NEUVAINE À SAINTE THÉRÈSE D'AVILA
Premier jour
Me voici encore à vos
pieds, ô ma Mère ; et toujours pour obtenir la grâce que je sollicite
depuis tant d’années ; mes espérances sont augmentées, mais, hélas ! ce ne sont que des espérances, je suis toujours dans le
monde, toujours loin de vos saints asiles, et je ne vois pas même de route
certaine pour y arriver.
Je persiste, ô mon Dieu, à me soumettre sans réserve à votre sainte
volonté ; je ne demandais que de la connaître. Eût-elle été opposée à mes
vœux, sur le champ je m’y serais soumise, j’aurais renoncé à mes plus chers
desseins, et je me serais fixée dans l’état où votre adorable Providence
m’aurait retenue. Mais soyez-en loué à jamais, ô mon Dieu, votre miséricorde
n’a point rejeté mes vœux ; votre oracle a parlé ; vous avez agréé
mon sacrifice ; et il ne me reste qu’à attendre le moment que vous avez
marqué. Je l’attends ô mon Dieu, et c’est avec autant de soumission que
d’empressement : mais vous nous permettez de vous prier, et vous ne prenez
point mes sollicitations pour des révoltes. Hâtez donc, ô mon Dieu, hâtez,
précipitez cet heureux moment. Amen !
Deuxième jour
Ô ma bonne Mère,
joignez vos instances à celles d’un enfant que vous ne pouvez plus
désavouer : jetez les yeux sur moi, voyez l’esclavage où je suis,
l’agitation où je vis ; mes prières gênées, mes méditations coupées, mes
dévotions contrariées ; voyez les affaires temporelles dont je suis
assaillie ; voyez le monde, qui sème sous mes pas ses pompes, ses jeux,
ses spectacles, ses conversations, ses délices, ses vanités, ses méchancetés,
ses tentations, sans que je puisse ni fuir ni me détourner ; voyez les
dangers que je cours, les épines sur lesquelles je marche, mes fautes, le peu
de bien que je fais ; voyez mes désolations, mes tristesses, mes
ennuis ; ayez pitié de moi ; obtenez-moi, enfin la sainte liberté des
enfants de Dieu.
Troisième jour
Ne suis-je pas assez
éprouvée, ne connaissez-vous pas à fond le vœu de mon cœur ; après tant
d’années de constance ? Doutez-vous de ma résolution, m’avez-vous vue
varier un seul instant, ne m’avez-vous pas toujours aperçue toute tournée vers
la voix qui m’appelle, tendant à elle de toutes mes pensées, de tous mes désirs
et de toutes mes forces ; soupirant sans cesse après le bonheur de la
suivre ; fondant en larmes de me voir ainsi renvoyée d’année en
année ; conjurant Dieu de toute la ferveur, et dans toute la sincérité de
mon âme, de briser, enfin, mes liens ; vous pressant, vous sollicitant de
m’aider à les rompre, employant pour vous y engager, l’intercession de vos plus
chères filles ? N’ai-je pas connu assez le monde pour le détester à
jamais, pour ne jamais le regretter ? J’ai considéré tant de fois, une à
une, toutes les douceurs de cet état, auquel je veux renoncer ! Vous
m’êtes témoin, ô mon Jésus, qu’il n’en est point que j’aie balancé à vous
sacrifier. Vaines douceurs, douceurs pleines d’amertume, fussent-elles mille
fois plus pures, je préfère le Calice de mon Sauveur. Ne me dites point, ma
Sainte Mère, que je ne connais pas encore assez votre règle. Ah ! ne m’avez-vous pas vu la lire sans cesse, la méditer, la
porter toujours sur moi, en faire mes délices ? Je ne me suis rien
déguisé, abaissements, pauvreté, austérités de toutes espèces, privations de
toutes sortes, solitude, délaissements, contradictions, humiliations, mépris,
mauvais traitements, j’ai mis tout au pis ; rien ne m’a effrayée, j’ai
comparé l’état de Princesse et l’état de Carmélite, et toujours j’ai prononcé
que celui de Carmélite valait mieux que celui de Princesse ; et jamais ce
jugement ne s’effacera de mon cœur ; j’ai vu, ô mon Jésus, j’ai soupesé la
croix, dont je, vous prie de me charger. Ah ! que
n’est-elle aussi pesante que la vôtre !
