LE TRAITÉ DE L'ENFER DE SAINTE FRANÇOISE ROMAINE !
Chapitre I
Du lieu de l’enfer,
de son prince, de l'entrée des âmes dans ce lieu d'horreur, et des peines qui
leur sont communes :
Un jour que la servante de Dieu était très souffrante, elle s'enferma
dans sa cellule, pour se livrer en toute liberté à l'exercice de la
contemplation, où elle trouvait sa consolation et tous ses délices. Il était
environ quatre heures de l'après midi : elle fut aussitôt ravie en extase, et
l'Archange Raphaël, qu’elle ne vit pas alors, vint la prendre, et la conduisit
à la vision de l'enfer. Arrivée à la porte de ce royaume effroyable, elle lut
ces paroles écrites en caractères de feu : « Ce lieu est l'enfer où
il n'y a ni repos, ni consolation, ni espérance ». Cette porte étant
ouverte, elle regarda et vit un abîme si profond et si épouvantable, que depuis
elle n'en pouvait parler sans que son sang se glaçât d'effroi.
De cet abîme sortaient des cris affreux et des exhalaisons insupportables ;
alors elle fut saisie d'une horreur extrême ; mais elle entendit la voix
de son conducteur invisible qui lui disait de garder courage, parce qu'il ne
lui arriverait aucun mal. Un peu rassurée par cette voix amie, elle observa
plus attentivement cette porte, et vit que déjà fort large à son entrée, elle
allait en s'élargissant toujours davantage dans son épaisseur ; mais dans
cet affreux corridor régnaient des ténèbres inimaginables ; cependant il
se fit pour elle une lumière, et elle vit que l'enfer était composé de trois
régions : l'une supérieure, l'autre inférieure, et l'autre intermédiaire.
Dans la région supérieure, tout annonçait de graves tourments ; dans celle
du milieu, l'appareil des tortures était encore plus effrayant ; mais,
dans la plus basse région, la souffrance était incompréhensible.
Ces trois régions étaient séparées par de longs espaces, où les ténèbres
étaient épaisses, et les instruments de tortures en nombre prodigieux et
extraordinairement variés. Dans cet abîme effroyable, vivait un immense dragon
qui en occupait toute la longueur : il avait sa queue dans l'enfer
inférieur, son corps dans l’enfer intermédiaire et sa tête dans l'enfer
supérieur. Sa gueule était béante dans l'ouverture de la porte qu'il
remplissait tout entière ; sa langue sortait d'une longueur démesurée ;
ses yeux et ses oreilles lançaient des flammes sans clarté, mais d'une chaleur
insupportable ; sa gorge vomissait une lave brûlante et d'une odeur
empestée.
Françoise entendit dans cet abîme un bruit effroyable : c'étaient
des cris, des hurlements, des blasphèmes, des lamentations déchirantes, et tout
cela mêlé à une chaleur étouffante, et à une odeur insoutenable, lui faisait un
tel mal, qu'elle crut que sa vie allait s'anéantir ; cependant son guide
invisible la rassura par ses inspirations, et lui rendit un peu de courage :
elle en avait besoin pour soutenir la vision dont nous allons parler. Elle
aperçut Satan sous la forme la plus terrifiante qu'il soit possible d'imaginer.
Il était assis sur un siège qui ressemblait à une longue poutre, dans l'enfer
du milieu, et cependant sa tête atteignait le haut de l'abîme, et ses pieds
descendaient jusqu'au fond ; il tenait ses jambes écartées, et ses bras
étendus, mais non en forme de croix. Une de ses mains menaçait le ciel, et
l'autre semblait indiquer le fond du précipice.
Deux immenses cornes de cerf couronnaient son front ; elles étaient
fort rameuses, et les innombrables petites cornes qui en sortaient, comme
autant de rameaux, semblaient autant de cheminées par où s'échappaient des
colonnes de flammes et de fumée. Son visage était d'une laideur repoussante et
d'un aspect terrible. Sa bouche, comme celle du dragon, vomissait un fleuve de
feu très ardent ; mais sans clarté et d'une puanteur affreuse. Il portait
au cou un carcan de fer rouge. Une chaîne brûlante le liait par le milieu du
corps, et ses pieds et ses mains étaient également enchaînés. Les fers de ses
mains étaient fortement cramponnés dans la voûte de l'abîme ; ceux de ses
pieds tenaient à un anneau fixé au fond du gouffre, et la chaîne qui lui liait
les reins, liait aussi le dragon dont nous avons parlé. À cette vision en
succéda une autre.
La servante de Dieu aperçut de tous côtés des âmes que les esprits qui
les avaient tentées ramenaient dans cette affreuse demeure : elles
portaient leurs péchés écrits sur leurs fronts en caractères si intelligibles,
que la sainte comprenait pour quels crimes chacune d'elles était damnée. Ces
lettres, du reste, n'étaient que pour elle seule ; car ces âmes
malheureuses ne connaissaient réciproquement leurs péchés que par la pensée.
Les démons qui les conduisaient, les accablaient de plaisanteries, de reproches
amers et de mauvais traitements, qu'il serait difficile de raconter, tant la
rage de ces monstres était inventive. À mesure que ces âmes arrivaient à
l'entrée du gouffre, les démons les renversaient et les précipitaient, la tête
la première, dans la gueule toujours ouverte du dragon. Ainsi englouties, elles
glissaient rapidement dans ses entrailles, et à l'ouverture inférieure, elles
étaient reçues par d'autres démons qui les conduisaient aussitôt à leur prince,
ce monstre enchaîné, dont nous venons de parler.
