L’ÉTAT FRANCAIS N’ACHÈTE PAS « Made in France »
Depuis
juillet 2010, les facteurs de La Poste ne roulent plus en Peugeot, mais en Kymco, un constructeur taïwanais. © MAXPPP
ENQUÊTE : Législation sur
les appels d’offre oblige, les pouvoirs publics peinent à acheter français.
La carte Vitale ? Fabriquée en Inde. Les uniformes de l’armée ? Fabriqués au Sri Lanka ou au
Maghreb. Les pistolets de la police ? D’origine Suisse. Alors que la
plupart des candidats à l’élection présidentielle préconisent d’acheter français, alors que le made in France est un
thème très en vogue, l’État, lui, est loin de s’appliquer le mot d’ordre.
Ce n’est pas seulement une question de volonté. La législation européenne est ainsi faite que les pouvoirs publics,
qui ne sont pas des consommateurs lambda, sont contraints de lancer des appels
d’offre lorsqu’ils veulent renouveler un parc automobile par exemple. Et ce
sans discrimination d’origine.
« L’exemple doit venir d’en
haut »
C’est comme cela que le Taïwanais Kymco a soufflé
le marché des scooters de La Poste au Français Peugeot, partenaire historique
des facteurs. Les deux-roues taïwanais sont moins chers et plus compatibles
avec les contraintes de service, argue l’entreprise. « Comment on a pu faire ça ? Pour moi, c’était tellement
évident. Un postier, c’était un scooter Peugeot », s’emporte de son côté
Martial Bourquin, sénateur PS du Doubs, dont l’usine Peugeot Scooters se trouve
précisément dans la circonscription.
L’élu en a appelé aux plus hautes autorités. « Lorsqu’il y a eu ce
choix de fait, j’ai immédiatement écrit au ministre de l’Industrie, qui m’a fait une réponse en
évoquant l’appel d’offres, en disant : ‘on n’y peut rien’, poursuit-il, interrogé par Europe 1. « Aujourd’hui, il y a toute une
campagne sur ‘achetez français’. L’exemple doit venir d’en haut. Lorsqu’il
y a des marchés publics, on doit créer les conditions pour que ça profite à nos
industries. Je l’ai fait dans ma commune. On fait en sorte que les entreprises
locales, tout en respectant les appels d’offres, soit priorisées.
Est-ce à dire qu’il faut tailler sur mesure les appels d’offre, en exigeant
sciemment des caractéristiques techniques qu’on ne retrouve que dans une
entreprise ? La méthode est illégale. Mais il en existe d’autres. « Il
faut savoir faire, Il y a des dispositions qu’on peut vraiment exploiter. Il y a
un potentiel énorme », assure Sébastien Palmiers, avocat spécialiste des
marchés publics. « On peut très bien imaginer de multiplier par exemple
les clauses d’insertion des publics en difficulté. Ça avantagera les
entreprises qui s’engagent sur le territoire national à favoriser la main d’œuvre nationale. La boîte à outils qu’est le
Code des marchés publics offre toutes les possibilités pour dynamiser
l’économie nationale », conclut-il.
De son côté, le député radical Yves Jego planche,
à la demande de Nicolas Sarkozy, sur le sujet. L’ancien secrétaire d’État
à l’Outre-mer a déjà une petite idée : la clause d’origine. « Quand
vous achetez des stylos, vous exigez que celui qui vous vend des stylos vous
atteste l’origine du produit que vous achetez. Beaucoup auront du mal à le
faire, parce que les circuits de sous-traitance sont nombreux et variés »,
explique-t-il. « Nous pensons donc qu’avec des dispositifs comme le label Origine France garantie, ça
peut permettre d’attester d’une origine et de donner un petit avantage aux
entreprises nationales. »
La situation devrait de toute façon changer en 2012, puisque les seuils de
déclenchement des appels d’offre vont être relevés. Concrètement, cela signifie
que pour 90% des marchés publics, il n’y aura plus obligation de faire des
appels d’offre internationaux. Et les autorités auront alors tout le loisir d’acheter français comme bon leur
semble.
Par Rémi Duchemin
et Xavier Yvon
--