Quatrième jour
Ô ma bonne Mère, que
faut-il donc de plus ? Mes jours se dissipent, mes années
s’écoulent ; hélas ! que me restera-t-il à
donner à Dieu ? Vos filles elles-mêmes ne me trouveront-elles pas trop
âgée ? Ouvrez-moi donc enfin, ô ma Mère, ouvrez-moi la porte de votre
maison, tracez-moi la route, frayez-moi le chemin, aplanissez-moi tout obstacle ;
dès le premier pas, j’ai besoin de tous vos secours pour me déclarer à celui
dont le consentement m’est nécessaire ; faites-moi naître une occasion
favorable, préparez-moi son cœur, disposez-le à m’écouter, défendez-moi de sa
tendresse, défendez-moi de la mienne, donnez-moi avec
le courage de lui parler, des paroles persuasives qui vainquent toutes ses
répugnances ; mettez-moi sur les lèvres ce que je dois lui dire, ce que je
dois lui répondre ; parlez-lui vous-même pour moi, et répondez-moi pour
lui. Vous obtîntes autrefois tant de grâces pour rompre les liens qui vous
retenaient dans le monde ; vous en obtenez tant de pareilles pour vos
filles ; intercédez donc aussi pour moi, ô ma Mère, et dites à mon cœur,
avant que je sorte d’ici, que je puis parler quand je voudrai et que le cœur du
Roi est incliné à mes vœux ; mais, ma sainte Mère, comment apprendra-t-il
ma résolution ? Y consentira-t-il ? La verra-t-il s’exécuter sans
être touché de Dieu, et sans retourner entièrement vers lui. Moi Carmélite et
le Roi tout à Dieu. Quel bonheur ! Dieu le peut, Dieu le fera, ô ma sainte
Mère, si vous le lui demandez. Hélas ! il le
ferait même pour moi, si j’avais autant de foi que de désir ; ah ! je crois, ô mon Dieu, je crois, ô ma bonne Mère, présentez
ma foi aux pieds de votre divin Epoux ; qu’elle croisse, qu’elle
s’augmente entre vos mains, et qu’elle égale la vôtre ; et comme elle a
mérité des miracles, après cela qu’aurais-je à désirer ? Mourir, et mourir
Carmélite ; et laisser ici-bas toute ma famille dans le chemin du Ciel.
Cinquième jour
Mais s’il faut encore
par quelque délai acheter de si grandes grâces ; ah ! du moins, ma sainte Mère, augmentez-en le pressentiment dans
mon cœur ; faites-y luire le plein jour de la volonté de Dieu ; daignez
sans cesse m’y certifier ma vocation, mais surtout ne me laissez pas perdre cet
intervalle, quel qu’encore qu’il puisse être, aidez-moi à me défaire dès
aujourd’hui de tous les attachements contraires à ma vocation. Hélas ! à quoi ne s’attache pas notre cœur, et presque toujours sans
que nous nous doutions de l’attachement. Parents, amis, meubles, habits,
bijoux, bonne chère, commodités, habitudes, consolations humaines : que
sais-je ? Voyez, faites moi voir, arrachez-y tout ce que je ne dois pas
porter chez vous. Ah ! n’épargnez rien au-dedans
de moi ; mais au dehors, ma bonne Mère, retenez par vos instances les plus
vives, ce bras terrible qui a déchiré mon âme par tant de funestes coups. Ô mon
Dieu, conservez la Reine ; donnez-lui la consolation de me voir au nombre
de ses chères carmélites ; conservez toute ma famille, conservez tous ceux
que j’aime, ne m’en détachez que par votre grâce. Non, je ne serai pas rebelle,
et je foulerai aux pieds toutes mes inclinations pour suivre votre voix. Mais,
ô ma sainte Mère, pendant que je travaille à déraciner toutes mes anciennes
attaches, ne permettez pas que j’en contracte de nouvelles ; protégez-moi
contre toutes les occasions, contre tous les pièges qu’on me tend.