Il les jugeait sur-le-champ, et après avoir assigné le lieu qu'elles
devaient occuper selon leurs crimes, il les livrait à des démons qui lui
servaient de satellites pour les y conduire. La sainte remarqua que cette
translation ne se faisait pas de la même manière que celle des âmes qui passent
du purgatoire au paradis. Quoique la distance que ces dernières ont à parcourir
soit incomparablement plus grande que celle d'un enfer à l'autre, puisqu'il
leur faut traverser la terre, le ciel des astres et le cristallin, pour arriver
à l'empyrée ; cependant ce voyage se fait dans un clin d'œil. La marche
des âmes que Françoise voyait emporter par les gardes du tyran infernal, était
au contraire fort lente, tant à cause des ténèbres épaisses, qu'il leur fallait
traverser avec une sorte de violence, que des tortures qu'ils leur faisaient
souffrir dans les espaces intermédiaires dont nous avons parlé. Ce n'était donc
qu'après un certain temps que les démons finissaient par les déposer au fond de
l'abîme.
Françoise vit aussi arriver d'autres âmes moins coupables que les
premières, et cependant réprouvées ; elles étaient précipitées dans la
gueule du dragon, présentées à Lucifer, jugées et transférées par les démons,
comme les autres ; mais, au lieu de descendre au fond du gouffre, elles
montaient dans l'enfer supérieur, avec la même lenteur néanmoins, et en
subissant des tourments proportionnés à leurs péchés. Arrivées dans leur
prison, elles y trouvaient une multitude de démons en forme de serpents et de
bêtes féroces, dont la vue les terrorisait. Les regards de Satan les
épouvantaient encore davantage, et, sans parler de l'incendie général dans
lequel elles étaient enveloppées, le feu qui sortait du prince des ténèbres
leur faisait cruellement sentir son ardeur dévorante. Autour d'elles régnait
une nuit éternelle ; en sorte que rien ne pouvait faire diversion aux
peines qu'elles enduraient. Là, comme dans les autres parties de l'enfer,
chacune des âmes réprouvées était livrée à deux démons principaux, exécuteurs
des arrêts de la justice divine.
La fonction du premier était de la frapper, de la déchirer et de la
tourmenter sans cesse ; celle du second était de se moquer de son malheur,
en lui reprochant de se l'être attiré par sa faute ; de lui rappeler
continuellement le souvenir de ses péchés, mais de la manière la plus
accablante, en lui demandant comment elle avait pu céder aux tentations, et
consentir à offenser son Créateur ; de lui reprocher enfin, tous les
moyens qu'elle avait eus de se sauver, et toutes les occasions de faire le
bien, qu'elle avait perdues par sa faute. De là des remords déchirants, qui,
joints aux tourments que l'autre bourreau lui faisait éprouver, la mettaient
dans un état de rage et de désespoir, qu'elle exprimait par des hurlements et
des blasphèmes. La charge confiée à ces deux démons n'était pourtant pas
exclusive : tous les autres avaient également droit de l'insulter et de la
tourmenter, et ils ne manquaient pas d'en user.
La servante de Dieu ayant désiré savoir quelle différence il y avait
entre les habitants des trois provinces de ce royaume effroyable, il lui fut
dit que, dans la région inférieure, étaient placés les plus grands criminels ;
dans celle du milieu les criminels médiocres et dans la région supérieure les
moins coupables des réprouvés. Les âmes que vous voyez dans ce lieu le plus
haut, ajouta la voix qui l'instruisait, sont celles des Juifs qui, à leur
opiniâtreté près, vécurent exempts de grands crimes, celles des chrétiens qui
négligèrent la confession pendant la vie, et en furent privés à la mort, etc.
Tout ce que la bienheureuse voyait et entendait la remplissait d'épouvante ;
mais son guide avait grand soin de la rassurer et de la fortifier.
CHAPITRE II
Tourments
particuliers exercés sur neuf sortes de coupables :
1° Supplices de
ceux qui outragèrent la nature par leurs impuretés. Françoise aperçut dans la partie la plus basse et la plus horrible de
l'enfer des hommes et des femmes qui enduraient des tortures effroyables. Les
démons qui leur servaient de bourreaux les faisaient asseoir sur des barres de
fer rougies au feu, qui pénétraient le corps dans toute sa longueur, et
sortaient par le sommet de la tête, et pendant que l'un d'entre eux retirait
cette barre et la renfonçait de nouveau, les autres, avec des tenailles
ardentes, leur déchiraient les chairs depuis la tète jusqu'aux pieds. Or ces
tourments étaient continuels et cela sans exclusion des peines générales, je
veux dire du feu, du froid glacial, des épaisses ténèbres, des blasphèmes et
des grincements de dents.
- 2° Supplices des
usuriers. Non loin du cachot des premiers, Françoise en vit
un autre où les criminels étaient torturés d'une manière différente, et il lui
fut dit que c'étaient les usuriers. Or, ces malheureux étaient couchés et
cloués sur une table de feu, les bras étendus, mais non en forme de croix, et
le guide de Françoise lui dit à ce sujet, que tout signe de la croix était
banni de ces demeures infernales. Chacun d’eux avait un cercle de fer rouge sur
la tête. Les démons prenaient dans des chaudières de l'or et de l'argent fondus
qu'ils versaient dans leurs bouches ; ils en faisaient couler aussi dans
une ouverture qu’ils avaient pratiquée à l'endroit du cœur, en disant :
souvenez-vous, âmes misérables de l’affection que vous aviez pour ces métaux
pendant la vie ; c'est elle qui vous a conduites où vous êtes. Ils les
plongeaient ensuite dans une cuve pleine d'or et d'argent liquéfiés ; en
sorte, qu'elles ne faisaient que passer d'un tourment à un autre, sans obtenir
un moment de repos. Elles souffraient en outre, les peines communes à toutes
les autres âmes réprouvées ; ce qui les réduisait à un affreux désespoir :
aussi ne cessaient-elles de blasphémer le nom sacré de celui qui exerçait sur
elles ses justes vengeances.
