MÉDITATIONS
DU CHEMIN DE CROIX
par le Frère Maximilien-Marie
Prière préparatoire :
Ô Jésus, Vous êtes mon Sauveur. Je viens aujourd'hui méditer, avec
votre aide, les stations de Votre Voie Douloureuse : donnez-moi,
je Vous le demande avec toute la ferveur de mon âme, de mieux comprendre cet
Amour qui Vous a conduit et soutenu dans la montée du Calvaire.
C'est l'Amour de Votre Cœur qui Vous a porté à un tel excès de
douleurs ; c'est l'Amour de Votre Cœur pour les âmes des pauvres pécheurs
- dont je suis - qui Vous a conduit à la mort ; c'est l'Amour de Votre
Cœur pour mon âme si souvent ingrate et tiède, qui Vous a élevé sur la Croix...
Accordez-moi de puiser dans la contemplation de Votre Sainte
Passion un renouveau de ferveur et de générosité à Votre service. Fortifiez, je
Vous en prie, ma résolution de m'éloigner de tout ce qui Vous offense et ma
volonté de marcher désormais dans les voies d'une plus grande fidélité.
Très Sainte Vierge Marie, qui êtes devenue ma Mère au pied de la
Croix, prêtez-moi vos yeux pour regarder Jésus, prêtez-moi surtout votre propre
Cœur pour L'aimer et m'attacher à Lui.
Avant chaque station :
Nous Vous
adorons, ô Jésus, et nous Vous bénissons ;
R/ :
Parce que Vous avez racheté le monde par Votre Sainte Croix.
Après chaque station :
Ayez pitié
de nous, Seigneur ;
R/ :
Seigneur, ayez pitié de nous.
Que par la
Miséricorde de Dieu les âmes des fidèles trépassés reposent en paix.
1ère Station :
Jésus est condamné à mort.
Je Vous vois, ô Jésus, Vous que le prophète avait décrit comme
"le plus beau des enfants des hommes" (PS .XLIV), dans l'état où Vous
a laissé une cruelle agonie, suivie d'une nuit de mauvais traitements et
d'outrages : Vous êtes là, réduit à l'impuissance en face d'une foule
haineuse, et Vous Vous taisez.
Votre silence, qui contraste tellement avec les cris et les
blasphèmes qui montent contre Vous, impressionne d'ailleurs Pilate et le met
mal à l'aise.
Vous aviez dit : "Mettez-vous à mon école, car Je suis
doux et humble de cœur" ; cette douceur et cette humilité sont ici
manifestes, en face de la violence des passions déchaînées, en face de
l'arrogance et du mépris. Oui, vraiment, Vous êtes l'Agneau doux et humble que
l'on conduit à l'abattoir et qui n'ouvre pas la bouche. Et lorsque tombe la
sentence de condamnation, Vous Vous taisez encore. Vous ne protestez pas
puisque Vous aviez déjà accepté cette sentence de mort dans le sein de
l'adorable Trinité, lorsque le décret éternel décidant de l'Incarnation avait
été porté... Humilité, douceur et silence de mon Dieu, je vous adore ! Je
veux recevoir la leçon que Vous me donnez ici : pardonnez-moi, je Vous
prie, les fautes que j'ai commises contre la douceur et l'humilité ;
apprenez-moi à rester humblement doux, doucement humble, en face des jugements
négatifs portés contre moi ; enseignez-moi ce paisible silence de la foi
pour accepter les contradictions, les critiques et les malveillances, et pour
en faire des sacrifices que j'unirai au Vôtre.
Pater, Ave, Gloria
2ème Station :
Jésus est chargé de Sa Croix.
Sans aucun ménagement, les soldats Vous chargent du bois du
supplice : une Croix massive, lourde, rugueuse, terrible, écrasante... et
Vous savez bien ce qu'elle va Vous apporter de souffrances.
Pourtant, résolument, Vous l'étreignez et Vous appliquez Vos lèvres
saintes sur son bois d'infamie qui Vous fera tant saigner. Vous nous montrez
ainsi de quelle manière il faut recevoir et accepter les croix de chaque jour :
en les embrassant ! Vous nous aviez avertis : on ne peut prétendre être
du nombre de Vos disciples, de Vos amis, de Vos intimes, sans avoir part à
Votre Croix.
