Catastrophe humanitaire : l'Europe coupe les vivres
Où sont les « Liberté, Égalité, Fraternité ? »…
La France a vendu son âme !
L’Europe menace de fermer le robinet de l'aide
alimentaire aux plus démunis. Réunion de la dernière chance aujourd'hui pour
empêcher une réduction draconienne de l'aide. Les associations lancent un cri
d'alarme.
13 millions
d'Européens pourraient bien se serrer la ceinture d'un cran de plus. Une
réunion de la dernière chance est prévue aujourd'hui à Bruxelles pour empêcher
une réduction draconienne d'un programme européen d'aide alimentaire pour les
pauvres. Voila qui fait désordre en temps de crise.
Et pourtant, c'est
la Cour de Justice européenne qui a pris cette décision. Couper, de façon
drastique, les aides alimentaires aux plus démunis. Explication : en 1985,
les surplus alimentaires européens sont énormes. Tellement, qu'il est plus
coûteux de les stocker que de les distribuer à ceux qui ont faim ! Voilà
la grande idée de Coluche et des Restos du Cœur !
En 1987, l'Europe
s'empare du dossier et sous l'impulsion de Jacques Delors, elle crée le
Programme Européen d'Aide aux plus démunis, le PEAD. On va y consacrer 1% des
fonds de la fameuse PAC, la politique agricole commune. On ouvre grand les
frigos. Très vite, cela représente 23% des stocks des Restos du cœur, 33% pour
les Banques Alimentaires, près de 50% pour le Secours Populaire !
Seulement
voilà : au fil du temps, les stocks se sont rapetissés. Désormais, c'est
la Commission qui règle la facture, et achète pour 500 millions de denrées
qui sont redistribuées.
20 pays membres sur
29 bénéficient de ce système. Pas l'Allemagne… Qui en avril dernier saisit la
Cour de justice en voulant limiter l'aide au seul écoulement des stocks, et
proscrire tout achat. La Cour de justice lui a donné raison. Cela signifie par
exemple que l'aide pour la France passerait de 72 millions d'euros à
15 millions d'euros. Soit 130 millions de repas en moins !
Hier, les
présidents des quatre grandes associations humanitaires ont tenu une conférence
de presse pour alerter les pouvoirs publics. « Catastrophe
humanitaire » disent d'une seule voix Olivier Berthe des Restos et Julien Lauprètre, du Secours Populaire. La Croix rouge demande la
mise en place d'une mesure transitoire le temps d'imaginer le PEAD de demain.
« Sinon, ce sera la mort du dispositif », redoute Didier Piard. Cette mesure entraînera « 200.000 personnes non
nourries », calcule Maurice Lony, directeur de
la Fédération des banques alimentaires.
« Comment
faire ? Impossible de donner moins aux gens qui en ont besoin !
s'indigne Solange Minguez, président des Restos de la
région. Et sur quels critères..? » On se le demande…
Dominique Delpiroux
C'était une idée de
Coluche
Quelques mois après
avoir fondé les Restos du Cœur, le 26 septembre 1985, Coluche découvre le
fonctionnement des stocks européens de denrées agroalimentaire mis en place
dans le cadre de la Politique agricole commune, pour réguler les prix
agricoles. Un système qui finit par coûter très cher en stockage.
L'idée géniale de
Coluche c'est de montrer que cela coûte moins cher de donner que de stocker. Il
bataille dur, jusqu'à Bruxelles, pour obtenir qu'une partie des denrées soit
attribuée aux plus démunis. Début 1986, avec Jacques Delors, président de la
Commission européenne, il va défendre son idée qui aboutit en 1987 à la
création du PEAD (Programme européen d'aide aux plus démunis). Les 78 millions,
sur quelque 500 au niveau européen, alloués en 2011 à la France, vont à 4 associations
humanitaires : la Croix rouge, le Secours Populaire, les Banques
alimentaires et les Restos du cœur. L'aide européenne représente une part plus
ou moins importante en fonction des structures : 23% du budget des Restos,
plus de 50% de celui du Secours Populaire.
Jérôme Schrepf
"Pour nourrir
ma famille, je fais comment ?"
Du lait, du riz,
des pâtes, du chocolat entouré de papier blanc estampillé CE : ce sont les
surplus de la Communauté européenne. On trouve aussi, dans les rayons de
l'épicerie du Secours Populaire à Toulouse, des figues et des raisins, cadeau
du Min, le Marché d'intérêt national, tout proche. Noël, un grand gaillard de
42 ans, fait ses provisions pour une dizaine d'euros.
« Je touche
700 € de pension d'adulte handicapé par mois, et j'ai cinq enfants à nourrir.
Je n'arrive même plus à payer mon loyer… Alors, pour nourrir ma famille, je
fais comment ? S'ils nous enlèvent le peu qu'on a… Est-ce qu'il faudra
voler de la nourriture, comme autrefois ? Nous devons descendre dans la
rue pour demander que les Français puissent manger à leur faim »,
lance-t-il.
« Ici, c'est
ma boutique », fait Pascale, une Toulousaine de 54 ans, qui
renouvelle sa garde-robe (un jean et un tee-shirt) pour trois sous au dressing du
Secours Populaire, situé 147 avenue des États-Unis dans la Ville rose.
Pascale travaille à temps partiel, dans la restauration ou les écoles :
500 ou 600 € par mois pour vivre, ou plutôt
« survivre ».