- 3° Supplices des
blasphémateurs. Françoise vit, dans la
même région, les profanateurs obstinés de Dieu, de la sainte Vierge et des
saints. Or, ils étaient soumis à des tortures effroyables. Les démons, armés de
pinces brûlantes, tiraient leurs langues et les appliquaient sur des charbons
embrasés, ou bien ils prenaient de ces charbons, et les leur mettaient dans la
bouche ; ensuite ils les plongeaient dans des chaudières d'huile
bouillante, ou bien ils leur en faisaient avaler, en disant : « Comment
osiez-vous blasphémer ce que les cieux révèrent, âmes maudites et désespérées ?
Non loin de ceux-ci étaient les lâches qui renoncèrent Jésus-Christ par la
crainte des supplices ; mais leurs tourments n'étaient pas aussi
rigoureux, Dieu ayant égard à la faiblesse humaine qui les fit succomber.
- 4° Supplices des
traîtres. Françoise vit dans le même quartier, les tortures
qu’exerçaient les démons impitoyables sur les hommes infidèles à leurs maîtres,
et surtout sur les chrétiens qui ne prirent des engagements sur les fonts
sacrés du baptême que pour les profaner. Ces cruels bourreaux leur arrachaient
le cœur avec des tenailles ardentes, et le leur rendait ensuite pour l'arracher
de nouveau. Ils les descendaient aussi de temps en temps dans des cuves pleines
de poix bouillante, et leur disaient en les y tenant submergés : « Âmes
fausses et perfides, sans cœur et sans fidélité, non contents de trahir vos
maîtres temporels, vous avez osé trahir votre Dieu Lui-même ; car vous
prîtes sur les fonts du baptême, l'engagement solennel de renoncer à Satan, à
ses pompes et à ses œuvres, et vous avez fait tout l'opposé. N'oubliez pas ces
promesses, et recevez le châtiment que leur violation vous a mérité ». À
ces reproches amers succédaient les hurlements des victimes ; elles
blasphémaient aussi les sacrements, surtout le saint baptême et maudissaient
leur divin auteur.
- 5° Supplices des
homicides. Un peu plus loin elle vit des hommes à figures féroces,
plongés dans une immense chaudière remplie de sang en ébullition. Or, les
démons venaient les prendre dans cette chaudière bouillante et les jetaient
dans une autre pleine d'eau à moitié glacée ; puis les retiraient de
celle-ci pour les submerger dans la première. Mais ce n'était pas là leur
unique tourment, d'autres démons armés de poignards enflammés leur perçaient le
cœur et ne retiraient le fer de la plaie que pour l'y plonger encore. Auprès de
ces hommes sanguinaires, étaient placées ces mères qui se dénaturèrent au point
d'ôter la vie à leurs propres enfants, et leurs tortures étaient à peu près les
mêmes.
- 6° Supplices des
apostats qui abandonnèrent la foi catholique non
par faiblesse mais par corruption. Les démons les sciaient par le milieu du
corps, avec des scies de fer rouge, trempées dans du plomb fondu. Or, la reprise
des chairs s'opérait subitement après l'opération, et permettait aux bourreaux
de recommencer sans cesse.
- 7° Supplice des
incestueux. Il y eut dans tous les temps des hommes et des
femmes qui, emportés par une passion aveugle, commirent des impuretés avec des
personnes qui leur étaient unies par les liens du sang ou par des liens
spirituels. Or, la Servante de Dieu les vit dans un cachot voisin de celui des
habitants de Sodome. Or, les démons les plongeaient dans une fosse pleine de
matières infectes en ébullition ; puis les retirant de là, ils les
coupaient par quartiers, et lorsque ces quartiers s'étaient réunis, ce qui se
faisait aussitôt, ils les replongeaient dans le cloaque brûlant et fétide.
- 8° Supplices des
magiciens. Dans l'enfer du milieu, la bienheureuse vit ceux
qui, pendant leur vie, étaient en commerce avec le démon, et ceux qui les
consultaient et leur donnaient confiance. Ils étaient enveloppés dans des ténèbres
effroyables, et les bourreaux les lapidaient avec des pavés de fer rougis au
feu. Il y avait là un gril carré, au milieu duquel, brûlait un feu terrible.
Or, de temps en temps les démons couchaient leurs victimes sur ce gril, et les
y tenaient fortement enchaînés ; puis ils les retiraient de là pour les
lapider encore.
- 9° Supplices des
excommuniés. La servante de Dieu
remarqua que toutes les âmes précipitées dans la gueule du démon ne sortaient
pas de son corps. Ayant eu le désir de savoir quelles étaient les âmes qu'elle
ne voyait pas reparaître, il lui fut dit que c'étaient les âmes de ceux qui
étaient morts dans l'excommunication. Elles descendent, ajouta la voix qui
l'instruisait, dans la queue du dragon qui se prolonge jusqu'au fond de
l'abîme, et est un vaste foyer où brûle un feu dévorant. Elles étaient donc
renfermées dans cette affreuse prison, et les démons qui rôdaient autour, leur
criaient d'une voix insultante : « C'est donc vous » qui,
aveuglées par vos passions et hébétées par la sensualité, avez méprisé les
foudres de l'Eglise ? Eh bien ! bouillez maintenant dans la queue du
dragon. Hélas ! Hélas ! répondaient du dedans des voix plaintives,
quelle infortune est la nôtre, et quels maux affreux nous endurons ! »
CHAPITRE III
Comment les péchés
capitaux sont punis dans l’enfer inférieur :
- 1° Tourments des
orgueilleux. La bienheureuse aperçut
une vaste prison dont les habitants étaient fort nombreux, et on lui dit que
c'étaient les superbes. Cette prison était divisée en plusieurs pièces, où les
victimes étaient classées selon les diverses espèces de ce péché. Les ambitieux
étaient ceux que les démons paraissaient mépriser davantage. Autant ces
misérables avaient été affamés des honneurs pendant leur vie, autant ils
étaient rassasiés d'opprobres et de confusion. En punissant ceux-ci, ils
n'oubliaient pourtant pas les autres. Chaque famille d'orgueilleux, si je puis
parler ainsi, avait sa peine propre et particulière ; mais il y avait un
châtiment horrible qui leur était commun à tous. Au milieu de cette prison
spéciale était posé un lion énorme d'airain rougi par le feu. Sa gueule était
levée en l'air et largement ouverte, et ses mâchoires, en guise de dents,
étaient armées d'un grand nombre de rasoirs affilés. Son ventre était un
repaire de serpents et d'autres bêtes venimeuses, et l'ouverture postérieure
était comme l'entrée du corps de ce monstre, garnie de lames brûlantes et
horriblement acérées.
