelles régulations.
Avortement,
euthanasie, suicide assisté, utilisation des cellules souches, gestion de
l'état végétatif de certains patients, recherche sur les embryons :
beaucoup de nouvelles questions se posent à cause des progrès de la science
biomédicale. En conséquence, des choix éthiques s'imposent à la conscience
concernant le traitement de l'être humain à toutes les phases de son
développement, depuis le premier instant de sa conception jusqu'à sa mort.
Certains
courants de pensée distinguent entre l'être humain et la personne humaine,
proposant que la dignité de la personne humaine soit affirmée
inconditionnellement à partir du moment de la naissance, alors que les phases
antérieures du développement de l'embryon et du fœtus ne jouiraient pas de la
même garantie juridique.
L'Église
catholique rejette cette distinction dans l'Instruction Donum vitæ de
1987 car la dignité de la personne humaine est la même à toutes les phases de
son développement :
Si
l'Instruction Donum vitae n'a pas défini l'embryon comme personne, afin
de ne pas s'engager expressément dans une affirmation de nature philosophique,
elle a cependant relevé qu'il existe un lien intrinsèque entre la dimension
ontologique et la valeur spécifique de chaque être humain. Même si la présence
d'une âme spirituelle ne peut être détectée par aucune observation de donnée
expérimentale, les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l'embryon
humain « fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement
une présence personnelle dès cette première apparition d'une vie humaine :
comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine? »
(Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae,I, 1: AAS 80 (1988), 78-79 ; La
Documentation catholique (1987),p. 352).
L'embryon
humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne
(Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas personæ sur
certaines questions de bioéthique, 5; La Documentation catholique,
numéro 2415 du 04/01/2009).
De fait, la
réalité de l'être humain, tout au long de son existence, avant et après sa
naissance, ne permet d'affirmer ni un changement de nature ni une gradation de
la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et
éthique.
Le débat en
cours au Québec sur la décriminalisation de l'euthanasie a fait émerger le
concept de la dignité de la personne d'un point de vue nouveau.
Les tenants
de la libéralisation de l'euthanasie interprètent ce concept d'un point de vue
subjectif alléguant qu'à un certain degré de souffrance, d'impuissance ou de
dégradation de l'organisme humain, la vie n'est plus « digne » d'être
vécue. En conséquence, on devrait autoriser la personne qui voudrait en finir
plus rapidement à procéder avec l'appui de ses proches et un support médical
adéquat.
Une telle
conception de la dignité, liée à l'état de santé plus ou moins délabré d'une
personne, est réductrice et dangereuse. Car elle prend pour mesure et fondement
une perception subjective passagère qui ne tient pas compte des valeurs
sociales communes, de la loi profonde du respect de la vie inscrite dans la
conscience humaine et de l'horizon global de l'existence humaine promise à un
destin transcendant.
Tout leur
raisonnement est articulé autour du moment insupportable qu’il faut éviter
parce qu'il serait indigne de souffrir inutilement, de se voir réduit à
l'impuissance, d'être soumis à la dépendance totale d'autrui et à l'humiliation
de perdre le contrôle de soi-même à l'approche de la mort. À cette idéologie
qui dévalorise la dignité de la personne humaine, il faut opposer une vision
anthropologique globale conforme à la raison éclairée par la foi, selon la
tradition judéo-chrétienne qui est la nôtre en Occident.
I. Principe
et fondement
Là où la
conscience morale n'est pas faussée par la pression ambiante, par des
présupposés matérialistes ou des intérêts égoïstes, la personne humaine
expérimente sa vie comme un don qui lui vient du Créateur. Elle se sait
spontanément redevable envers lui de sa vie et appelée à lui rendre compte de
sa conduite et de l'usage de ses talents.
Parmi les
valeurs confiées à la responsabilité de la personne humaine, le respect de la
vie à toutes les phases de son développement apparaît comme le principe et le
fondement de l'ordre moral de la société. La valeur intrinsèque de la personne
humaine, fondée sur sa qualité d'être supérieure à toute la nature matérielle,
constitue la base de toutes les autres valeurs. Carla, personne humaine, est dotée d'une âme spirituelle et immortelle qui est promise
à une vie de communion définitive avec Dieu par-delà la mort. Le philosophe
Blaise Pascal parle de trois ordres de réalité : l'ordre des corps, l'ordre
de l'esprit et l'ordre de la charité. De l'un à l'autre de ces ordres, il y a
une nette distinction et un saut qualitatif.
