Tourisme sexuel : « Vae pueris pauperibus ! »
16 octobre 2009 |
Yves Meaudre*
Responsables d’une ONG qui défend depuis cinquante ans l’enfance
souffrante en Asie, association ayant reçu le Prix des droits de l’homme de la
République française pour l’action que nous menons auprès de 60.000 enfants, il
nous est impossible de ne pas réagir face à la polémique qui met en cause un
ministre de la République.
Nous savons, pour être quotidiennement à leurs côtés, que des
jeunes peuvent vivre heureux et construire leur personnalité d’adultes malgré
des blessures physiques, comme celles provoquées par des mines dont ils ont pu
être les victimes dans les zones où nous travaillons. En revanche, nous savons
que les blessures psychologiques et morales sont irrémédiables lorsque
celles-ci sont le fait d’un viol, d’un abus ou de la prostitution.
Notre expérience actuelle et ancienne en Thaïlande, au Cambodge
et aux Philippines nous autorise à dénoncer haut et fort toute tentative de
vulgarisation et de banalisation de la pratique de la pédophilie et de la
prostitution des jeunes gens. C’est un crime insoutenable, dont les
conséquences sont terribles.
Il est impossible pour nous d’accepter qu’un ministre de la
France puisse reconnaître avoir eu des relations sexuelles avec des
« gosses » sans qu’il ne soit obligé de quitter ses fonctions [1].
Certes, l'ambiguïté savamment dosée sur l'âge de ces « gosses » nous
interdit de penser qu'il s'agisse d'enfants mineurs : pour Frédéric
Mitterrand, un « gosse » ou un « boxeur de
quarante ans », c'est pareil... L'essentiel n'est pas là. Quel que soit
l'âge de ces « gosses », le recours à la prostitution fait toujours
des victimes. Et quel que soit leur âge, les prostitué(e)s, esclaves exploités,
sont toujours des enfants. Qu'on ne viennent pas nous
dire qu'ils sont « consentants ».
S’abriter derrière son statut d’homme politique ou d’écrivain
pour revendiquer l’impunité a quelque chose de monstrueux quand on connaît la
souffrance de ces victimes. Comment peut-on prendre M. Mitterrand au sérieux
quand il condamne le tourisme sexuel en présentant sa « confession »
comme la « sublimation » littéraire de ses actes ? Comment un
Premier ministre peut-il accepter de couvrir un membre de son gouvernement
quand il est lui-même père de famille ? Et si son enfant en avait été la
victime ? Les jeunes gens d’Asie sont ils de moindre valeur ?
Qu’on dénonce une manipulation politique, on ne voit pas où est
le problème. Car enfin, qu’un parti d’opposition stigmatise des pratiques
odieuses reconnues par un ministre qui considère un cinéaste accusé de viol sur
une mineure comme « une histoire qui n’a pas de sens », en quoi cela
innocenterait le coupable et relativiserait le crime ? La question a
transcendé fort heureusement les partis. Que Manuel Valls ou qu’Arnaud
Montebourg aient réagi sainement rassure sur l’état mental des parlementaires,
quelle que soit leur appartenance politique. Ils réagissent en hommes et en
pères. Ils refusent de se faire piéger et constatent les faits. Et les faits
sont odieux et ils les considèrent comme tels. Comme nous, experts, nous les
considérons insupportables.
La politique de la France
Il y a dans la relativisation des faits avoués quelque chose
d’insoutenable. Admettons que M. Mitterrand ne soit pas pédophile, et rien
formellement ne le prouve en dépit de ses ambiguïtés. Mais l'étalage public,
plus ou moins littéraire, plus ou moins complaisant, et même plus ou moins
regretté, de ses activités nocturnes à Bangkok sont indéfendables. Le crédit de
la France dans la lutte contre le tourisme sexuel en sort particulièrement
affaibli.
La France a signé la chartre des droits de l’enfant où le
tourisme sexuel est expressément condamné. Elle a élaboré le droit de suite
sans contrainte de frontières pour les crimes sur enfants. Comment ces finasseries
sur l'âge des « gosses » utilisés (c'est le mot) par une personnalité
devenue ministre renforceront son autorité ?
Avec beaucoup de facilité, nos dirigeants jugent et donnent des
leçons au nom des droits de l’homme à de nombreux pays du Sud pour leur laxisme
en matière de tourisme sexuel et d’absence de protection de l’enfance. Pays du
Sud qui ont souvent plus le sens de la dignité de l’enfant et de la famille que
nous-mêmes ! L’État français perd la face, pris
en flagrant délit d’incohérence, en gardant au sein de son gouvernement un
homme qui reconnaît avoir eu des relations sexuelles tarifées « avec des gosses ».
Enfin n’y a-t-il pas là l’expression d’un mépris raciste qui
accréditerait l’idée que les « gosses » thaïlandais sont « consommables »
et que les jeunes Français devraient être protégés ? Les pays concernés ne
peuvent qu’être scandalisés de voir considérer leurs jeunes gens comme des
produits de consommation.
Les princes de la République issus de la bourgeoisie la plus
protégée sont-ils donc au dessus des lois ?
On se souvient du départ de ministres ou de haut-fonctionnaires
effectué dans l’heure alors qu’ils n’étaient l’objet d’aucune infraction à la
loi, mais accusés d’avoir loué des appartements trop grands. Cela laisse songeur
à côté de ce qui est en cause. Ces serviteurs de l’État authentiques avaient
démissionné pour ne pas gêner la politique de la France. Leur attitude avait
révélé un vrai sens de l’honneur.
Dans quel monde de voyous sommes-nous en train de puiser nos élites ?
L’avenir des pauvres et des enfants pauvres est de plus en plus terrifiant.
Notre propre action risque d’être de plus en plus impossible. « Vae pueris
pauperibus ! » La décadence au sommet de l’État fait le lit des
dictatures : c’est la leçon de l’Histoire.
*Yves Meaudre est directeur
général d’Enfants du Mékong.
[1] Cf. Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie, Éd. Robert Laffont,
1995.
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