Or, les démons chargés de tourmenter ces tristes victimes, les lançaient
en l'air de manière à les faire retomber dans la gueule du lion. Toutes
tranchées et presque divisées par les rasoirs, elles passaient par la gorge de
ce monstre et tombaient dans ses larges entrailles, au milieu des reptiles qui
fourmillaient dans ce lieu infect, et exerçaient sur elles leur rage infernale.
Elles gravitaient ensuite vers la partie postérieure où des démons les saisissaient
avec des pinces ardentes et les tiraient violemment à eux, à travers les
rasoirs dont l'ouverture était bordée, et ce jeu cruel les bourreaux le
recommençaient sans cesse. Ces âmes, irritées et enragées par d'aussi horribles
tourments, hurlaient d'une manière affreuse et proféraient des blasphèmes
effroyables. « Hurlez, leur disaient les esprits infernaux ; hurlez,
superbes maudits, qui fîtes si longtemps la guerre au Créateur sur la terre.
Vous avez bien raison de vous désespérer, car vos malheurs ne finiront jamais ».
- 2° Tourments des
réprouvés qui furent sujets à la colère.
Françoise remarqua qu'ils étaient punis selon leurs divers degrés de
culpabilité ; mais voici une peine qui leur était commune. Il y avait dans
leur prison un serpent d'airain que le feu de l'enfer maintenait
continuellement embrasé. Sa poitrine était large, son cou élevé comme une
colonne et sa gueule béante. Dans cette horrible gueule étaient plantées en
forme de croissant de longues et fortes aiguilles, dont les pointes étaient
dirigées vers la gorge de l'animal. Or, les démons, prenant ces âmes dont nous
parlons, les lançaient par cette ouverture dans le corps du monstre ; puis
ils les en retiraient avec des tenailles ardentes toutes déchirées par les
pointes qu'elles rencontraient à leur sortie. Or, elles souffraient
continuellement ce supplice, qui les réduisait à un affreux désespoir, et leur
arrachait les plus effroyables blasphèmes.
- 3° Tourments des
avares. La bienheureuse vit ensuite les avares dans une
fosse remplie de gros serpents qui avaient des bras. Chacun de ces hideux
reptiles s'attachait à un de ces coupables, que la justice divine leur avait
abandonnés. Il lui frappait la bouche de sa queue, lui déchirait le cœur avec
les dents, et l'étreignait dans ses bras de manière à l'étouffer, si cela eût
été possible ; mais d'autres démons venaient les arracher à leurs affreux
embrassements, avec des tenailles de fer qui les déchiraient d'une manière
horrible, et allaient les plonger dans une seconde fosse remplie d'or et
d'argent liquéfiés, les accablant de leurs dérisions et de leurs sarcasmes.
- 4° Tourments des
envieux. Chacun de ces malheureux était couvert d'un
manteau de flammes, avait un ver venimeux qui lui rongeait le cœur, pénétrait
dans sa poitrine, et, remontant par la gorge se présentait à la bouche qu'il
forçait à ouvrir convulsivement ; mais un démon l'empêchait de sortir, en
serrant avec la main le cou de la victime, ce qui lui causait d'insupportables
étouffements ; et, tandis qu'il l'étouffait ainsi d'une main, il tenait de
l'autre une épée dont il lui perçait le cœur. Un second démon venait ensuite,
qui lui arrachait le cœur de la poitrine, le trempait dans des immondices, et
le lui remettait, pour l'arracher de nouveau, et ainsi sans fin ; et ces
traitements barbares étaient accompagnés de dérisions et de reproches, qui
réduisaient ces infortunés à la rage et au désespoir.
- 5° Tourments des paresseux. Françoise les vit assis au milieu d'un grand feu, les bras croisés et
la tête inclinée sur les genoux. Leurs sièges étaient de pierres ; ces
pierres étaient cannelées profondément et leurs cavités remplies de charbons
embrasés : les bancs eux-mêmes étaient tout rouges et la flamme qui
sortait du brasier s'attachait à ces tristes victimes et les couvrait comme un
vêtement. Or, les démons, les prenant avec des pinces ardentes, les
renversaient violemment sur ces lits affreux, et les y traînaient en les
tournant et les retournant en toutes manières ; c'était pour les punir
d'avoir perdu le temps. À côté de chacune d'elles était un démon qui, avec un
coutelas, lui fendait la poitrine et y versait de l'huile bouillante, et cela
pour les punir d'avoir trop présumé de la miséricorde de Dieu. Il mettait
encore des vers dans leurs plaies, en punition des mauvaises pensées auxquelles
leur oisiveté laissait le champ libre.