Cette
vision anthropologique est commune à la culture occidentale enracinée dans la
pensée grecque et la tradition judéo-chrétienne. Elle procède de la notion
d'Alliance inscrite dans la Bible, qui définit la personne humaine comme une
créature aimée personnellement par Dieu et interpellée à vivre en dépendance
filiale à son égard. Conformément à ce rapport vital au Créateur, la Bible interdit
toute décision unilatérale du côté humain visant à supprimer la vie d'autrui,
ou à l'abréger, ou bien à porter atteinte à sa propre vie, car aucun être
humain n'est l'arbitre ultime de la vie. Le Créateur de l'homme est l'unique Maître
de la vie. On ne peut usurper le droit souverain qu'il possède sur son œuvre,
qui est régie par des lois établies par lui pour la conception, la gestation,
la naissance, la croissance, le déclin et la mort de ses créatures humaines
(3).
Agir
autrement sans égard pour l'ordre établi par Dieu introduit un désordre aux
conséquences graves et imprévisibles, comme il appert déjà de la
décriminalisation de l'avortement et de l'euthanasie dans certains pays
occidentaux. La rupture de l'ordre social fondé sur la reconnaissance du droit
souverain de Dieu sur la vie entraîne l'affaiblissement du sens moral, la
dégradation des rapports humains, la
montée de la violence et la « culture de mort » dont on ne mesure
plus les conséquences à venir. Cette norme éthique fondamentale est confirmée
par l'explicitation du dessein de Dieu dans le Christ, qui fournit des raisons
additionnelles pour respecter la vie et la dignité de toute personne humaine.
Si chaque
individu peut décider du terme de sa propre vie ou de l'existence d'une autre personne
humaine malade ou en gestation dans le sein maternel, il n'y a plus aucune
limite à la volonté de puissance et aux choix arbitraires. Par conséquent,
notre société facilite la prolifération des situations d'injustice où le droit
du plus fort l'emporte sur le droit du plus faible. Et ce sont les pauvres et
les êtres les plus fragiles qui sont sacrifiés, quelle que soit par ailleurs la
rhétorique de lutte à la pauvreté qui canalise les restes de conscience éthique
vers des objectifs politiquement corrects.
De fait,
nous constatons le déclin de notre civilisation dont les valeurs fondamentales
de liberté, d'égalité et de fraternité ont perdu leur fondement universellement
reconnu. Parallèlement à l'inflation des droits de l'homme, nous constatons un
recul de l'humanité, dans la mesure où la domination de la force brutale, même
admise par des majorités, conduit à la suppression d'êtres humains, quelle que
soit la justification qu'on en donne par ailleurs à l'aide des lois et du
pouvoir médiatique.
Là où la
personne humaine n'est plus respectée dans sa dignité ontologique, c'est-à-dire
dans son être même indépendamment de sa race, de sa couleur, de son statut
social, de son état de santé, de son sexe, de sa dimension microscopique de
zygote, la porte est ouverte à tous les abus, à toutes les manipulations. Le
rempart de la vie civilisée est abattu et la démocratie elle-même est menacée.
« La vie humaine est sacrée parce
que, dès son origine, elle comporte « l'action créatrice de Dieu » et
demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique
fin. Dieu seul est le Maître de la vie, de son commencement à son terme
personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de
détruire directement un être humain innocent. » Instruction Donum vitae, 5.
Si on ne
respecte pas la personne humaine tout simplement parce qu'elle est une personne
humaine ou un être humain, on supprime le fondement des normes qui régissent la
vie en société, c'est-à-dire le fondement du droit. On fait place à un autre
fondement, consensuel, aléatoire, éphémère, évolutif et mouvant.
