Mais pourquoi les opposants
au mariage pour tous continuent-ils à manifester, la loi votée ?
82 énarques
interpellent Hollande
Un groupe de
hauts-fonctionnaires diplômés de l'ENA a adressé une lettre ouverte à François
Hollande pour le sommer de renoncer à la loi Taubira. Le site Atlantico l'a
publiée in extenso.
Réunis sous le nom
de Jean-Jacques de Cambacérès, rédacteur principal du Code Civil, 82 énarques,
issus de 34 promotions, interpellent le président Hollande pour lui
rappeler qu'il n'est pas trop tard pour éviter les effets néfastes du mariage
gay.
Monsieur le
Président de la République,
Anciens élèves de
l'École nationale d'administration, nous avons choisi de servir l'État, le
service public, l'intérêt général. C'est cet engagement qui motive
et justifie l'alerte que nous lançons, car la loi ouvrant le mariage aux
couples de personnes de même sexe portera gravement atteinte à l'intérêt
général ou, pour reprendre les termes de l'article 1er de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789, à "l'utilité commune".
Ce texte a une
apparence : étendre un droit au nom de l'égalité. Il a une réalité : créer
par une fiction juridique une inégalité entre enfants au nom de l'égalité des
adultes, en instaurant un droit à l'enfant.
La revendication d'égalité
n'est légitime que lorsqu'elle porte sur des situations comparables. En
cohérence avec sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel a ainsi
jugé en janvier 2011 que l'impossibilité du mariage entre personnes du
même sexe ne portait pas atteinte au principe d'égalité, au motif que la loi
peut traiter de manière différente des situations différentes, et qu'en
l'espèce, au regard du mariage, le couple que forment l'homme et la femme et
celui que peuvent former deux hommes ou deux femmes ne sont pas, qu'on le
veuille ou non, dans la même situation. Mais on peut aller plus loin, et
soutenir que le principe d'égalité, correctement entendu, s'oppose à ce que la
loi prétende étendre le mariage aux couples de même sexe, car traiter également
des situations différentes ne crée pas moins d'injustice que traiter
différemment des situations comparables.
Si, au nom d'une
conception abusive du principe d'égalité, le mariage est ouvert aux personnes
du même sexe, les couples mariés auront tous, exactement, les mêmes droits et
devoirs. Cette égalité ne poserait guère de difficulté si le mariage n'était
qu'un contrat entre deux adultes. Mais le mariage n'est justement pas que
cela ; il est indissociable de tout le droit de la famille, de la
filiation, de la parenté en droit français (contrairement à d'autres pays ayant
légalisé le mariage entre personnes du même sexe).
Peu importe, dès
lors, que la loi ne contienne à ce stade aucune disposition étendant
explicitement aux couples homosexuels la possibilité de recourir à la procréation
médicalement assistée (PMA) : l'identité du régime matrimonial entraînera
inéluctablement l'identité des droits, en vertu du principe de
non-discrimination. Si deux femmes peuvent se marier, la Cour européenne des
droits de l'homme imposera qu'elles puissent recourir, tout comme le couple
formé d'un homme et d'une femme, à la PMA. Et nul pouvoir français, ni
exécutif, ni législatif, ni judiciaire, ne pourra s'y opposer. Quand cette
étape aura été franchie, ce qui ne sera qu'une question de temps, la même
exigence d'égalité imposera que deux hommes mariés puissent avoir accès à la
filiation, par le moyen de la gestation pour autrui (GPA). Au nom du droit à
l'enfant. Comme 170 juristes l'ont écrit au Sénat, "le désir
d'enfant de personnes de même sexe passe par la fabrication d'enfants (...). Le
projet de loi organise donc un marché des enfants, car il le suppose et le
cautionne. En l'état, ce texte invite à aller fabriquer les enfants à
l'étranger, ce qui est déjà inacceptable, en attendant de dénoncer l'injustice
de la sélection par l'argent pour organiser le marché des enfants en
France". Monsieur le Président de la République, ce n'est ni un fantasme,
ni une extrapolation, mais la conséquence inéluctable de cette loi. Où est l'intérêt
général ?