Pourtant, ô mon Jésus, et malgré tous les bons désirs de mon cœur,
je dois bien avouer que la souffrance et l'humiliation me répugnent, me font
horreur, me donnent envie de fuir... non de les embrasser.
Est-ce donc que je ne Vous aime pas ? Non, mon amour pour Vous
est sincère, mais il est encore faible et manque souvent de générosité. Ô mon
divin Sauveur, je Vous en supplie, venez en aide à ma faiblesse et fortifiez
mon cœur trop prompt à s'effrayer, trop porté à s'apitoyer sur lui-même !
Faites-moi bien comprendre que tant que je me regarderai moi-même je serai
prisonnier de ma faiblesse ; mais si je Vous regarde Vous, ce sont Votre
propre détermination, Votre courage, Votre force qui peu à peu viendront
m'habiter et me transformer. Profondément. Durablement.
Je ne veux plus murmurer contre les mille et une contrariétés de
chaque jour ; je ne veux plus regimber contre l'aiguillon de la souffrance ;
je veux y voir au contraire la part quotidienne de Votre Croix que Vous
m'invitez à porter derrière Vous. Faites-m'en la
grâce, ô Jésus !
Pater, Ave, Gloria
3ème Station :
Jésus tombe une première fois.
Il y a si peu de temps que Vous Vous êtes mis en route sur le chemin
du Calvaire - Vous n'avez fait que quelques pas ! - et cependant Vous
tombez... Déjà !
Je Vous contemple, abattu sous le poids de Votre Croix, fléchissant
les genoux, courbé vers la terre... N'êtes-Vous plus Celui qui d'un seul mot,
dans la synagogue, a fait se redresser la femme courbée depuis dix-huit ans.
Celui aussi qui a relevé la femme adultère aux yeux de ceux qui l'accusaient et
à ses propres yeux ? Il ne m'est pas facile de comprendre le mystère d'un
tel abaissement, la leçon contenue en cette apparente et déconcertante
faiblesse. Et pourtant, Vous voulez que je Vous contemple ainsi : Vous
êtes toujours le Dieu fort qui tient en Sa main la puissance de l'ouragan et la
force des tempêtes ; Vous êtes toujours Celui dont une seule parole a jeté
à terre les soldats qui venaient Vous arrêter... Si Vous êtes tombé, c'est pour
me relever de ces chutes déplorables, trop souvent répétées, qui affligent
Votre divin Cœur. Vous Vous êtes, pour ainsi dire, mis à mon niveau, afin de
mieux me venir en aide, afin d'entendre l'aveu de ces faiblesses qui sont
miennes parce que j'ai trop compté sur mes propres forces !
Vous Vous abaissez : l'infinie miséricorde se penche vers la
misère pour entendre la voix du repentir et pour relever le pauvre du fumier où
il croupissait (Ps.CXII).
Pater, Ave, Gloria
4ème Station :
Jésus rencontre Sa Très Sainte Mère.
Ô Jésus, Vous paraissez parfois d'une incroyable sévérité avec
Votre Mère si douce, si délicate, et dans les affections de laquelle n'entre
cependant aucune ombre d'imperfection.
Dès le recouvrement au Temple, lorsque Vous aviez douze ans. Vous
donnez l’impression de la traiter sans ménagement ; une lecture trop
superficielle pourrait laisser penser que la réponse que Vous lui faites à
elle-même lors des noces de Cana, ou encore celle que Vous donnez à ceux qui
Vous signalent que Votre Mère Vous cherche, alors que Vous étiez en train
d'enseigner, sont totalement dépourvues des prévenances de la piété filiale...
En outre, si plusieurs saints Docteurs ont affirmé que Vous aviez préféré que
Saint Joseph mourût avant Votre vie publique et Votre Passion, pour lui éviter
des souffrances que son cœur, pourtant revêtu de qualités viriles, auraient
difficilement pu supporter, il est bien difficile de comprendre - selon l'ordre
naturel - que Vous ayez imposé le spectacle de telles atrocités au cœur combien
plus sensible et compatissant de Marie !