- 6° Tourments des
gourmands. Françoise pu contempler aussi les châtiments de la
gourmandise. Chaque malheureux, réprouvé pour ce vice avait un démon qui le
prenait par la tête et le traînait sur des charbons ardents, tandis qu'un autre
démon, debout sur lui, le foulait aux pieds avec violence. Ils lui liaient
ensuite les pieds et les mains, et le précipitaient dans une chaudière pleine
de poix fondue ; puis, le retirant de là, ils le jetaient dans une autre
remplie d'une eau presque réduite en glace. Ils lui versaient aussi du vin
brûlant dans la bouche, pour le punir des coupables excès qu'il en avait fait
pendant la vie. Pendant ce temps-là, ses bourreaux lui disaient d'un ton
ironique : « La peine des gourmands, dans cette demeure, est le
superflu chaud et froid. Voici donc où vous ont conduit vos intempérances, lui
disaient d'autres esprits infernaux. Désormais vous aurez pour nourriture des
serpents, et du feu pour breuvage. »
- 7° Tourments des
luxurieux. Françoise cherchait des yeux les esclaves de cette
passion honteuse ; on les lui montra. Ils étaient liés à des poteaux de
fer embrasé, et les bourreaux, avec leurs langues ardentes, léchaient toutes
les parties de leurs corps, ce qui les faisait souffrir horriblement. D'autres
démons, avec des tenailles, déchiraient leurs chairs par lambeaux en punition
de la bonne chère qu'ils faisaient dans le monde, ce qui servait à alimenter
toujours davantage leur funeste passion. Sous leurs poteaux étaient des grils
ardents et armés de pointes de fer, auprès desquels étaient couchés d'horribles
serpents. Les démons, attirant brusquement leurs victimes, les faisaient tomber
à la renverse sur ces lits affreux, et les serpents, se jetant sur eux, les
mordaient avec une rage inconcevable. Ce supplice était particulier aux
adultères.
CHAPITRE IV
Supplices
particuliers à sept espèces de pécheurs :
- 1° Tourments des
voleurs. La servante de Dieu vit des hommes qui étaient
liés avec des cordes noires par le moyen desquelles les démons les attiraient
en haut ; après quoi ils les laissaient retomber dans le feu. Ensuite ils
les descendaient dans un puits d'eau glacée ; de là ils les faisaient passer
dans un lac de plomb fondu où ils les forçaient de boire une horrible fusion de
fiel, de poix et de soufre ; ils les jetaient enfin dans un repaire de
bêtes féroces. Or, il fut dit à la sainte que ces tristes victimes étaient les
voleurs.
- 2° Tourments des
enfants dénaturés. Il y eut toujours sur la
terre des enfants détestables qui, au lieu d'honorer leurs parents, n'eurent
pour eux que de l'éloignement et du mépris, les rendant excessivement
malheureux par leur insubordination, leur mauvais caractère et leurs violences.
Or, Françoise les vit dans un immense tonneau garni de rasoirs, et où se
trouvaient des serpents féroces. Les démons roulaient cette effroyable machine,
et les pauvres victimes qu'elle renfermait étaient mordues par les serpents, et
déchirées par les rasoirs. On fit remarquer à la bienheureuse que ces coupables
et les autres ne demeuraient pas toujours dans l'enfer qui leur était assigné.
De l'enfer inférieur ils passaient quelquefois dans l'enfer supérieur ou dans
l'intermédiaires, ou de ceux-ci dans le plus bas. Ayant désiré en savoir la
raison, il lui fut dit que c'était pour subir le supplément de peines dû aux
circonstances plus ou moins aggravantes de leurs péchés.
- 3° Tourments de
ceux qui furent infidèles à leur vœu de chasteté. La position de ces malheureux était effroyable. Les démons les plongeaient
tantôt dans un feu ardent où coulaient en fusion la poix et le soufre, et
tantôt dans un bain d’eau glacée ; d'autres fois ils les serraient entre
deux planches de fer, armées de clous aigus, et leur perçaient les flancs avec
des fourches. Enfin, pour ajouter l'insulte à leurs supplices, ils ne cessaient
de leur reprocher les crimes qu'ils avaient commis. « Souvenez-vous, leur
disaient-ils, de vos impuretés sacrilèges : ces plaisirs, sitôt passés,
vous coûtent cher maintenant. Souvenez-vous de tant de sacrements que vous avez
profanés et qui n'ont servi qu'à rendre votre condamnation plus terrible ».
- 4° Tourments des
parjures. Ils avaient des bonnets de feu sur la tête ;
leurs langues étaient arrachées, et leurs mains coupées.
- 5° Tourments des
détracteurs. Chacun d'eux était livré à
une vipère à sept têtes. Je parle de la forme qu'avait prise le démon
spécialement chargé de les tourmenter. Or, voici à quoi lui servaient ses sept
gueules. Avec la première il arrachait la langue du patient ; avec la
seconde il la mangeait ; avec la troisième il la crachait dans le feu ;
avec la quatrième il la reprenait et la rendait au coupable ; avec la
cinquième il lui crevait les yeux ; avec la sixième il lui arrachait la
cervelle par une oreille, et avec la septième enfin, il dévorait ses narines.
En outre, avec les ongles de ses mains il lui déchirait le corps.
- 6° Tourments des
vierges folles. Françoise vit ces âmes
qui, fort jalouses de conserver leur virginité corporelle, prenaient peu de
soin de la pureté de leur cœur. Les démons les flagellaient cruellement avec
des chaînes de fer rouge.
- 7° Tourments des
veuves vicieuses. Elles étaient liées aux
branches d'un énorme pommier, la tête renversée en arrière, et les démons leur
faisaient manger des pommes pleines de vers. En outre, des dragons terribles,
s’enlaçant à elles, leur déchiraient le cœur et les entrailles, tandis que la
foule des démons ne cessait dé leur reprocher leur mauvaise vie.
- 8° Tourments des
femmes idolâtres de leur beauté. Elles
avaient pour chevelure des serpents qui leur mordaient cruellement le visage,
tandis que d'autres démons enfonçaient des épingles rougies au feu dans toutes
les parties de leur corps ; et, pour aiguiser les remords de la
conscience, ils ne cessaient de leur dire : Vous fîtes notre métier sur la
terre, il est juste que vous nous soyez associées pendant l'éternité. Faites
maintenant votre toilette dans ces flammes. Ces âmes répondaient par des
blasphèmes horribles à ces insultes de leurs ennemis.