Une
personne humaine a droit à la vie parce qu'elle est une personne humaine et non
parce qu'elle est attendue, désirée, qu'elle ne dérange pas, qu'elle ne menace
pas, parce qu'elle ne coûte pas cher, etc. Il n'y a pas de raison qui déboute
la raison fondatrice, la valeur première, le pilier qui soutient tout
l'édifice.
Si le droit
à la vie est soumis aux intérêts subjectifs des individus, on instaure comme
fondement de la vie en société le droit du plus fort, ce qui entraîne la
suppression légale des grossesses non désirées, reléguant l'être humain dans le
sein maternel à un statut juridique de seconde classe, pour ne pas dire
inexistant.
Dans une
société où on abhorre la discrimination sous toutes ses formes, on instaure la
discrimination à l'égard des êtres les plus faibles, les plus incapables de se
défendre. Et pour se donner bonne conscience, on argumente le déni de la
dignité de personne qui mettrait à l'abri ces êtres fragiles. On les réduit au
niveau d'une excroissance organique à éliminer, s'il faut assurer la santé de
la mère qui se sent agressée, menacée ou simplement, en certains cas,
importunée dans son plan de carrière.
Non
seulement cet être humain est incapable de se défendre, maison prive ceux et
celles qui voudraient le défendre des moyens légaux pour le faire. En d'autres
termes, on érige l'iniquité en système et on façonne l'opinion publique à grand
renfort de pression médiatique avec la valeur suprême de l'affirmation de soi
et de la liberté de choix, sans égard pour la dignité de la personne humaine.
II. Créés à
l'image de Dieu et vers sa ressemblance
Ce que je
viens de dire du point de vue des principes peut aussi se vérifier à partir de
l'expérience du développement de la personne humaine.
Il est
reconnu scientifiquement que l'être humain dispose dès sa conception d'un
capital génétique unique et complet qui va se développer dans une ligne de
continuité et de croissance. La personne adulte qui a parcouru toutes les
phases. À cette évidence de toujours [...] la science génétique moderne apporte
de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se
trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme
individuel avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées. « Dès la fécondation commencée
l'aventure d'une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du
temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir. » (Congrégation
pour la Doctrine de la Foi Déclaration sur l'avortement provoqué 12 : 13
AAS 66 (1974), 738).
Cet être
humain fragile s'est développé en interaction avec son milieu porteur, en
premier lieu le sein de sa mère qui le nourrit, le protège, l'accompagne
physiquement et spirituellement, et le met au monde.
On
sous-estime généralement la portée des relations humaines dans toutes les
phases du développement humain et en particulier dans la phase initiale de croissance.
La même observation est valable pour la fin de la vie où la conscience de soi
des personnes mourantes est tamisée et la communication avec elles est réduite.
Mais en fait, au moment d'initier ou de clore le processus de la vie humaine,
la qualité des relations interpersonnelles demeure plus décisive qu'à aucun
autre moment de la vie.
La personne
humaine n'est pas qu'un amas de cellules qui répond à des stimulus
d'ordre physique ou chimique, elle est d'abord un sujet de relations. Ces
relations font partie intégrante de son être et conditionnent profondément
l'acquisition de son identité.
Si une mère
accueille, tolère ou rejette l'enfant qu'elle porte, cet enfant subira toute sa
vie les conséquences du premier traitement personnel qu’il a reçu. Des
angoisses et des troubles de la personnalité s'originent souvent de traumatismes
ressentis dans la tendre enfance ou dès le sein maternel. Je laisse aux
spécialistes compétents dans ces domaines d'étayer davantage les répercussions
de la dimension relationnelle de l'être humain sur sa santé psychique et sa
capacité d'intégration sociale.
Le point
qui m'intéresse est surtout philosophique et théologique. L’être humain, qui a
la dignité de personne dès la conception, n'est pas une monade sans fenêtre
(Leibniz) ou un pur esprit tombé dans une machine(Descartes); c'est un composé
d'âme et de corps unis substantiellement, un sujet concret constitué d'un
principe vital dynamique qui structure une matière en organisme vivant. C'est
un sujet dans le monde s'exprimant dans un corps humain donné qui devient la
médiation de ses multiples contacts et dialogues avec le milieu ambiant et la
société.