Mais il ne faut pas ici raisonner selon les critères habituels de
la nature ! Le Cœur immaculé de Marie bat à l'unisson du Vôtre. Le
"Fiat" entier et splendide qu'elle a donné à l'Incarnation n'a pas
été prononcé sans une compréhension de ce que serait la mission de Celui dont
elle allait façonner la chair très pure, cette chair que Vous allez offrir en
sacrifice sur la Croix, au bout de ce chemin.
C'est parce que Vos deux Cœurs sont parfaitement unis qu'il
convenait surnaturellement que Marie souffre auprès de Vous, souffre avec Vous
et marche à Vos côtés dans la montée du Calvaire.
Alors je puis ici comprendre que la souffrance que Vous permettez à
ceux qui Vous sont plus intimes n'est pas une marque de réprobation, mais bien
une marque de plus grande dilection : Vous introduisez de la sorte Vos
élus dans la participation à Votre mission de Sauveur.
Pater, Ave, Gloria
5ème Station :
Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter Sa Croix.
Tout ce que vous ferez à l'un de ces petits qui sont Mes frères,
c'est à Moi que vous le ferez".
Il ne m'est pas spontané, il ne m'est pas facile, de Vous
reconnaître, ô divin Maître, caché dans ce prochain qui me dérange, qui me
sollicite, qui me provoque à un geste de générosité, de compassion ou de
service... qui m'invite à franchir les innombrables protections et barrières de
sécurité que ma volonté de confort a édifiées pour protéger mon égoïsme plus ou
moins conscient !
Qu'est-ce qui pouvait permettre à Simon, réquisitionné, forcé, de
voir en Vous le Sauveur, sous ces apparences d'ignominie ? Humainement,
rien !
Qu'est-ce qui a fait de cet homme ordinaire qui revenait des
champs, un modèle et un saint ?
Il est très probable que, dans un premier temps, il n'ait pas
accepté avec joie cette tâche que les soldats lui imposaient, et qui lui
paraissait répugnante. Peut-être même a-t-il maugréé ?
Cependant un changement s'est produit dans son âme.
Je comprends que celui qui Vous contemple peut se trouver
transformé au spectacle de Vos douleurs. Je comprends que celui qui vit en
Votre présence, et même si celle-ci n'est pas sensible, même si celle-ci n'est
pas conforme aux aspirations de la sensibilité, peut se trouver renouvelé au
plus profond de lui-même et dans la manière dont il va regarder toutes choses.
Faites-moi donc la grâce, ô mon Jésus, de vivre en Votre présence,
pour mieux Vous reconnaître en Vos frères qui ont besoin de moi.
Pater, Ave, Gloria
6ème Station :
Sainte Véronique essuie le visage de Jésus.
Votre divin Visage est maculé, meurtri, méconnaissable. Il faut une
foi peu commune pour Vous reconnaître sous ces traits d'infamie et de douleur
que Vous ont donnés les mauvais traitements de la nuit et les divers supplices
de la matinée.
Véronique n'a pas hésité : il y avait en elle quelque chose
qui parlait plus haut que ce que lui montraient ses sens. Sous le sang et les
crachats, malgré les blessures et la poussière collée qui Vous défigurent, son
cœur reconnaît Celui auquel elle a donné sa foi et son amour. Alors elle
n'hésite pas. A-t-elle même réfléchi, pesé le pour ou le contre avant de
s'élancer ?
Sa détermination a quelque chose de calme et de viril qui tranche
avec la veulerie, la lâcheté et les reniements de ceux qui Vous entourent ou de
ceux qui Vous ont abandonné. Les soldats sont saisis d'un étonnement qui n'est
pas exempt de secrète admiration ; ils la laissent s'approcher de Vous.
Geste sans emphase mais plein d'une sobre grandeur : elle a
dénoué son voile et Vous en a délicatement essuyé le visage. Elle n'a pas
essayé de Vous soulager du poids physique de la Croix, ainsi que le fait Simon ;
elle n'a peut-être rien dit, parce que son regard et son geste en disaient plus
long que toute parole, mais elle a ouvert la voie à toutes les âmes
réparatrices.
La foi et l'amour qui l'animaient ont été la source de son courage
et les inspirateurs de son geste si délicat. C'est l'amour qui fait la
réparation, et la réparation n'est rien d'autre que de l'amour.
