LES 3 DUCATS - extrait des « Contes de la Vierge »
C'était un homme comme vous et moi, un homme ni
meilleur ni pire, un pauvre diable de pécheur. Qu'avait-il fait ? Je n'en
sais rien. Une faute plus grave que les autres, un péché plus gros que les
autres, un jour où Dieu, sans doute, l'avait abandonné trop longtemps à
lui-même. Et on le menait au gibet de la bonne ville de Toulouse entre le
bourreau et les Consuls, au milieu d'une foule de curieux et de méchants
garçons, accourus sans doute pour voir ce qui les attendait demain. Or, ce
jour-là, le roi René faisait son entrée à Toulouse, avec la belle Aude, qu'il
venait d'épouser dans un pays voisin. En passant devant le gibet, la Reine vit
le condamné déjà juché sur l'escabeau, la tête engagée dans la corde. Elle ne
put retenir un cri et se cacha la tête dans les mains.
Le Roi
arrêta tout son monde, fit signe au bourreau de surseoir, et se tournant vers
les Consuls :
- Messieurs
les Consuls, dit-il, la Reine vous demande, en souhait de bienvenue, qu'il vous
plaise de lui accorder la grâce de cette homme.
Mais les
Consuls répondirent :
- Sire, cet
homme a commis un crime pour lequel il n'est point de pardon, et quelque soit
notre désir d'être agréable à madame la Reine, la loi exige qu'il soit pendu.
- Y a-t-il
donc au monde une faute qui ne puisse être pardonnée ? demanda timidement
la belle Aude.
- Certes non ! répondit un Conseiller du Roi. Et il fit remarquer que,
selon la coutume du pays de Toulouse, tout condamné pouvait se racheter pour la
somme de mille ducats.
- C'est
vrai, répondirent les Consuls. Mais où voulez-vous que ce gueux trouve pareille
somme ?
Le Roi
ouvrit son escarcelle et en sortit huit cents ducats. Quant à la Reine, elle
eut beau fouiller son aumônière, elle n'y trouva que cinquante ducats.
-
Messieurs, dit-elle, n'est-ce pas assez pour ce pauvre homme de huit cent
cinquante ducats ?
- La loi
exige mille ducats, répondirent les magistrats inflexibles.
Alors, tous les seigneurs qui composaient la suite du Roi et de la Reine,
rassemblèrent ce qu'ils avaient sur eux pour le donner à leur tour, et l'on fit
le compte de la somme.
- Neuf cent
quatre-vingt-dix-sept ducats, annoncèrent les Consuls. Il s'en faut encore de trois
ducats.
- Pour
trois ducats cet homme sera-t-il donc pendu ! s'écria la Reine indignée.
- Ce n'est
point nous qui l'exigeons, répondirent les Consuls, mais nul ne peut changer la
loi.
Et ils
firent un signe au bourreau.
- Arrêtez !
s'écria la Reine. Fouillez d'abord ce malheureux. Peut-être a-t-il sur lui
trois ducats...
Le bourreau
obéit, fouilla le condamné, ... et dans la poche du pauvre diable il découvrit
... trois pièces d'or !
Bonnes gens ! L'homme que vous avez vu, dans ce conte, en grand danger
d'être pendu, c'est vous, c'est moi, c'est l'humanité pécheresse ! Au jour
du Jugement dernier, rien ne nous sauvera, ni la Miséricorde de Dieu, ni
l'intercession de la Vierge, ni les mérites des Saints, si nous n'avons sur
nous ... trois ducats de bonne volonté !
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