Mais au
plus profond, l'homme est un être interpellé. L'enfant s'éveille à la
conscience de soi grâce au sourire de sa mère qui l'appelle, dans l'amour, à être
ce qu'il est : une personne en dialogue. L'éclosion de la conscience de
soi dépend donc de cette médiation personnelle qui constitue en même temps la
première expérience de Dieu.
La
philosophie contemporaine a beaucoup développé la dimension interpersonnelle de
l'être humain, soulignant l'importance des rapports familiaux, la signification
symbolique du corps, le caractère structurant du langage, la dynamique de
l'éducation fondée sur le dialogue, la participation et le témoignage. Car le
premier éveil de l'enfant par sa mère constitue la première expérience
transcendantale de l'être comme bon et vrai, et cette expérience contient déjà
la révélation, simplicité soit-elle, de la plénitude du Bien et du Vrai. Cette expérience
structure la conscience éthique de la personne humaine en lui donnant son pôle d'attraction
et son fondement. La recherche du bien dans les rapports humains tend
ultimement vers l'identification au Bien absolu.
Toutes ces
dimensions de la personne humaine reçoivent un éclairage ultime de la théologie
qui précise la source créatrice de
l'être humain. « Créés à l'image de Dieu » est le thème
général de notre colloque et notre référence ultime pour comprendre la dignité
et la beauté de la personne humaine. Même si nous faisons un usage discret de
ce thème dans le débat public où nous cherchons un consensus autour de données
rationnelles communes, il est néanmoins fondamental de s'y arrêter sérieusement
dans le cadre d'une réflexion chrétienne sur le fondement de la dignité
humaine.
Nous
appartenons à une civilisation dont les valeurs et les marqueurs d'identité
proviennent du christianisme et donc de l'héritage biblique. Dans cette
tradition, la personne humaine est considérée comme une valeur suprême et
fondatrice parce qu'elle est créée à l'image de Dieu. Arrêtons-nous aux
implications de ce concept.
Premièrement,
la personne humaine est créée, c'est-à-dire qu'elle doit son être à un Être
suprême transcendant qui n'a pas jeté au hasard des créatures dans l'existence,
mais qui les a créées selon un dessein qui trouve son unité dans le
5Cf.
H. U. Von Balthasar, « Neuf thèses
pour une éthique chrétienne »,ch. 3, dans J. Ratzinger et P. Delhaye (dir.), Principes
d'éthique chrétienne, Lethielleux/Sycomore, 93.
Voir à ce
sujet les études sur intersubjectivité du philosophe personnaliste Maurice Nedoncelle : M. Nedoncelle, Intersubjectivité et
ontologie, Louvain, Nauwelaerts, 1974; Emmanuel Lévinas.
Christ. Le
Verbe de Dieu incarné, révélateur du Père Créateur et médiateur de l'Esprit
divin, rassemble l'humanité entière dans la grande famille des enfants de Dieu.
Créés à l'image de Dieu veut dire aussi que la nature humaine, la personne
humaine, tire les marques de son identité à la fois de sa dignité substantielle
et de son dynamisme relationnel.
Deuxièmement,
le Dieu des chrétiens est trinitaire. Il est Amour, ce qui implique une
pluralité de Personnes dans l'unité d'une même nature. Saint Thomas d'Aquin
parle de relations subsistantes pour désigner les trois Personnes divines qui
sont un seul Dieu, mais dont le mode propre de chacune d'être Amour varie selon
un ordre de relations.
Le Père est
Amour en tant que Don originant qui engendre; le Fils est Amour en tant que Don
accueilli qui se donne en retour; l'Esprit Saint est Amour en tant qu'il
procède de l'absolue réciprocité d'amour du Père et du Fils.
La personne humaine est créée à l'image
de Dieu et « selon sa ressemblance » (cf.