Je Vous demande, ô Jésus, la grâce de m'engager résolument dans les
pas de Sainte Véronique, dans les voies de la réparation, pour Vous rendre
amour pour amour.
Pater, Ave, Gloria
7ème Station :
Jésus tombe une deuxième fois.
Vous tombez une nouvelle fois... Pourquoi m'en étonnerai-je ?
Ce sont mes péchés qui font le poids de cette Croix qui Vous écrase
et qui Vous font tomber à terre ; ce sont mes chutes qui sont la cause des
Vôtres. Et ce n'est pas une fois, ni deux fois que je suis tombé dans le péché,
mais tant de fois que je ne puis les compter.
Alors il Vous a fallu Vous abaisser, encore et encore, jusqu'à
cette boue où je me suis enlisé, tellement enlisé que j'ai semblé faire corps
avec elle parfois ! Toutefois Votre miséricordieuse patience ne s'est
jamais lassée de me pardonner. Si mes chutes sont innombrables, elles ne sont
pas infinies : Votre Miséricorde, elle, est infinie ! Mes fautes sont
abondantes, mais Votre grâce est surabondante : jamais la désolante variété
de toutes mes indigences ne pourra épuiser le trésor de Vos pardons, du moins
tant que je ne cesserai pas de crier vers Vous et d'implorer Votre pitié avec
une vraie confiance :
"Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon Votre grande miséricorde ;
"Et selon la multitude de Vos bontés, effacez mon iniquité.
"Lavez-moi plus amplement de mon iniquité, "Et purifiez-moi de mon
péché" (Ps. L,3-4). Plus redoutable que la chute
elle-même est le découragement qui vient s'insinuer ensuite et qui sape
l'énergie intérieure nécessaire à mon relèvement. L'humilité qui confesse la
faute commise est sœur de l'espérance ; elle ouvre dans l'âme toutes les
voies du pardon et de la purification.
Alors je ne veux pas tant contempler "Jésus qui tombe"
que "Jésus qui se relève" et qui veut ainsi me prémunir contre toute
forme de découragement.
Pater, Ave, Gloria
8ème Station :
Jésus console les filles de Jérusalem qui Le suivent.
Il y a chez ces femmes qui Vous suivent, qui pleurent et qui se
lamentent, une certaine forme de courage. En effet, au milieu de la foule
haineuse qui Vous accable, elles montrent de façon explicite qu'elles
n'approuvent pas la condamnation qui Vous frappe et les outrages qu'on Vous
fait subir. On pourrait dire que c'est déjà bien et qu'elles prennent des risques
en manifestant leurs sentiments à Votre endroit.
Mais ce n'est pas assez, et Vous voulez le leur faire comprendre.
La leçon est d'importance, puisque Vous Vous arrêtez dans cette montée du
Calvaire afin de la leur donner...
Leurs larmes et leurs gémissements ne procèdent encore que de leur
sensibilité. Leurs sentiments n'ont pas de consistance surnaturelle et ne
pénètrent pas dans la profondeur du mystère qui s'accomplit sous leurs yeux :
elles n'ont pas, pas encore, les yeux et le cœur de Marie ou de Véronique. Il y
a en elles un commencement d'amour que Vous voulez conduire à sa perfection
surnaturelle, et c'est pour cela que Vous avez ces paroles fortes à leur
adresse, et - à travers elles - à l'adresse de chacune de nos âmes : Vous
ne demandez pas de nous une compassion sentimentale, mais Vous nous enseignez à
pleurer nos péchés qui sont la cause de Vos douleurs ; Vous voulez que
notre contrition nous conduise à un véritable amendement et que le regard que
nous portons sur Votre Passion nous détermine à marcher résolument dans
l'exigeante voie de la sainteté que Vous nous avez tracée.
Toute volonté de compassion ou de réparation qui ne s'enracine pas
dans cette résolution énergique est une illusion, aussi vaine que dangereuse.
Pater, Ave, Gloria
9ème Station :
Jésus tombe une troisième fois.
Vous êtes presque arrivé au lieu du supplice, et Vous tombez encore
une fois. Quel secret enseignement m'est encore donné en cette troisième chute !
