UN SUPERVIRUS
CREÉ ARTIFICIELLEMENT
INQUIÈTE LES
SCIENTIFIQUES
Recherche médicale
Pour le professeur Patrice Massip, virologue au
CHU Purpan, il s'agit d'un virus extrêmement
dangereux. / photo DDM Muriel Bortoluzzi
Les
chercheurs néerlandais du très respectable Centre médical Erasmus de Rotterdam,
ont-ils joué les apprentis sorciers ?
Ces spécialistes de la grippe aviaire ont fait muter un virus grippal H5N1 et
créé de fait les conditions optimales de contamination d'homme à homme. Une
« avancée » fortuite, alors que les scientifiques en virologie
expérimentale cherchaient à mieux connaître le virus H5N1 pour identifier enfin
un vaccin.
Le centre
hollandais a donc trouvé le supervirus capable de
tuer à grande échelle. Il est aujourd'hui conservé dans un bunker. Sachant que
pour l'instant, le H5N1 ne se transmet pas entre humains, mais de l'animal à
l'homme. Cette fois-ci, les chercheurs ont utilisé des furets pour servir de
« passerelle ».
Alors,
doit-on imaginer le pire des scénarios, dans sa version cinématographique digne
de « Contagion » ? L'affaire n'a jamais été aussi sérieuse, au
point que l'Agence américaine de biosécurité (NSABB) a recommandé de bloquer la
publication de cette étude dans la célèbre revue « Science » pour des
raisons de sécurité publique; les médecins ripostant au nom de la recherche
médicale.
Le débat est ouvert.
Cette découverte réveille les craintes
légitimes liées dès 2003 à la grippe H5N1 ?
À cette
époque en effet, on a vu apparaître la grippe du poulet en Asie. On découvrait
alors que cette pathologie H5 N1, tuait 50% des malades. Cette maladie, fort
heureusement pour le moment, ne s'est pas adaptée à l'homme et n'est contractée
que dans le cadre de contacts proches entre la volaille et l'homme, les
victimes étant d'abord les jeunes enfants. Mais on a longtemps eu peur de cette
épidémie qui, si elle existait, aurait massacré la moitié de la planète. C'est
de cette crainte qu'est né l'affolement, l'excitation autour de l'épidémie dite
mexicaine H1N1 (ndlr ! la grippe A). Voilà deux ans, on a cru que le virus
pouvait se développer comme la grippe du poulet, à la différence qu'il y avait
risque de contamination interhumaine. D'où peut-être l'excès de précaution de
la part des autorités. Jusque-là, ce virus H5N1 restait plutôt aviaire et
n'avait pas acquis la capacité de contaminer directement l'homme, sauf cas
ponctuels.
Qu'on fait les chercheurs néerlandais ?
Ils ont
créé en laboratoire un phénomène qui pourrait se produire naturellement. Les
chercheurs ont prouvé que le virus pouvait être modifié par des adaptations
multiples. Autrement dit, ces Néerlandais ont reproduit en labo ce que des
experts de l'OMS redoutaient avec la fameuse grippe du poulet. Le résultat,
c'est qu'on a maintenant un virus extrêmement dangereux qui, au lieu de rester
cantonné à l'animal, passe de l'homme à l'homme et devient totalement
épidémique.
L'expérimentation
des chercheurs est passée par des hôtes intermédiaires, des furets, qui se
comportent un peu comme nous. Avec cet animal, on a créé une passerelle entre
les volailles et l'homme. Jusqu'alors, on redoutait légitimement que ce virus
du Sud-Est asiatique puisse s'adapter à l'homme.
C'est le cas aujourd'hui avec toutes les appréhensions que ça peut susciter.
Les chercheurs n'ont-ils pas joué les
apprentis sorciers ?
Oui et non.
Ils ont donc reproduit ce qui aurait pu se passer dans la nature. Mais il est
évident que les chercheurs ont dans les mains quelque chose de très dangereux. Et
puis, ce virus peut donner des idées aux ennemis de la planète, à des
terroristes qui auraient trouvé eux-mêmes les moyens de se protéger avec un
contrepoison. Un scénario qu'on imagine mal sans que la communauté
internationale soit tenue au courant. Mais on n'est pas à l'abri d'un fou
furieux qui se ficherait lui-même de mourir.
Ce virus est d'abord dangereux pour les
chercheurs, non ?
On peut
imaginer que le labo a pris toutes ses précautions pour que le virus ne saute
pas par la fenêtre, pour que les chercheurs ne le contractent pas. Ce ne sont
pas des apprentis sorciers, mais des professionnels, même si le résultat de
leurs recherches a dépassé leurs propres attentes. Peut-être n'imaginaient-ils
pas avoir un virus aussi pathogène. À ce jour, nous ne savons pas trop si nous
ne sommes pas des furets. Ce qu'on sait au départ, c'est que ce virus se
transmet de furet à furet et que le furet et l'homme sont très proches de
contamination. Le risque est avéré même si, c'est vrai, on a fait beaucoup de
progrès dans les techniques de biologie moléculaire.
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