Sixième jour
À mesure que mon cœur
se videra de toutes les pensées de la terre, il se remplira de celles de ma
vocation, de celles du Ciel. Ô ma Mère, dilatez, étendez dans mon âme toutes
les vertus religieuses ; que dès à présent j’en pratique tout ce qu’il
m’est possible de pratiquer dans le monde ; donnez-moi
des occasions fréquentes d’obéir, de me mortifier, de m’humilier, de me
confondre avec mes inférieurs, de descendre au-dessous d’eux, de fouler aux
pieds le monde et ses vanités, de glorifier Dieu sans respect humain,
d’embrasser, sans honte, la croix de Jésus, de confesser hautement sa Religion
et son Église, de renoncer à moi-même et à toutes mes affections, de goûter les
contradictions, les délaissements, le défaut de consolations humaines ; de
sentir le froid, le chaud, la faim, la lassitude , de me dépouiller de ma
propre volonté, de me résigner à celle de Dieu ; de m’élever à lui ;
de le prier, de converser avec lui, de l’aller visiter au pieds de ses
autels ; de participer à sa Sainte-Table, d’entendre sa Parole, d’assister
à ses saints offices. Multipliez toutes les occasions pareilles, et que je n’en
perde pas une ; que partout, et dans les lieux les plus consacrés au
monde, je porte un cœur crucifié, un cœur de Carmélite ; que toutes mes
pensées soient dignes de vous.
Septième jour
Soyez sans cesse à mes
côtés, ô ma sainte Mère, pour me dire, sans relâche, songez à votre vocation, il vous reste peu de temps, songez à former
une Carmélite ; une Carmélite ne penserait pas, ne dirait pas, ne ferait
pas cela. Ah ! qu’avec cette assistance,
j’espérerais former en moi dès à présent, et au milieu même du monde, une
parfaite Carmélite, à qui il ne manquerait que le cloître et l’habit. Daignez
donc, ma sainte Mère, si vous voulez encore me laisser dans le monde, daignez
ne me pas perdre un moment de vue ; veillez sur moi comme sur une de vos
filles, soyez mon soutien, soyez ma sûre garde, soyez mon conseil assidu.
Huitième jour
Je vous recommande non
seulement mon cœur pour y former toutes les vertus et toutes les perfections de
votre règle, mais encore mon corps pour le mettre en état d’en soutenir les
austérités ; je ne demande pas une santé parfaite, je veux ô ma sainte Mère,
vous ressembler en tout point, je veux ressembler à Jésus-Christ, mon divin
modèle, et porter sa croix en mon cœur et en mon corps jusqu’au dernier soupir.
Ou souffrir ou mourir, sera ma
devise, comme ce fut la vôtre ; mais qu’au milieu des douleurs et des
infirmités, mon tempérament se fortifie, afin que sa faiblesse ne soit pas un
obstacle à ma vocation, quand par la miséricorde de Dieu, tous les autres
obstacles seront levés.
Neuvième jour
Mais tandis que je m’occupe de mon cœur, que je m’en propose les
vertus, et que je m’y exerce, ne me laissez pas non plus, ô ma sainte Mère,
négliger l’état où la Providence me retient encore, quelque court que doive
être le temps qu’elle m’y retiendra. Suggérez-moi aussi tous les devoirs,
obtenez-moi de les remplir ponctuellement avec autant d’exactitude,
d’émulation, et de perfection, que si je devais être toute ma vie ce que je
suis à présent ; multipliez aussi, sous mes mains, les occasions de faire
le bien propre de cet état, le bien que je ne pourrai plus faire dans le
cloître. Hélas ! qu’ai-je fait ici pour répondre
à la Providence, et la justifier de m’avoir placée, et de m’avoir tenue plus de
trente ans dans ce rang d’élévation ? Ô mon Dieu ! Remplissez le peu
de jours qui me restent de cette grandeur, et que de leur plénitude soient
comblés tous les vides de ma vie passée. Donnez-moi
dans ce court espace de temps de servir la Religion, l’Église et l’État ;
de tirer de la misère tous les malheureux, de soutenir, de ranimer,
d’encourager la piété, de protéger l’innocence opprimée, d’imposer un silence
éternel à la calomnie et à la médisance, de vous gagner toute ma maison, d’édifier
toute la Cour ; et avant de m’enfermer pour travailler uniquement à mon
salut, d’avoir procuré celui de tous ceux à qui l’élévation dont je descends
m’aura donnée en spectacle. Amen !
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