Gn 1, 27), ce qui implique une participation à la seigneurie de Dieu sur le
monde, notamment par le moyen de la fécondité (cf. 1, 28). La personne
humaine porte en elle-même l'appel à la ressemblance trinitaire qui lui confère
un dynamisme de communion en tension vers une plénitude. La vie conjugale et
familiale est la première réalisation de cette ressemblance par l'amour. Ce
dynamisme de communion s'inscrit dans un réseau plus large de relations
humaines traversé par le mystère de l'Alliance entre Dieu et l'homme, dans le
Christ. Ce qui suppose une réponse personnelle à l'appel personnel de Dieu dans
le Christ pour l'épanouissement total de la personne humaine. Cet appel inclut
toujours un don et une mission, le don d'une participation à la filiation
divine du Christ et la mission d'être un membre de son Corps, chargé de remplir
sa propre fonction dans ce Corps.
Mais quelle
que soit la fonction à remplir dans le Corps du Christ qu'est l'Église, c'est
la qualité de l'amour qui détermine l'épanouissement de la personne, tant dans
ses relations humaines ici-bas que dans le prolongement de sa vie dans
l'éternité. Le sens plénier de la vie humaine qui fonde l'éthique ne peut être
que la ressemblance trinitaire qui polarise toutes les énergies de la personne
humaine vers l'Amour qui contient le bonheur éternel.
Toutes ces
considérations nous aident à comprendre l'exigence du respect de la vie à
toutes les phases de son développement, de la conception à la sépulture. Elles
justifient par conséquent qu'en fin de vie, on pratique des soins palliatifs de
qualité au lieu d'éliminer les patients qui souffrent, car ils peuvent
continuer à grandir jusque dans l'extrême faiblesse.
III.
Éthique médicale et engagement social
Parce qu'il
est à l'image de Dieu l'individu humain a la dignité de personne : il
n'est pas seulement quelque chose, mais quelqu'un. Il est capable de se
connaître, de se posséder et de librement se donner et entrer en communion avec
d'autres personnes, et il est appelé, par grâce, à une alliance avec son
Créateur, à Lui offrir une réponse de foi et d'amour que nul autre ne peut
donner à sa place (CEC, 357.).
Plus on
prend conscience de la dimension relationnelle de la personne humaine, plus on
est motivé à construire une civilisation de l'amour et plus on voit les effets
destructeurs d'une conception de la personne sans Dieu.
Rappelons
de nouveau l'anthropologie qui fonde les droits humains. C'est la qualité ontologique
de la personne et son lien sacré avec Dieu qui proscrit toute violation de son
droit à la vie, au respect, à une existence décente, à la liberté de conscience
et de religion, etc.
Enlevez
cette référence transcendante et cette inviolabilité ontologique et il ne reste
plus que le pouvoir du plus fort pour imposer un ordre social qui sera alors à
l'image du surhomme dans la vision de Nietzsche : insensible aux êtres les
plus fragiles et à la misère des pauvres, ce pouvoir sera appâté finalement par
l'argent et n'aura que mépris pour les vertus chrétiennes d'humilité et de
compassion.
L'Occident
chrétien risque de renier le fondement de la civilisation dont nous sommes
héritiers et de construire une société pluraliste certes, mais qui n'a plus de
principe unificateur universel et inattaquable pour en assurer la cohésion.
Après l'amère expérience des totalitarismes du XXème siècle, nous glissons vers
une dictature du relativisme, ce qui signifie en dernière analyse la
manipulation des droits humains et l'imposition d'une pensée unique,
politiquement correcte, avec l'appui du pouvoir médiatique.
Ce
diagnostic peut sembler alarmant, mais
quand on voit évoluer l'Occident vers une « culture de mort » de plus
en plus envahissante, on ne peut s'empêcher de tirer la sonnette d'alarme.
Avortements massifs, suicides décuplés, euthanasie en progression géométrique,
foyers détruits, couples éphémères, conjoints non-mariés, enfants non désirés
ou instrumentalisés, techniques raffinées d'eugénisme et de régulation des
naissances, manipulations génétiques, etc., etc. Tous ces faits mettent en
évidence le désarroi d'une humanité déboussolée et aspirée par le néant.
On constate
tristement l'absence d'une norme éthique claire, universellement admise et
respectée, qui garantirait l'ordre social et donc un vivre ensemble dans
l'égalité des droits et la liberté pour tous.
