COMPTE-RENDU ANALYTIQUE
OFFICIEL
SÉANCE DU MARDI 3 NOVEMBRE 1998
"Un enfant a droit à un père et une mère"
Mme Élisabeth
Guigou, Garde des Sceaux, ministre de la justice - Aujourd’hui, de
même que le 9 octobre dernier, le Gouvernement soutient la proposition de
loi sur le pacte civil de solidarité qui permet à deux personnes d’organiser
leur vie commune dans la clarté et la dignité. (…)
Pourquoi avoir
dissocié le pacte de la famille ?
Une famille ce
n’est pas simplement deux individus qui contractent pour organiser leur vie
commune. C’est l’articulation et l’institutionnalisation de la différence
des sexes. C’est la construction des rapports entre les générations qui
nous précèdent et celles qui vont nous suivre. C’est aussi la promesse et la
venue de l’enfant, lequel nous inscrit dans une histoire qui n’a pas commencé
avec nous et ne se terminera pas avec nous. (…)
Nous reconnaissons,
sans discrimination aucune, une même valeur à l’engagement de ces deux
personnes, hétérosexuelles ou homosexuelles. Il fallait trouver une formule qui
traduise cet engagement et le gratifie de nouveaux droits.
Mais il fallait
aussi bien marquer qu’au regard de l’enfant, couples homosexuels et
hétérosexuels sont dans des situations différentes. La non-discrimination
n’est pas l’indifférenciation. Le domaine dans lequel la différence
entre hommes et femmes est fondatrice, et d’ailleurs constitutive de
l’humanité, c’est bien celui de la filiation. Voilà pourquoi le PACS ne
légifère pas sur l’enfant et la famille. Voilà pourquoi le pacte concerne le
couple et lui seul (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
Les opposants au
PACS prétendent que celui-ci serait dangereux pour le mariage. Mais ce n’est
pas le PACS qui est dangereux pour le mariage ! Celui-ci est en effet
confronté depuis longtemps déjà aux évolutions de la société : crainte de
s’engager pour la vie, peur d’évoluer différemment de l’autre, indépendance
financière de plus en plus tardive, acceptation sociale de la cohabitation,
volonté de ne pas faire sienne la famille de l’autre… mais malgré ces difficultés
le mariage reste un idéal et a de beaux jours devant lui. (…)
Le pacte civil de
solidarité serait en deuxième lieu dangereux pour la famille et pour la société !
Mais le choix a été
fait de dissocier pacte et famille car lorsqu’on légifère sur la famille, on
légifère aussi forcément sur l’enfant. (…)
En troisième lieu,
certains s’inquiètent de ce que l’enfant serait oublié.
Notre société ne
protège pas assez l’enfant et en même temps qu’elle proclame l’enfant roi, elle
le soumet trop souvent au seul désir de l’adulte.
Un enfant a droit à
un père et une mère, quel que soit le statut juridique du couple de ses
parents. D’ailleurs
aujourd’hui, la situation de l’enfant légitime qui vit avec ses deux parents
est plus proche de la situation de l’enfant naturel qui vit lui aussi avec ses
deux parents que de celle de l’enfant légitime de deux parents divorcés ou
séparés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe
socialiste et du groupe RCV). (…)
Enfin, certains
ajoutent encore une menace : le pacte ne serait qu’une première étape vers
le droit à la filiation pour les couples homosexuels !
Ceux qui le
prétendent n’engagent qu’eux-mêmes. Le Gouvernement a, quant à lui, voulu que
le pacte ne concerne pas la famille. Il n’aura donc pas d’effet sur la
filiation.
Je veux être
parfaitement claire : je reconnais totalement le droit de toute personne à
avoir la vie sexuelle de son choix. Mais je dis avec la plus grande fermeté que
ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe socialiste).
Un couple,
hétérosexuel ou homosexuel, n’a pas de droit à avoir un enfant en-dehors de la
procréation naturelle. Les lois récentes sur la procréation médicalement
assistée ont tracé les limites du droit à l’enfant comme source de bonheur
individuel en indiquant que les procréations médicalement assistées ont pour
but de remédier à l’infertilité pathologique d’un couple composé d’un homme et
d’une femme. Elles n’ont pas pour but de permettre des procréations de
convenance sur la base d’un hypothétique droit à l’enfant (Applaudissements
sur de nombreux bancs du groupe socialiste).
Je reconnais que
des homosexuels doivent continuer à s’occuper des enfants qu’ils ont eus même
s’ils vivent ensuite avec un ou une compagne du même sexe, car la paternité ou
la maternité confère des obligations qui ne peuvent cesser (Applaudissements
sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).
Or c’est une chose
de maintenir un lien de parenté déjà constitué entre parents et enfants, c’en
est une toute autre de permettre, en vertu de la loi, l’établissement d’un lien
ex nihilo entre un enfant et deux adultes homosexuels. Dans le
premier cas, il s’agit d’une solution conforme à l’intérêt de l’enfant qui a le
droit de conserver son père et sa mère lorsque ses parents se séparent. Dans le
second, il s’agirait de créer de toutes pièces, par le droit, une mauvaise
solution.
Pourquoi l’adoption
par un couple homosexuel serait-elle une mauvaise solution ? Parce que
le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer, ni
abolir, la différence entre les sexes.
Cette différence
est constitutive de l’identité de l’enfant. Je soutiens comme de nombreux psychanalystes et
psychiatres qu’un enfant a besoin d’avoir face à lui, pendant sa croissance, un
modèle de l’altérité sexuelle. Un enfant adopté, déjà privé de sa famille
d’origine, a d’autant plus besoin de stabilité sans que l’on crée pour lui, en
vertu de la loi, une difficulté supplémentaire liée à son milieu d’adoption.
Mon refus de
l’adoption pour des couples homosexuels est fondé sur l’intérêt de l’enfant et
sur ses droits à avoir un milieu familial où il puisse épanouir sa personnalité
(Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste). C’est ce
point de vue que je prends en considération, et non le point de vue des
couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.
Je n’ignore pas les
procès d’intention sur un éventuel « après » de cette proposition de
loi qui préparerait des évolutions plus fondamentales de notre droit. Ce texte
serait « une valise à double fond ». Je m’élève avec la plus grande
énergie contre de telles insinuations.
Ce vocabulaire de
contrebande, qui fait croire que ce texte cacherait autre chose et que vos
rapporteurs et le Gouvernement exerceraient une fraude à la loi, est
inacceptable (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe
socialiste et du groupe RCV).
Bien au contraire,
le débat que nous allons avoir doit être conduit en toute clarté et je souhaite
y contribuer.
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