Je sais bien que Votre détermination n'est en rien entamée et que Vous êtes
toujours aussi ferme dans Votre volonté d'offrir à Votre Père le sacrifice
parfait de satisfaction, et de dispenser à nos âmes une Rédemption
surabondante. Aussi peut-on dire qu'il y a en Vous une certaine impatience
d'arriver au bout de cette Passion...
Mais il est des heures où malgré la volonté arrêtée qui est en
nous, certaines faiblesses sont plus fortes : nous avons beau affirmer nos
résolutions, nous n'en tombons pas moins ! C'est peut-être l'amertume de
ces fautes de faiblesse, si humiliantes, que Vous avez voulu goûter ici.
Tant de fois, trop souvent, j'ai pensé, j'ai cru - sincèrement
peut-être, naïvement sûrement ! - que je pourrais par ma seule volonté
aller jusqu'au bout de ce que je m'étais fixé.
Vous me montrez ici que si ma détermination volontaire est
nécessaire, elle ne doit en aucune manière être un volontarisme. Ce dernier
finit toujours par être désastreux pour l'âme car, quand elle est trop sûre
d'elle-même, la volonté de l'homme se fait son propre centre et son point
d'appui. Insensiblement, par petites touches, elle ne s'appuie plus sur Votre
grâce, mais elle se confie en sa propre force. C'est une usurpation.
Ces fautes de faiblesse ou ces déconcertantes impuissances liées à
la fragilité de notre nature m'apparaissent donc comme salutaires. En les
permettant, Vous exercez finalement une miséricorde plus profitable qu'en nous
en préservant. Vous nous maintenez ainsi dans une humilité bénéfique, dans une
défiance continue de nos propres qualités et de nos vertus elles-mêmes, afin de
n'avoir plus de confiance qu'en Vous, en Vous seul. Et cela est un plus grand
bien pour nos âmes.
Ô sublime Pédagogue, puisse-je profiter
de cette nouvelle leçon et me défier ainsi toujours plus de moi-même !
Pater, Ave, Gloria
10ème Station :
Jésus est dépouillé de Ses vêtements.
Les soldats et les bourreaux sont pressés d'en finir. Sans aucun
ménagement ils arrachent Vos vêtements, collés aux plaies dont Votre corps est
couvert.
Pourquoi avez-Vous donc voulu un tel luxe, une telle abondance de
souffrances dans une telle cruauté de détails ? La flagellation
n'avait-elle pas été suffisante qu'il Vous faille en ressentir à nouveau toutes
les atrocités ? Fallait-il tant de sang si une seule goutte était
suffisante pour effacer tous les péchés du monde (cf. St Thomas d'Aquin in
"Adoro Te") ? Fallait-il boire jusqu'à
une telle lie le calice de la honte et de la dérision ?
Vous n'avez plus ni beauté ni éclat, plus rien pour attirer le
regard ; Vous êtes devenu semblable au lépreux dont on se détourne avec
horreur ; la compassion cède la place à un irrépressible dégoût.
Déconcertante nudité de Dieu associée à un indescriptible
écorchement !
Vous nous avez demandé de porter la Croix à Votre suite :
faudra-t-il que nous allions nous aussi jusque là ? Notre nature s'effraie
et se scandalise en entrevoyant tout ce qu'il pourrait nous en coûter.
Car en entendant Vos paroles qui vouent Vos disciples à la Croix,
nous avons en définitive eu tendance à imaginer ces croix promises, annoncées,
comme des actions d'éclat où nous brillerions encore à nos propres yeux d'un
rayonnement de héros ! Mais Vous voulez nous dépouiller ici de ces
illusions encore tellement humaines.
L'écorchement de l'amour-propre est encore plus terrible que celui
de la chair. Mais tant que nous n'y aurons pas consenti nous ne pourrons rien
comprendre à l'Amour !
Pater, Ave, Gloria
11ème Station :
Jésus est cloué à la Croix.
Vos pieds se sont fatigués à la recherche des brebis égarées, ô
divin Pasteur, et Vos mains se sont dépensées inlassablement pour semer des
bienfaits de consolation et de guérison... Et les voici maintenant immobilisés
et, semble-t-il, inopérants : "Il en a sauvés d'autres, et Il ne peut
se sauver Lui-même !"