35.000 personnes aidées
Le local, ce lundi
après-midi, ressemble à une ruche. Il y a ceux qui stationnent en voiture pour
déposer des vêtements, des jouets, des chaussures… Et ceux qui arrivent à pied
avec des poches en plastique pour trouver de quoi s'habiller ou se nourrir.
Le Secours Populaire
de la Haute-Garonne aide 8.000 familles, soit environ 35.000 personnes.
« Bientôt, nous aurons les trois quarts du rayon alimentation vide. Nous
serons obligés de faire appel aux dons et nous risquons de nous épuiser très
vite », déplore Houria Tareb,
la secrétaire générale de la fédération départementale du Secours Populaire.
À la fin du mois,
« surtout les 30 derniers jours » comme disait Coluche, beaucoup
n'ont déjà plus de quoi s'acheter à manger. Khadija, 46 ans, mère d'une petite
fille de quatre ans, travaille à mi-temps dans une société de nettoyage et dispose
d'un salaire mensuel de 700 € : « Nous sommes de plus en plus
nombreux à être dans le besoin, dit-elle. Ces associations nous aident à
améliorer le quotidien. Sans elles, comment ferons-nous ? »
Sabine Bernède
"Besoin d'un
grand cœur…"
Ouvrir les frigos de l'Europe, à la base, c'était une idée de Coluche
Véronique Colucci, administratrice des Restos du Cœur. En fait,
Michel, c'était un clown… Mais c'était un clown méticuleux, perfectionniste,
précis, vraiment très professionnel. Et son idée de Restos du cœur, c'était
tout sauf un gadget. On lui doit donc deux choses : tout d'abord, cette
idée d'aller ouvrir les frigos de l'Europe. Ensuite la loi fiscale, qui permet
de déduire les dons des impôts, que l'on appelle depuis la loi Coluche. Pour ce
qui concerne les frigos, il faut se souvenir que l'Europe les avait créés pour
éviter les problèmes liés à la surproduction.
D'énormes stocks avaient été constitués ?
Oui, et ces
réserves au bout d'un moment n'avaient plus de raison d'être. Le stockage était
devenu un énorme business, on vendait nos stocks à des armées de pays, alors
qu'en France, on avait de plus en plus besoin de nourriture pour des gens
nécessiteux, qui de toute façon n'auraient pas cassé le marché, puisqu'ils ne
pouvaient pas acheter. Michel est allé défendre cette idée en 1986 à Bruxelles,
plaidant pour une utilisation humanitaire des stocks. Jacques Delors, président
de la commission nous a soutenus. C'est parti de là ! Depuis 1987, quatre
associations (Secours Populaire, Secours Catholique, banques alimentaires,
Croix rouge et Restos du Cœur) bénéficient de ces stocks.
Qu'allez-vous faire désormais ?
Je ne sais pas
comment on va faire…. Nous demandons tous le maintien des PEAD. Entre
associations, nous sommes très soudés. En Europe, il y a 20 pays qui en
bénéficient et sept qui forment une minorité de blocage. Cette décision est
dramatique, car elle intervient à une période de crise où l'on assiste à une
montée du chômage et de la précarité inouïe, où les gens n'ont plus les moyens
de payer leur nourriture, leur loyer, leur électricité ! Je crois
qu'aujourd'hui, nous aurions sérieusement besoin d'un clown au grand
cœur !
Recueilli par Dominique Delpiroux
L'équilibre
alimentaire ne sera plus assuré
Au siège
départemental des Restos du Cœur du Lot-et-Garonne, à Agen, on a fait les
comptes : « L'an dernier l'aide alimentaire de l'Europe nous a permis
de servir 101 000 repas sur les 440.000 qu'on a distribué. Avec la réduction
des aides européennes, on perdra 75.000 repas annuels. » Le président
Thierry de Pouques, en place depuis une semaine, sait
que ce scénario est digne d'un vrai film catastrophe : « Si jamais ce
projet se concrétise on ne pourra pas tout remplacer. Notre rôle sera d'essayer
de pallier le désengagement de l'Europe, mais on ne pourra pas tout compenser. »
Et dans ce cas-là, la sentence est aussi dramatique que simple : « On
ne pourra pas distribuer autant qu'on le fait actuellement. »
Au-delà de la
colère et du message d'alerte, Thierry de Pouques et
les bénévoles qui l'entourent veulent pourtant rassurer les 4.400 personnes
« accueillies » chaque semaine dans l'un des 12 centres du
département ou desservies par le camion itinérant des Restos : « Ce
que ça veut dire concrètement c'est qu'au lieu de distribuer 1,5 litre le
lait par semaine, peut être qu'on ne pourra plus donner qu'1 litre toutes
les deux semaines. Ce qui est sûr quand même, c'est que l'équilibre alimentaire
des repas, sur lequel on veille scrupuleusement, ne sera plus assuré. » Et
de renchérir : « En Lot-et-Garonne, on a la chance d'avoir des dons
de conserves, de fruits et légumes, d'avoir un jardin d'insertion qui en
produit 5 tonnes par an également, mais les pâtes ? Qui va nous
donner les pâtes que ne nous donnera plus l'Europe ? Personne ! Certains
produits de base, indispensables, on ne les aura plus, ou bien moins
souvent. »
Jérôme Schrepf
Le chiffre :
500
Millions d'euros
d'aide en 2011. Ce chiffre devrait passer à 117 millions en 2012, si la
condamnation du programme d'aide alimentaire européen est maintenue.
« Nous
distribuerons 49 millions de repas en moins par an, soit l'équivalent de
200.000 personnes non nourries. » Maurice Launy,
directeur de la Fédération des Banques Alimentaires.
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