Le texte ouvre aux
personnes du même sexe l'adoption plénière. Spécificité du droit français
depuis la loi du 11 juillet 1966, ce régime, à la différence de
l'adoption simple, rompt tout lien avec les parents biologiques. Un enfant
ainsi adopté sera juridiquement réputé "né de deux hommes ou de deux
femmes". C'est alors tout le droit français de la filiation qui se
trouvera remis en cause : dans deux arrêts du 7 juin 2012, la
Cour de cassation n'a-t-elle pas qualifié l'altérité sexuelle de "principe
essentiel du droit français de la filiation" ? C'est aussi oublier
que l'adoption n'a pas pour objet de donner un enfant à un couple qui ne peut
en avoir, mais de donner des parents à un enfant qui a perdu les siens. Au nom
de l'intérêt d'adultes en mal d'enfant, et en violation de la Convention
internationale des droits de l'enfant qui impose de faire prévaloir l'intérêt
supérieur de l'enfant, cette situation créera une inégalité profonde entre les
enfants. Citons encore les juristes : "l'enfant adopté par deux
hommes ou deux femmes sera doté d'éducateurs, d'adultes référents, mais privé
de parents car ces parents de même sexe ne peuvent lui indiquer une origine,
même symbolique. Il sera en réalité deux fois privé de parents : une
première fois par la vie, une seconde fois par la loi". Monsieur le
Président de la République, ce n'est ni un fantasme, ni une extrapolation, mais
la conséquence inéluctable de cette loi. Où est l'intérêt général ?
À cause de tout ce
qu'il induit pour vie et le statut des enfants, ce texte suscite une opposition
pacifique mais déterminée, massive et croissante, que le vote précipité de la
loi ne fera pas taire. Les manifestants ont été ignorés, caricaturés, traités
de ringards, d'homophobes. Leur décompte officiel, à Paris les 13 janvier
et 24 mars, relève de ce que le droit public appelle l'erreur manifeste
d'appréciation. Le Conseil économique, social et environnemental a été saisi
d'une pétition signée par près de 700.000 personnes, première application de la
loi constitutionnelle de juillet 2008. Il s'est déclaré incompétent au
motif que la question portait sur un projet de loi ; ceci après que son
Président, hors de toute procédure, eut cru bon de saisir le Premier ministre
pour recueillir ses instructions. Dans ce contexte, les commentateurs semblent s'étonner
d'une radicalisation -heureusement pacifique - du mouvement. Mais comment s'en
étonner ? Et si rien n'est fait, nul ne sait jusqu'à quel point la
cohésion nationale sera gravement et durablement ébranlée.
Monsieur le Président de la République, ce n'est ni un fantasme, ni une
extrapolation, mais la conséquence inéluctable de cette loi. Où est l'intérêt
général ?
Monsieur le
Président de la République, il n'est pas trop tard pour sortir par le haut de
cette impasse. Des solutions existent, dont vous seul avez la clef.
"La
souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants
et par la voie du référendum". Michel Crozier écrivait qu'on
ne change pas la société par décret. On ne change pas de civilisation par une
simple loi. L'objection selon laquelle l'article 11 de la Constitution ne
s'appliquerait pas aux sujets "sociétaux" nous paraît spécieuse. Le
mariage, la filiation, l'adoption sont par essence des questions
"sociales". Un référendum est donc possible, et démocratiquement
légitime. À condition que la question posée soit parfaitement claire, et que
soit bien comprise la portée réelle du texte : les Français doivent être
conscients qu'il est juridiquement impossible d'accepter le mariage entre
personnes du même sexe sans donner du même coup à ces couples le droit à
l'adoption et à la PMA.
Une autre option
existe : retirer ce texte. Deux chefs d'État ont ainsi écouté le peuple,
François Mitterrand en 1984 à propos de l'école libre et Jacques Chirac en 2006
à propos du CPE - deux mois après le vote du texte. Monsieur le Président de la
République, vous déclariez à l'époque, évoquant un "immense
gâchis" : "Il suffirait d'un mot, un seul, que le pouvoir
hésite à prononcer : l'abrogation. Quand on a fait une erreur, il faut
savoir l'effacer" ; et vous demandiez : "à quoi sert d'attendre
la prochaine manifestation ?"
Il serait alors
temps de créer l'union civile entre personnes du même sexe, leur conférant les
mêmes droits sociaux, fiscaux, patrimoniaux que les couples mariés à la notable
et légitime exception des droits relatifs à la filiation, comblant ainsi les
lacunes du Pacs et permettant la reconnaissance de cette union par un officier
d'état civil, et d'engager un débat public sur la demande sociale d'un statut
de "beau-parent", pour les configurations familiales dans lesquelles
des personnes hétérosexuelles ou homosexuelles souhaitent pouvoir partager ou
se voir déléguer l'autorité parentale, en l'absence d'un lien de filiation. Un
tel projet ne diviserait pas, mais rassemblerait sans doute, contrairement au
texte voté, une large majorité, et l'intérêt général en sortirait grandi.
Monsieur le
Président de la République, vous avez déclaré que vous ne seriez pas "le
chef de la majorité", que vous auriez "toujours le souci de la
proximité avec les Français". Le premier de vos engagements n'est-il pas
d'être le garant de la cohésion nationale, et le rassembleur de tous les
Français - les Français d'aujourd'hui et ceux de demain ?
Le Groupe
Cambacérès
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