CHAPITRE V
Blasphèmes des
réprouvés :
Tout cet affreux séjour retentissait d'horribles blasphèmes. Ses
infortunes habitants maudissaient Dieu, comme s'il ne leur eût fait que du mal,
et jamais aucun bien ; ils maudissaient l'humanité sacrée de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ils maudissaient tous ses mystères, dont le
souvenir ne leur rappelait que de criminelles ingratitudes ; ils
maudissaient toutes les grâces qu'ils avaient obtenues par Ses mérites, et dont
l'abus leur avait attiré de si horribles châtiments. Toute la sainte vie de ce
Dieu sauveur provoquait leurs blasphèmes ; mais chacun s'attachait à
profaner d'une manière spéciale la circonstance qui lui déplaisait le plus.
Celui-ci maudissait Son Incarnation, celui-là Sa Naissance ;
celui-ci Sa Circoncision et celui-là Son Baptême ; celui-ci Sa Pénitence,
celui-là Sa Passion ; un autre Sa Résurrection, un autre Son Ascension
glorieuse. Rien de ce qu'a fait notre aimable Sauveur, pour le salut de nos
âmes, n'était respecté, parce que tous ces bienfaits ne furent pour eux que des
objets d'ingratitude. Ils maudissaient et blasphémaient le doux nom de Marie,
ses prérogatives, ses vertus, mais surtout sa maternité divine ; parce que
si elle n'eût pas mis le Fils de Dieu au monde, ils eussent été moins
coupables, et n'auraient pas à supporter d'aussi horribles tourments.
Ainsi donc leur éternité est tout employée à blasphémer et à maudire,
mais avec une telle rage et un si profond désespoir que, n'eussent-ils point
d'autres supplices, cela suffirait pour les rendre infiniment malheureux.
Cependant ils souffrent les autres peines communes à tous les réprouvés et, en
outre, les peines qui leur sont particulières, ainsi que je viens de le dire.
CHAPITRE VI
Nombre des démons,
leurs noms et leurs emplois :
Dans la vision XVII, où la création des anges et leur classification
furent manifestées à la servante de Dieu, Dieu lui fit discerner ceux qui
devaient pécher de ceux qui demeureraient fidèles. Elle fut ensuite témoin de
leur révolte et de la chute horrible qu'elle leur mérita. Or, elle ne fut
pourtant pas aussi profonde pour les uns que pour les autres : un tiers de
ces infortunés demeura dans les airs, un autre tiers s'arrêta sur la terre et
le dernier tiers tomba jusque dans l'enfer. Cette différence dans les
châtiments correspondit à celles que Dieu remarqua dans les circonstances de
leur faute commune. Parmi ces esprits rebelles, il y en eut qui embrassèrent de
gaieté de cœur, si je puis parler de la sorte, la cause de Lucifer ; et
d'autres qui virent avec indifférence ce soulèvement contre le Créateur, et
demeurèrent neutres. Les premiers furent précipités sur le champ dans l'enfer
d'où ils ne sortent jamais, à moins que Dieu ne les déchaîne quand Il veut
frapper la terre de quelque grande calamité pour punir les péchés des hommes.
Les seconds furent jetés partie dans les airs, et partie sur la terre ; et
ce sont ces derniers qui nous tentent, comme je le dirai plus tard.
Lucifer, qui voulut être l'égal de Dieu dans le ciel, est le monarque des
enfers, mais monarque enchaîné et plus malheureux que tous les autres. Il a
sous lui trois princes auxquels tous les démons, divisés en trois corps, sont
assujettis par la volonté de Dieu ; de même que dans le ciel, les bons
anges sont divisés en trois hiérarchies présidées par trois esprits d'une
gloire supérieure. Ces trois princes de la milice céleste furent pris dans les
trois premiers chœurs où ils étaient les plus nobles et les plus excellents ;
ainsi les trois princes de la milice infernale furent choisis comme les plus
méchants des esprits des mêmes chœurs, qui arborèrent l'étendard de la révolte.
Lucifer était dans le ciel le plus noble des anges qui se révoltèrent, et
son orgueil en fit le plus méchant de tous les démons. C'est pour cela que la
justice de Dieu l'a donné pour roi à tous ses compagnons et aux réprouvés, avec
puissance de les gouverner et de les punir, selon ses caprices ; ce qui
fait qu'on l'appelle le tyran des enfers. Outre cette présidence générale, il
est encore établi sur le vice de l'orgueil. Le premier des trois princes qui
commandent sous ses ordres, se nomme Asmodée : c'était dans le ciel un
chérubin, et il est aujourd'hui l'esprit impur qui préside à tous les péchés
déshonnêtes. Le deuxième prince s'appelle Mammon : c'était autrefois un
trône, et maintenant il préside aux divers péchés que fait commettre l'amour de
l'argent. Le troisième prince porte le nom de Belzébuth ; il appartenait à
l'origine au chœur des dominations, et maintenant il est établi sur tous les
crimes qu'enfante l’idolâtrie, et préside aux ténèbres infernales. C'est aussi
de lui que viennent celles qui aveuglent les esprits des humains. Ces trois
chefs ainsi que leur monarque, ne sortent jamais de leurs prisons infernales ;
lorsque la justice de Dieu veut exercer sur la terre quelque vengeance
éclatante, ces princes maudits députent à cet effet un nombre suffisant de
leurs démons subordonnés ; car il arrive quelquefois que les fléaux dont Dieu
veut frapper les peuples demandent plus de forces ou plus de malices que n'en
ont les mauvais esprits répandus sur la terre et dans l'air. Alors les
infernaux plus méchants et plus enragés, deviennent des auxiliaires
indispensables. Mais hors de ces cas rares, ces grands coupables ne peuvent
sortir des prisons où ils sont renfermés.
