HONORINE GRASSET

A CHOISI DIEU

 

À 29 ans, cette historienne brillante, ancienne militante, envisage sereinement sa vie de religieuse dans une communauté de Bretagne. Elle est, selon l’écrivain Alexandre Jardin,

une « joyeuse anormalité »

 

Figure d’ange, sourire béni des dieux, verbe puissant et langoureux, Honorine Grasset n’a rien d’une nonne. D’ailleurs elle n’est pas nonne, mais « laïque consacrée ». Une sorte d’entre-deux statutaire situé quelque part entre ciel et terre, au carrefour spirituel de toutes les contradictions du monde, probablement à l’endroit précis où le doute rencontre la foi.

À 29 ans, cette historienne sortie de la Sorbonne et diplômée de l’Institut français de presse n’est pas une illuminée ni une catho coincée, elle est, tout simplement. Et c’est ce qui est troublant. Certes son érudite dialectique biblique laisse pantois mais à l’évidence ce trésor de savoirs a quelques vertus pour calmer les sceptiques. C’est si facile pour un païen de mettre sur le compte de la folie le sacerdoce d’une jeune fille qui décide de sa réclusion éternelle. « Je n’ai jamais été aussi libre que depuis que je suis enfermée », dit-elle avec un sérieux qui frise la provocation. « Le plus difficile à conquérir, c’est le silence », admet-elle. On la croit volontiers, tellement cette ancienne militante des jeunesses chiraquiennes, du temps où elle était en hypokhâgne au lycée Blomet à Paris, s’était vite enfiévrée de combats politiques, de cris de ralliement et d’envolées lyriques. « Je voulais me battre pour la justice sociale, la paix, comme tous les idéalistes de 20 ans normalement constitués. On ne m’a proposé en face que des postes électifs et des ambitions d’appareil parce que j’étais encartée. A aucun moment on ne m’a demandé ce que je pensais, quelles étaient mes idées sur le monde. »

Sa vie d’ado parisienne est alors compartimentée. Famille (père avocat fiscaliste, mère esthéticienne), études, amis, militantisme.

Et puis cette foi qui gît quelque part depuis qu’en classe de première elle a ressenti « quelque chose qui s’ouvrait ». Rien cependant qui la conduise à se déclarer. « Et puis, oui, j’allais naturellement à la messe. J’en choisissais une sur le coup de 19 h 45 dans une des paroisses que je repérais sur mon plan de Paris. C’était comme une source de joie. Jusqu’au jour où, en venant ici, au foyer de charité de Tressaint [Côtes-d’Armor], pour une retraite spirituelle, j’ai compris que j’étais plus utile pour les autres en partageant la prière qu’en distribuant des tracts sur un marché. »

« LA VRAIE TENTATION, C’EST DE CROIRE QUE L'ON PEUT SE SUFFIRE À SOI-MÊME, QUE L’ON EST SON PROPRE MAÎTRE, CE QUI EST FAUX. »

Mais ce fut long près de cinq ans pour mûrir la démarche, en parler discrètement à ses amis, le dire à des parents depuis « envahis de tristesse ». Et puis ces « invraisemblables communions » que furent les Journées mondiales de la jeunesse, ces JMJ que Jean Paul II initia à Paris en 1997, puis à Rome en 2000 ou à Toronto en 2002. Elle les a toutes faites. « Je peux vous dire que ce sont des moments où être chrétien a du sens. » Elle vous fixe alors du regard avec la sollicitude inébranlable qui sied à ceux qui ne doutent pas.

« Fiancée » avec le Tout-Puissant depuis qu’elle a prononcé son « engagement définitif » le 23 novembre 2008 devant 600 témoins, Honorine Grasset exulte « C’est peut-être difficile à comprendre mais je suis une femme profondément heureuse. Je n’ai jamais été si proche de moi-même que depuis que j’ai fait ce choix. » Malgré l’obligation de célibat ? « Mais je n’ai de place que pour Lui. Son Amour me comble. » Parfait, mais encore ? « J’ai la certitude inaltérable que je suis aimée, cela suffit à ma joie. »

Alors, avec cinquante-cinq autres membres masculins et féminins de la communauté, elle transmet cette allégresse à tous ces jeunes qui défilent pour des retraites spirituelles, ou ces familles « en recherche de sens » qui séjournent ici, dans ce foyer qu’elle occupe définitivement. « C’est une grande satisfaction de les voir repartir avec un immense sourire, surtout les jeunes de ma génération. Les vrais héros, aujourd’hui, sont ceux capables de ne pas faire ou penser comme tout le monde. Alors choisir une retraite spirituelle plutôt qu’un spa ou une thalasso, c’est courageux. »

Honorine se contente, dans la conversation ou par la prière, de les accompagner dans leur interrogation, leur tracas. « La vraie tentation, c’est de croire que l’on peut se suffire à soi-même, que l’on est son propre maître, ce qui est faux. On ne peut pas se passer de transcendance, en l’occurrence de Dieu. La misère spirituelle est aussi dramatique que la misère matérielle, mais qui en a conscience ? »

 « UNE COUSINE DE JEANNE D’ARC »

Un jour, l’écrivain Alexandre Jardin allume sa télé, zappe et tombe sur KTO, la chaîne religieuse du câble. Il découvre cette jeune fille en train d’expliquer les raisons de son choix à un journaliste. Il est bluffé. Il cherche à la connaître et va la rencontrer à Tressaint. Début d’une amitié. « J’avais en face de moi une joyeuse anormalité, dit l’écrivain, quelqu’un de parfaitement anachronique respirant l’intelligence et la bonté. Mais le plus surprenant, c’est de rencontrer à cet âge quelqu’un qui a si peu d’ego, quelqu'un capable de parler si simplement de sa foi. On aurait dit une cousine de Jeanne d’arc en plein XXIème siècle. Mais quelle rencontre, j’ai mis un moment à m’en remettre ! »

Depuis qu’elle est entrée dans cette communauté internationale de soixante-quinze foyers créée en 1936 par Marthe Robin (en voie de canonisation), Honorine a mis ses propres biens en commun, comme le veut la règle. « Bien peu de chose puisque je n’ai pas eu le temps d’acquérir, mais suffisamment pour avoir à apprécier la notion de partage. » Ici, à Tressaint, une bourgade de quelques centaines d’âmes près de Dinan, ce n’est ni la colo ni le bagne, juste un foyer de charité. Lever 7 heures (« un calvaire», dit-elle), messe, chapelet, vêpres, le tout entrecoupé de tâches ménagères, de réunions, d’accueil de « retraitants » et de prières. Coucher 22 heures (« le silence et la méditation comme récompenses »). Et le monde dans tout ça ? « J’ai suivi comme tout un chacun le drame haïtien ou celui plus proche de Vendée : je ne retiens que les élans de solidarité entre les humains. L’empathie, l’altruisme. Elle est là, la force. Il est là, Dieu. »

Elle lit, bien sûr, mais « doute » de plus en plus de l’utilité de « manier des concepts ». Elle préfère « prier le Seigneur », et le dit haut et fort, au cas où on ne l’aurait pas compris.

 

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