Mais ceux qui Vous raillaient ainsi ne faisaient que montrer leur
aveuglement et l'endurcissement de leurs cœurs, empêtrés dans une vision
superficielle des choses et des événements. C'est au moment où Vous paraissez
réduit à l'impuissance la plus radicale que Vous devenez le plus "efficace" !
Si Vos pieds ne peuvent marcher, si Vos mains ne peuvent plus
toucher (cf. PS. CXIII, 7), ce n'est certes pas à la façon des vaines et
impuissantes idoles ; un son, un cri sort de votre bouche : "Mon
Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font !" Et
comme Vous l'avez tant de fois montré en Vos trois années de vie publique,
Votre parole accomplit ce qu'elle exprime : le pardon divin est ici
offert, donné en plénitude.
Les clous qui immobilisent Vos pieds et Vos mains font jaillir le
fleuve quadriforme qui arrose et féconde le nouveau
Paradis à partir du nouvel Arbre de Vie : "Voici que Je fais toutes
choses nouvelles !" (Apoc. XXI, 5). C'est
ici le lieu de la nouvelle création plus merveilleuse encore que la première :
mirabilius reformasti !
Vos pas ne Vous porteront plus sur les chemins terrestres à la
poursuite des misères humaines parce que désormais Vous allez attirer à Vous
toutes choses ; Vos mains, désormais percées, seront encore plus remplies
de consolations, de bienfaits, de guérisons, de pardons et de grâces. C'est
pourquoi j'approche mes lèvres de Vos Plaies sacrées, tout pénétré de reconnaissance
et d'adoration.
Pater, Ave, Gloria
12ème Station :
Jésus meurt sur la Croix.
La Croix est dressée : voici l'Ostensoir où est exposée aux
regards de tous les siècles "l'Hostie pure, l'Hostie Sainte, l'Hostie
immaculée".
Père éternel, Père d'infinie sainteté, recevez cette Hostie sans
tache qui s'offre à Votre justice comme propitiation pour nos péchés, tous nos
péchés, tous les péchés de la pauvre humanité !
La Croix est dressée, et la divine Victime qui est immolée sur
elle, est en même temps l'Avocat qui plaide devant Vous en notre faveur, par
toutes les plaies de Son Corps. Son Sang, qui parle plus haut que celui d'Abel,
n'appelle pas la vengeance, mais Votre indulgence et Votre pardon.
Ô Père d'éternelle miséricorde, nous Vous offrons ces Plaies
saintes et sacrées de Votre Fils, ces Plaies si nombreuses desquelles s'écoule
en telle abondance un Sang si précieux, et nous Vous demandons
de guérir par elles les blessures que le péché a faites à nos âmes.
Ô Dieu dont le propre est d'avoir toujours pitié et de pardonner,
accordez-moi cette grâce d'avoir sans cesse présent aux regards de mon âme cet
instant solennel où se concentre d'une manière si poignante la somme de Vos
bontés envers moi. C'est au pied de cette Croix où, dans un grand cri et des
larmes, Votre Fils Bien-Aimé me rend la vie par Sa
mort, que je peux le mieux comprendre le prix que j'ai à Vos yeux et, par
conséquent, le sens que je dois donner à ma vie...
Ô Croix, Vous êtes bien mon unique espérance, puisque Vous êtes
recouverte du Précieux Sang de mon salut et que je trouverai toujours avec Vous
le gage de mon pardon et la douceur de la paix intérieure.
Pater, Ave, Gloria
13ème Station :
Jésus est descendu de la Croix et remis à Sa Très Sainte Mère.
Avec des précautions si délicates qu'elles pouvaient faire penser
qu'ils craignaient de le faire encore souffrir, les derniers d'entre les
fidèles ont descendu de la Croix le corps exsangue et inerte de votre Jésus. Il
repose maintenant sur vos genoux.
Vous avez partagé toutes les intentions de Son sacrifice et tout
Son souci du salut de nos âmes au cours de ces trois heures terribles d'agonie
où vous êtes restée debout. Vous avez intensément vécu, dans une douloureuse
extase, plus redoutable que tous les supplices de tous les martyrs de tous les
temps, la communion intime au divin Rédempteur. Et le glaive s'est enfoncé si
avant dans votre Cœur immaculé qu'il en semble désormais indissociable :
Cœur douloureux et immaculé de Marie !