Tous ces esprits infortunés sont classés dans l'abîme selon leur ordre
hiérarchique. La première hiérarchie, composée de séraphins, de chérubins et de
trônes, habite l'enfer le plus bas ; ils endurent des tourments plus
cruels que les autres, et exercent les vengeances célestes sur les plus grands
pécheurs. Lucifer qui fut un séraphin, exerce sur eux une spéciale autorité, en
vertu de l'orgueil dont il a la haute présidence. Les démons de cette
hiérarchie ne sont envoyés sur terre, que lorsque la colère de Dieu permet que
l'orgueil prévale pour punir les nations.
La deuxième hiérarchie formée de dominations, de principautés et de
puissances, demeure dans l'enfer du milieu. Elle a pour prince Asmodée qui,
comme je l'ai déjà dit, préside aux péchés de la luxure. On peut deviner que
les démons de cette hiérarchie sont sur terre, lorsque les peuples
s'abandonnent au vice infâme de l'impureté.
La troisième hiérarchie qui se compose de vertus, d'archanges et d'anges,
a pour chef Mammon, et habite l'enfer supérieur. Lorsque ces démons sont lâchés
sur la terre, la soif des richesses y prévaut de toutes parts, et il n'est plus
question que d'or ou d'argent. Quant à Belzébuth, il est le prince des
ténèbres, et les répand, quand Dieu le permet, dans les intelligences, pour
étouffer la lumière de la conscience et celle de la véritable foi. Tel est
l'ordre qui règne parmi les démons dans les enfers ; quant à leur nombre,
il est innombrable.
On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui demeurent dans
l'air et sur la terre, mais ils n'ont point de chefs, et par conséquent vivent
dans l'indépendance et une sorte d’égalité. Ce sont les démons aériens qui, la
plupart du temps, déchaînent les vents, excitent les tempêtes, produisent les
orages, les grêles et les inondations. Leur intention en cela est de faire du
mal aux hommes, surtout en diminuant leur confiance en la divine Providence, et
les faisant murmurer contre la volonté de Dieu.
Les démons de la première hiérarchie, qui vivent sur la terre, ne
manquent pas de profiter aussi de ces occasions favorables à leur malice ;
trouvant les hommes irrités par ces calamités et fort affaiblis dans leur
soumission et leur confiance, ils les font tomber beaucoup plus facilement dans
le vice de l'orgueil. Ceux de la deuxième hiérarchie ne manquent pas à leur
tour de les précipiter de leur hauteur superbe dans le cloaque impur, ce qui
donne ensuite toute facilité aux démons de la troisième hiérarchie de les faire
tomber dans les péchés qu'enfante l'amour de l'argent.
Alors les anges qui président aux ténèbres les aveuglent, leur font
quitter la voie de la vérité, et rendent leur retour extrêmement difficile.
C'est ainsi que tous les démons, malgré la différence de leurs emplois, se
concertent et s'aident mutuellement à perdre les âmes. Les uns affaiblissent
leur foi, les autres les poussent à l'orgueil, ceux-ci à l'impureté, ceux-là à
l'amour des richesses, d'autres enfin leur jettent un voile sur les yeux et les
écartent si fort de la voie du salut, que la plupart ne la retrouvent plus. Le
seul moyen d'échapper à ce complot infernal, serait de se relever promptement
de la première chute, et c'est précisément ce que ces pauvres âmes ne font pas.
De là, cette chaîne de tentations qui, de chute en chute, les conduit au fond
du précipice.
Lorsque j'ai dit que les démons qui sont dans l'air et sur la terre n'ont
pas de chefs, j'ai voulu dire seulement qu'ils n'ont pas d'officiers
subalternes ; car tous sont soumis à Lucifer et obéissent à ses
commandements, parce que telle est la volonté de la justice divine. Malgré la
haine qu'ils portent aux hommes, aucun d'eux n'oserait les tenter sans l'ordre
de Lucifer, et Lucifer lui-même ne peut prescrire, en ce genre que ce que lui
permet le Seigneur plein de bonté et de compassion pour nous.
Lucifer voit tous ses démons, non seulement ceux qui sont autour de lui
dans l'enfer, mais encore ceux qui sont dans l'air et sur la terre. Tous aussi
le voient sans aucun obstacle, et comprennent parfaitement toutes ses volontés.
Ils se voient également et se comprennent fort bien les uns les autres.
Les malins esprits, répandus dans l'air et sur la terre, ne ressentent
pas les atteintes du feu de l'enfer ; ils n'en sont pas moins
excessivement malheureux, tant parce qu'ils se maltraitent et se frappent sans
cesse les uns les autres, que parce que les opérations des bons anges dans ce
monde leur causent un dépit qui les tourmente cruellement. Les peines de ceux
qui appartiennent à la première hiérarchie sont plus acerbes que celles des
esprits de la seconde, et ceux-ci sont plus malheureux que les esprits de la
troisième. La même justice distributive préside aux tourments des esprits
infernaux ; mais ceux-ci sont tous en proie à l'ardeur des flammes
infernales.
