Réponse du Général d'armée
(2s) Bruno DARY
au Capitaine Cédric CAILLON, auteur de
l'article "Une veillée avec les veilleurs"
(Le Casoar n°212 - p.43)
Mon
capitaine et cher camarade,
En accord avec notre président (celui de la
Saint-Cyrienne, bien entendu…) et pour calmer quelque peu le tsunami, provoqué par votre article « une veillée avec les
veilleurs », je vous fais part
de quelques réflexions, car dès lors que l’on écrit, on soumet ses propos à
tous les lecteurs, et ceux du Casoar sont la plupart du temps avertis ! Je
le fais bien volontiers pour trois raisons :
·
d’abord en qualité
de membre du conseil d’administration de la Saint-Cyrienne, dont la revue vous
a ouvert ses pages et je reste solidaire de la ligne éditoriale voulue par son
président ;
·
comme officier,
supérieur et général, qui a beaucoup travaillé, réfléchi, écrit et surtout mis
en œuvre sur le sujet de la participation des forces armées dans les opérations
de sécurité publique, que ce soit sur le territoire national (Vigipirate) ou en
opérations extérieures !
·
et enfin, comme mon
engagement auprès des organisateurs de « La Manif pour tous » n’est un secret pour personne et que ce mouvement a
acquis ses lettres de noblesse, ne serait-ce que par le comportement exemplaire
de ses manifestants, j’ai en quelque sorte, « un pied de chaque côté de la barricade » !
Votre introduction est surprenante : appeler
d’emblée « adversaires » des Français - et de plus des veilleurs,
dont chacun a pu reconnaître et même admirer le calme et l’esprit pacifique -
il faut quand même oser ! N’oubliez pas que voici un peu plus de 10 ans,
à Saint-Cyr, vous et vos camarades, vous êtes engagés pour défendre, au péril
de votre vie, la France et sa population, dont les veilleurs font partie ! Le
changement d’uniforme aurait-il changé le regard que vous portez sur vos
compatriotes ? Que ce terme puisse être employé en interne au cours de vos
exercices d’entraînement pourrait éventuellement se comprendre, mais l’employer
impunément à plusieurs reprises fait froid dans le dos de n’importe quel
lecteur !
Vous ajoutez ensuite que « les missions de maintien
de l’ordre demeurent sensibles tant en termes médiatiques que politiques » : s’il est vrai que cette mission est
particulièrement sensible – tout comme Vigipirate, remplie par vos frères
d’armes – la raison principale en est justement que vous avez à faire à vos
propres compatriotes : j’ose espérer que vous et vos hommes craignez plus
la blessure d’un manifestant pacifique que le regard de votre chef ou la
caméra d’un journaliste !
Enfin, vous insistez sur le fait que le cadre légal
doit être précis et irréprochable : mais le cadre légal, il est immuable,
il est celui de la loi française et du règlement du maintien de l’ordre !
La seule chose qui vous est demandé, à vous officier français et commandant un
escadron de gendarmes mobiles, c’est d’appliquer ce cadre avec
discernement ! Et il est malheureux que pas une seule fois vous n’employez
ce terme ! Heureusement, et c’est tout à votre honneur, vous en avez fait
preuve dans la conduite de l’action, comme vous l’écrirez dans la suite de
l’article.
Enfin, j’espère aussi que vous vous êtes mal exprimé
quand vous dîtes que le fait d’agir sous l’œil des caméras vous oblige, vous et
vos gendarmes, à avoir une attitude et une tenue irréprochables ! Je pense
bien que c’est aussi le cas, quand vous êtes en mission sans la présence de
caméras, et sous le simple regard de vos compatriotes !
Au-delà de ces quelques remarques, qui dépassent
pourtant la simple sémantique, vous me permettrez de faire trois remarques sur
le fond.
La première est sur la « tactique »
employée, car vous faîtes « la
preuve par neuf » que face à une
même situation, seul le discernement vous a permis de remplir une mission
sensible : dans une première phase, vous encerclez des manifestants
inoffensifs et vous en poussez même un à la faute ; puis, dans un second
temps, revenant aux termes de votre mission, votre présence se fait bien
plus discrète et tout se passe dans la sérénité et le calme « républicain » !
Déployer sa force quand les manifestants sont pacifiques n’est certainement pas
le meilleur procédé….
Vous vous interrogez - et c’est bien – sur le
fondement légal de vos ordres, mais malheureusement de façon quelque peu
binaire. L’expérience nous a appris et vous apprendra que la vie ne se règle
pas - simplement entre le bien et le mal, les bons et les méchants, les justes
et les injustes, etc. Un ordre peut être tout à fait légal, alors que les
procédés de sa mise en œuvre sont non réglementaires ; et on peut recevoir
une mission aux marges de la légalité et la remplir avec discernement et
humanité, simplement guidé par sa conscience ! Par ailleurs, affirmer
qu’un « ordre
juste est juste un ordre »
est plus que maladroit : un ordre injuste peut aussi être juste un
ordre ; et, en outre, pour qu’un ordre soit juste, il faut d’abord qu’il
soit conforme, clair et précis, car chacun sait en effet que le diable se cache
dans les détails.
Enfin, vous semblez tirer gloire de votre manœuvre
face à des manifestants pacifiques, dont l’illégalité de la présence reste à
prouver…. Sachons en toutes choses rester modestes, et je vous renvoie à vos
classiques, car « à
vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! »
Mon capitaine et cher camarade – et je le pense
profondément – vous avez fait le choix de la Gendarmerie et votre choix vous
honore ! Mais je m’interroge, car j’entends souvent certains de vos
camarades ou de vos chefs dire que « l’on entre en Gendarmerie » : s’il s’agit d’une expression pour dire que l’on va
servir cette belle arme « corps
et bien », alors je vous
renouvelle mes félicitations, car notre pays, surtout aujourd’hui, a besoin de
cadres disponibles, généreux, compétents et passionnés par leur métier, qui ne
ménagent ni leur temps, ni leur force pour servir au mieux ! Mais si cette
expression « entrer
en Gendarmerie », signifie que l’on
va la servir « corps
et âme », un peu comme on
entre en religion, alors, je vous le dis très simplement, vous me faîtes
peur ! Car la Gendarmerie n’est pas un ordre religieux et qu’entre les
deux attitudes, il y a une différence, et une différence majeure, c’est votre
conscience !
Général
d'armée (2s) Bruno DARY
Promotion
de Linarès (1972-1974)
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