La consolation de mourir en même temps que Celui qui est toute
votre vie ne vous a pas été donnée ; votre souffrance reste quand celle de
Jésus a pris fin. Que manque-t-il donc à la Passion du Christ pour qu'il vous
faille la compléter en votre vie ? Ses souffrances n'ont-elles pas été
surabondantes ? Les douleurs insondables de Jésus n'ont-elles pas un prix
infini, parce qu'il est Dieu ? Que peut-on rajouter à l'infini ? Quel
complément peut-on apporter à la plénitude ?
Mais justement celui d'un retour d'amour. Jésus nous a tout donné
et Il attend de nous que nous Lui rendions selon la mesure du don que nous
avons reçu. Mère du bel amour, vous nous montrez ici la voie, enseignez-nous à
y marcher à votre suite.
Pater, Ave, Gloria
14ème Station :
Jésus est mis au tombeau.
Le corps sans vie, embaumé à la hâte, enveloppé dans le linceul,
est déposé sur la froide banquette de pierre. L'un après l'autre, les derniers
amis se retirent. On roule la pierre : lourde meule qui prétend
emprisonner le grain de blé, déjà broyé, jeté en terre.
Le silence et les ténèbres enveloppent toutes choses ; mais
après le tremblement de terre et l'affolement des éléments au moment de la mort
de leur Créateur, ce silence et ces ténèbres sont les complices d'un mystère
déjà à l'œuvre au cœur de la terre.
Déjà, dans les profondeurs des enfers, Adam se prosterne avec
reconnaissance devant le Fils de l'homme qui lui tend la main et le relève.
Déjà, les Patriarches exultent en contemplant Celui dont ils avaient entrevu le
jour en tressaillant. Déjà, Saint Jean-Baptiste s'est écrié en le désignant à
tous les justes de l'Ancien Testament : "Voici l'Agneau de Dieu !
Voici l'Agneau immolé et vainqueur, qui ôte les péchés du monde !"
Marie, silencieuse, s'en revient vers Jérusalem, soutenue par Marie-Magdeleine et par Jean. Mais a-t-elle besoin d'être
soutenue ? Au-delà des douleurs sans nom qui ont déferlé sur elle et l'ont
brisée, son âme est habitée par une paix profonde : elle sait, elle est
sûre que ce n'est pas là la fin. En ce moment, c'est elle qui soutient, seule,
dans le monde, la veilleuse d'une espérance et d'une foi indicibles. Elle porte
en son Cœur martyr toute l'espérance de l'Église.
Notre-Dame de la Sainte Espérance, modèle de ma foi, je veux, comme
Saint Jean, vous "prendre chez moi" et me mettre à l'école de votre
indéfectible et paisible confiance...
Pater, Ave, Gloria
Prières finales :
Ô bon et très doux Jésus ! Je me prosterne à genoux en Votre
présence, et je Vous prie et conjure, avec toute la ferveur de mon âme, de
daigner graver en mon cœur de vifs sentiments de foi, d'espérance et de
charité, un vrai repentir de mes péchés et une volonté très ferme de m'en
corriger, tandis que je considère et contemple par l'esprit Vos cinq plaies,
avec une grande affliction et une grande douleur, me rappelant ces paroles que
déjà le prophète David mettait sur Vos lèvres, ô bon Jésus : "Ils ont
percé mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os !"
Je vous salue. Marie, pleine de douleurs, Jésus crucifié est avec
vous ; vous êtes digne de compassion entre toutes les femmes, et digne de
compassion est Jésus, le fruit de vos entrailles.
Sainte Marie, mère de Jésus crucifié, c'est nous qui avons attaché
à la Croix votre divin Fils, obtenez-nous des larmes de repentir et d'amour,
maintenant et à l'heure de notre mort. Ainsi soit-il.
Cœur de Jésus, j'ai confiance en Vous et je Vous aime !
Notre-Dame de Compassion, priez pour, nous !
Notre-Dame de Consolation, priez
pour, nous !
Notre-Dame de France, priez pour,
nous !
Notre-Dame de Paris, priez pour, nous !
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