Les démons qui demeurent au milieu de nous, et ont reçu le pouvoir de
nous tenter, sont tous des esprits tombés du dernier chœur. Les anges commis à
notre garde sont aussi de simples anges. Ces esprits tentateurs sont sans cesse
occupés à préparer notre perte. Les moyens qu'ils emploient pour cela sont si
subtils et si variés, qu'une âme qui leur échappe est fort heureuse et ne
saurait trop témoigner sa reconnaissance au Seigneur. Il n'est pas un instant
du jour et de la nuit, où ces cruels ennemis n'essayent d'une tentation ou
d'une autre, afin de lasser ceux qu'ils ne peuvent vaincre par la ruse ou la
violence. La patience est donc l'arme défensive par excellence. Malheur à qui
la laisse tomber de ses mains ! Lorsque ces tentateurs ordinaires
rencontrent des âmes fortes et patientes, qu'ils ne peuvent entamer, ils
appellent à leur secours des compagnons plus astucieux et plus malins, non pour
combattre avec eux ou à leur place, car Dieu ne le permet pas ; mais pour leur
suggérer des stratagèmes plus efficaces. Françoise savait tout cela par
expérience : il était rare qu'elle fût tentée par son démon seul.
D'ordinaire il s'en associait d'autres ; et trop faibles encore, ils
recouraient à la malice des esprits supérieurs qui demeuraient dans l'air. Elle
était devenue si habile dans cette guerre, qu'en soutenant une attaque, elle
savait à quel chœur avait appartenu celui dont le conseil la dirigeait, et qui
il était.
Lorsque les démons veulent livrer un assaut à une âme habile et forte,
les uns l'attaquent de front, et les autres se placent derrière elle. C'est de
cette sorte qu’ils combattaient ordinairement contre notre bienheureuse, et
elle les voyait se faire des signes pour concerter leurs moyens.
Lorsqu'une âme, vaincue par les tentations, meurt dans son péché, son
tentateur habituel l'emporte avec promptitude, suivi de beaucoup d'autres qui
lui prodiguent des outrages, et ne cessent de la tourmenter jusqu'à ce qu'elle
soit précipitée dans l'enfer. Ces détestables esprits se livrent ensuite à une
joie féroce. Son ange gardien, après l'avoir suivie jusqu'à l'entrée de
l'abîme, se retire aussitôt qu’elle a disparu, et remonte au ciel.
Lorsqu'une âme, au contraire, est condamnée au purgatoire, son tentateur
est cruellement battu par l'ordre de Lucifer pour avoir laisse échapper sa
proie. Il reste pourtant là, en dehors du purgatoire, mais assez près pour que
l'âme le voie et entende, les reproches qu'il lui fait sur les causes de ses
tourments. Lorsqu'elle quitte le purgatoire pour monter au ciel, ce démon
revient sur la terre se mêler à ceux qui nous tentent ; mais il est pour
eux un objet de moqueries, pour avoir mal rempli la mission dont il était
chargé.
Tous ceux qui laissent ainsi échapper les âmes ne peuvent plus remplir
l'office de tentateurs. Ils vont, errant çà et là, réduits à rendre aux hommes
d'autres mauvais offices, quand ils peuvent. Quelquefois Lucifer, pour les
punir, les loge honteusement dans des corps d'animaux, ou bien il s'en sert,
avec la permission de Dieu, pour exercer des possessions qui leur attirent
souvent de nouveaux châtiments et de nouvelles hontes. Les démons, au
contraire, qui ont réussi à perdre les âmes auxquelles Lucifer les avait
attachés, après les avoir portées dans les enfers, reparaissent sur la terre,
couverts de gloire parmi leurs semblables, et jouent un plus grand rôle que
jamais dans la guerre qu'ils font aux enfants de Dieu. Ce sont eux que les
autres appellent à leur secours, comme plus expérimentés et plus habiles, quand
ils ont affaire à des âmes fortes et généreuses qui se rient de leurs vains
efforts.
Tout démon chargé de la mission de perdre une âme ne s'occupe point des
autres ; il n'en veut qu’à celle-là, et emploie tous ses soins à la faire
pécher ou à troubler sa paix. Cependant, quand il l'a vaincue, il la pousse,
autant qu'il peut, à tenter, à molester ou à scandaliser d'autres âmes.
Il y a d'autres démons du même chœur que ceux qui nous tentent qui vivent
au milieu de nous sans nous attaquer. Leur mission est de surveiller ceux qui
nous tentent, et de les châtier chaque fois qu'ils ne réussissent pas à nous
faire pécher.
Chaque fois qu'ils entendent prononcer dévotement le saint Nom de Jésus,
ils se prosternent spirituellement, non de bon cœur, mais par force. Françoise
en vit une fois plusieurs en forme humaine, qui à ce Nom sacré qu'elle
prononçait en conversant avec son confesseur, inclinèrent leur front avec un
profond respect, jusque dans la poussière. Ce Nom sacré est pour eux un nouveau
supplice qui les fait souffrir d'autant plus cruellement, que la personne qui
le prononce est plus avancée dans l'amour, et plus parfaite. Lorsque les impies
profanent ce nom adorable, ces esprits réprouvés ne s'en attristent pas ;
mais ils sont forcés de s'incliner, comme pour réparer l'injure qui Lui est
faite. Ils en agissent de même lorsqu'on le prend en vain. Sans cette adoration
forcée, ils seraient bien contents d'entendre blasphémer ce saint Nom. Les bons
anges au contraire, en pareilles occasions, l'adorent profondément, le louent
et le bénissent avec un amour incomparable. Lorsqu'il est prononcé avec un vrai
sentiment de dévotion, ils lui rendent les mêmes hommages, mais avec un vif
sentiment de joie. Chaque fois que notre bienheureuse proférait ce très saint
Nom, elle voyait son archange prendre un air extraordinairement joyeux, et
s'incliner d'une manière si gracieuse, qu'elle en était tout embrasée d'amour.
Lorsque les âmes vivent dans l'habitude du péché mortel, les démons
entrent en elles et les dominent en plusieurs façons qui varient selon la
qualité et la quantité de leurs crimes ; mais quand elles reçoivent
l'absolution avec un cœur contrit, ils perdent leur domination, délogent au
plus vite, et se remettent auprès d'elles pour les tenter de nouveau ;
mais leurs attaques sont moins vives, parce que la confession a diminué leurs
forces.
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