« SOUFI
MON AMOUR »
de Elif
Shafah (édit.10/18)
Les musulmans soufis
sont des personnes qui recherchent l’intériorisation, l’amour de Dieu, la
contemplation, la sagesse. Le soufisme est organisation initiatique et
ésotérique.
Souvent mis en opposition avec l’islam traditionnel par les Occidentaux et
les musulmans, et bien qu’en réalité les anciennes « voies » soufies
aient fait l’intense promotion d’un enseignement très orthodoxe, le soufisme
cultive volontiers le mystère, l’idée étant que Mahomet aurait reçu en même
temps que le Coran des révélations ésotériques qu’il aurait partagées qu’avec
quelques-uns de ses compagnons.
Les chrétiens de l’Occident, en pleine errance religieuse, peuvent donc
être attirés par cette approche de l’islam et ce d’autant plus qu’elle se
présente comme élitiste avec un parfum de mystère ; le soufisme pour les
Occidentaux serait aussi la version idéalisée de l’Islam, une religion de paix
et d’amour…
A partir du roman, « Soufisme mon amour », je vais essayer de
vous en dire un peu plus.
Les chrétiens qui se sont convertis à l’islam sont passés par le soufisme ;
j’invite les lecteurs à lire ce roman avec un sens critique en alerte.
Résonnances chrétiennes :
Page 159s : Le Christ
accueille avec amour le lépreux, tout comme le soufi.
Page 17 : Le Christ pardonne
à la prostituée, le soufi aussi.
Page 177 : Ce qui est impur,
c’est ce qui sort du cœur nous dit le Christ et non pas ce que l’on mange ;
il n’y a donc pas d’aliments impurs ; le soufi dit la même chose.
Ibid. Dieu nous aime et
nous pardonne lit-on dans Les Évangiles ; Dieu nous aime et nous
pardonne, même si nous sommes incapables de le faire entre nous clame le
soufi.
Un chrétien naïf peut vite sauter le pas et s’imaginer en lisant les
auteurs soufis que l’islam est une religion de paix également ; il pourra
même la considérer comme supérieure au christianisme, car elle est la dernière
des trois religions monothéistes donc la plus parfaite puis qu’elle
contiendrait les ultimes révélations.
Rien de profondément original dans le soufisme :
Ne nous laissons pas impressionner par sentences soufis, car on les
retrouve dans notre culture et ce, avec plus de force :
Quelle chose bizarre à dire, lui répondit Ella, à une femme qui a toujours
trop pensé au passé et encore plus à l’avenir, mais qui en fin de compte, n’a
jamais vraiment pris conscience de l’instant présent ! Nous dit le soufi. (p.219)
Comparez avec cette pensée de Pascal :
« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons
l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours; ou nous rappelons
le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous
songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui
subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige; et s'il nous est
agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par
l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance,
pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.
Dans cette vie, gardez-vous de tous les extrêmes (p.208) sermonne le soufi ;
les Grecs, avec force et dans une langue très poétique, nous avaient mis en
garde contre la démesure. Ils nous invitaient à la tempérance
et à la modération. Dans la Grèce antique, l’hybris était considérée comme un crime.
À mon sens, Les Caractères de La Bruyère ou Les fables de La
Fontaine apportent beaucoup plus que les pensées soufies qui traversent le
livre.
Un dernier exemple :
Shams, le soufi, rappelle simplement que Dieu nous a donné la musique ;
Nietzsche, avec finesse et poésie, ce que l’on ne trouve pas chez le soufi,
avait écrit, Sans musique la vie serait une erreur. Crépuscule des idoles,
Maximes et pointes, § 33.
Mais pourquoi ai-je aimé ce roman ?
On pourrait me poser cette question après ce que je viens d’écrire.
J’ai aimé ce roman parce l’histoire est captivante et parfaitement racontée
et aussi parce que j’ai pu explorer la poésie persane de Rümi, un très grand
poète soufi :
Écoute le roseau et l’histoire qu’il raconte,
Comment il chante la séparation :
Depuis qu’ils m’ont coupé de mon lit de roseaux,
Mes gémissements font pleurer hommes et femmes.