Cette norme
éthique existe et ne peut être que le respect inconditionnel de la personne
humaine en raison de sa dignité native, de son alliance personnelle inviolable
avec Dieu et de sa contribution unique et irremplaçable au bien commun de
l'humanité. Reconnaître cette norme et son fondement devient la tâche la plus
urgente et la responsabilité la plus grave en particulier dans le domaine
médical et dans la gestion de la santé publique.
C'est le
message constant que l'Église catholique rappelle à notre époque contre les
courants destructeurs qui combattent cette norme éthique fondamentale. Ces
courants imposent des valeurs particulières (autonomie absolue de la femme,
élimination de la souffrance, contrôle de la population, expériences
scientifiques, manipulations génétiques, etc.), mais au détriment du bien
commun de tous les humains et de chaque personne humaine.
C'est
pourquoi il ne suffit plus de nos jours que les médecins assurent un service
professionnel de qualité, appuyés sur les ressources scientifiques de leur
formation médicale. Il leur faut une formation éthique supérieure et un
engagement social déterminé pour assurer le respect de la personne humaine à
tous les niveaux et à tous les stades de son développement. Ce double
engagement répond aux conditions actuelles d'exercice de la profession médicale
qui a besoin d'être protégée et même restaurée.
Cet
engagement au respect inconditionnel de la personne humaine vaut autant pour le
fœtus que pour le mourant, de même que pour le malade réduit à un état
végétatif. Ce respect concerne évidemment le médecin et sa conscience, et tous
les responsables de la santé, qui ont besoin de s'appuyer dans leur travail sur
des balises claires, des valeurs sûres, sans être placés sous la pression
d'intérêts autres que le soin consciencieux de la personne malade.
Ce congrès
marque un pas en avant dans la lutte très ardue chez nous pour le respect de la
personne humaine. Des intérêts particuliers ont
tellement pris de place et installé leur pouvoir dans la culture dominante
qu'il sera difficile de renverser la tendance. Mais ici comme en d'autres
domaines, ce n'est pas la certitude de la victoire qui doit servir d'aiguillon,
mais bien la noblesse de la cause et la certitude de servir le bien commun en
rappelant le fondement inaliénable de l'ordre établi par le Créateur et confié
à notre responsabilité.
Je félicite
tous ceux et celles qui osent se lever pour dire une parole constructive, une
parole libératrice, une parole qui unit les défenseurs de la personne humaine
dans une lutte pacifique et courageuse pour son bonheur véritable. N'oublions jamais que ce bonheur engage,
par delà l'horizon terrestre, la vie éternelle.
CONCLUSION
En
conclusion, permettez-moi de citer le pape Benoît XVI, que Dieu a donné comme
pasteur universel à l'Église catholique, malgré l'opposition médiatique qui se
déchaîne périodiquement contre son autorité morale et doctrinale. Nous avons en
lui un authentique docteur de l'Église et un phare de sagesse pour l'humanité.
Soyons fiers de lutter avec lui au service de la vérité, pour le respect de
chaque personne humaine et pour le bien commun de l'humanité. Il s'adressait en
2006 aux participants du Congrès international organisé par l'Académie
pontificale pour la Vie sur le thème : « L'embryon humain dans sa phase préimplantatoire » :
« En
réalité, celui qui aime la vérité, comme vous, chers chercheurs, devrait
percevoir que la recherche sur un thème aussi profond nous met en condition de
voir, et presque même de toucher, la
main de Dieu. [...]L'amour de Dieu ne fait pas de différence entre celui
qui vient d'être conçu et se trouve encore dans le sein de sa mère, et
l'enfant, ou le jeune, ou bien encore l'homme mûr ou âgé, car en chacun d'eux
il voit l'empreinte de sa propre image et ressemblance. »
8
Benoît XVI, Discours aux participants du Congrès international organisé
par l'Académie pontificale pour la Vie sur le thème : « L'embryon
humain dans sa phase préimplantatoire », 27 février 2006.
« Dès que l'ovule est fécondée, se
trouve inaugurée une vie qui n'est ni celle du père ni celle de la mère, mais
d'un nouvel être humain qui se développe par lui-même.
Il ne sera
jamais rendu humain s'il ne l'est pas dès lors.
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