Ou encore :
Belle épousée, ne pleure pas
Dis au revoir à ta maman, à ton papa,
Tu entendras les oiseaux chanter demain
Mais plus rien ne sera jamais pareil…
J’ai aimé ce roman parce que c’est un hymne à l’amour :
Une vie sans amour ne compte pas. Ne vous demandez pas quel genre d'amour
vous devriez rechercher, spirituel ou matériel, divin ou terrestre, oriental ou
occidental... Les divisions ne conduisent qu'à plus de divisions. L'amour n'a
pas d'étiquettes, pas de définitions. Il est ce qu’il est, pur et simple.
« L'amour est l'eau de la vie. Et un être aimé est une âme de feu !
« L'univers tourne différemment quand le feu aime l'eau. »
J’ai aimé ce roman pour sa poésie :
L'univers tourne, constamment, sans relâche, ainsi que la terre et la lune,
mais ce n'est rien d'autre qu'un secret enraciné en nous, êtres humains, qui fait tout bouger. Le sachant, nous, les derviches, nous
danserons, à travers notre vie d'amour et de cœur brisé, même si l'on ne
comprend pas ce que nous faisons. Nous danserons de la même manière au milieu
d'une rixe ou d'une guerre majeure. Nous danserons dans la douleur et le deuil,
avec joie et exaltation, seuls ou ensemble, aussi lents et rapides que le cours
de l'eau.
Comme on le voit, on peut aimer un roman tout en dénonçant ses idées.
Mais ne vous faites pas avoir ! Le soufisme, c’est l’islam !
Certes, il y a des récurrences chrétiennes dans le soufisme, comme nous
l’avons montré, mais il y a aussi des divergences et des incompatibilités :
- La personne, selon le soufisme, se dilue dans un grand Tout, alors que le
christianisme magnifie la Personne.
- Le christianisme est respectable affirme les soufis, mais Le Coran,
invite à tuer les polythéistes, donc les chrétiens ! Les belles paroles ne
peuvent effacer ce qui est écrit dans Le Coran, car c’est ce qui est écrit dans
Le Coran qui fait autorité, même chez les soufis.
En effet, si le soufisme rejette le sens littéral du Coran, il respecte
aussi la littéralité du Coran (Cf. la conclusion en bas de page)
Le jihad doit être compris
dans son sens symbolique, la lutte contre nos mauvais penchants, nous
expliquent les soufis, mais cela reste l’apanage des milieux soufi uniquement
(Cf. la conclusion en bas de page), car nombre de soufis ont servi
militairement dans les monastères –forteresses qu’on nommait des ribâts.
Conclusion :
Je vous laisse lire un extrait du petit lexique de Dominique et Marie
–Thérèse Urvoy qui font autorité pour ce qui touche à l’islam : (Entrée
soufisme)
« Aujourd’hui,
le soufisme jouit d’un grand prestige auprès des non-musulmans qui croient voir
en lui une religion purement spirituelle, débarrassée du légalisme. Aussi la
majeure partie des conversions d’Occidentaux à l’islam se fait-elle par
l’intermédiaire du soufisme qui donne l’illusion de pouvoir se tailler une
religion à sa convenance. Mais un soufi est avant tout un Musulman :
théologiquement les soufis sont le plus souvent littéralistes ; leur rôle
et même leur devoir n’est pas de discuter sur Dieu, mais d’en vivre par la
méditation du Coran, l’ascèse, et les états mystiques. Chez lui les strates
d’interprétation symboliques se juxtaposent à la strate des obligations légales
sans l’abolir. Ceux qui ont cru pouvoir se dispenser de cette dernière ont été
rappelés à l’ordre et éventuellement traités en infidèles, y compris par la majorité
des autres soufis. Aussi ne saurait-on admettre la formule en vogue
actuellement selon laquelle « le soufisme est ‘antidote de
l’islamisme ». En réalité il lui sert plutôt de cheval de Troie. (C’est
moi qui souligne).
Les mots de
l’islam, Dominique et Marie
(Thérèse Urvoy (Presses universitaires du Mirail).
LA TRIBUNE
LITTÉRAIRE DE RASTIGNAC
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