L’interview de Vladimir Poutine réalisée
par TF1 et Europe 1
est un magnifique exercice de censure et
de désinformation.
Cette petite exclusivité qui se voulait
un temps fort du journalisme et un événement attendu s’est transformée en
révélateur des maux qui frappent notre système d’information au point de
devenir totalement contre-productive. Car nos médias traditionnels n’ont
toujours pas compris une chose : internet est un formidable outil de réinformation et il est loin le temps où des journalistes
figés dans le formol pouvaient asséner tout et son contraire. Les citoyens
s’approprient l’information, recherchent les sources, débattent et comparent.
Il paraissait inimaginable que des Russophones ne
s’emparent de cette interview, d’autant plus que les médias Russes ont mis cet
échange en ligne, dans sa version intégrale. La première faute de TF1 se
situe donc ici. En expurgeant des passages entiers où Monsieur Poutine parle
d’humanisme, de droits de l’homme et d’autodétermination des peuples, la
première chaîne a clairement voulu construire son programme à charge.
La traduction approximative ensuite, volontaire ou
pas (malhonnêteté dans un cas, incompétence dans l’autre), a fini de fournir
des gros titres au journaux. Selon TF1, Poutine aurait déclaré qu’il ne
“valait mieux pas débattre avec une femme” alors que la traduction
exacte de ce proverbe Russe est “il ne vaut mieux pas se chamailler avec une
femme”. Cela change tout, surtout en replaçant la phrase dans son contexte,
à savoir sa réaction aux propos de Hillary Clinton qui le compare à Adolf
Hitler. Une réponse somme toute extrêmement mesurée comparée à la véhémence
de ces insultes à l’encontre d’un chef d’État.
Je ne peux que conseiller la lecture intégrale de cette interview qui est aux
antipodes de la mascarade diffusée par TF1. Une interview qui permet de
nous éclairer quant aux défis que doit affronter la Russie, son état d’esprit
et la redéfinition nécessaire des alliances dans ce nouveau monde.
Au-delà de ça, et pour pousser un peu plus loin la
réflexion, il serait intéressant de se poser les bonnes questions. Sans être un
russophile acharné, force est de constater que plus le temps passe moins nous
partageons de valeurs communes avec notre cousin naturel, les États-Unis
d’Amérique. A contrario, nous avons en face de nous une Russie qui tente de
protéger un certain mode de vie, une culture et des traditions. Nous partageons
la plupart de ces valeurs. Nous aussi nous sommes un peuple qui refuse de
disparaitre, sacrifié sur l’autel d’un multiculturalisme débridé. Celui que
l’on a désigné comme “ennemi” a fait avancer la situation en Syrie, quand nos
dirigeants jouaient les va-t-en-guerre face à Bachar
Al Assad. Or aujourd’hui, les Djihadistes
qui reviennent sur notre sol ne sont pas du côté de Bachar
Al Assad…
Ce pays est en train de redevenir un acteur
incontournable sur la scène internationale et pour des raisons
pseudo-idéologiques nous nous détournons de ce partenaire indispensable.
Il nous faut sortir de cette parodie de
géopolitique.
Nous nous sommes beaucoup moqués de Gérard Depardieu
demandant un passeport russe mais prenons garde à ne pas être obligés de faire
de même dans quelques années...
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Voici la transcription de l’interview de
Poutine d’hier. C’est la traduction de la version intégrale
issue du site du Kremlin (ou ici en russe, ou là).
En effet, pour faire tenir cette interview de 41 minutes en 24 minutes,
TF1 a sabré largement dans certaines parties. Comme il a été décidé de couper
des éléments essentiels sur la Crimée, l’opposition dans les médias français,
et de laisser des propos sans intérêts genre sur la langue qu’il utilise avec
Hollande, le mot censure me semble adapté – vu qu’il y a rétention d’informations
importantes qui éclaireraient le public français. D’autant que rien n’empêchait
de mettre en ligne sur le web la version complète… Et je reviendrais sur la
faute inacceptable de traduction quand il parle d’Hillary Clinton.
Ceci étant, reconnaissons qu’il est salutaire
que TF1 et Europe1 aient interviewé Vladimir Poutine…
Tout est donc traduit ici – les passages
censurés sont en exergue – à vous de voir s’ils méritaient de l’être…
Voici la version TF1 (24’28) :
TF1.fr l’appelle “la version intégrale”
Et là, eh bien vous avez la version intégrale
“intégrale” (en russe) de 41’00 :
En bonus, le making
off :
Question (Bouleau) – Bonsoir,
M. le président. Merci beaucoup d’accueillir Europe 1 et TF1 dans cette
résidence, dans votre résidence de Sotchi pour cet entretien exceptionnel.
Jeudi soir, vous serez reçu à l’Élysée par le président François Hollande et le
lendemain, le 6 juin, vous participerez aux commémorations du Débarquement. Ce
sera la première fois pour vous que vous irez sur les plages de Normandie. Mais
c’est aussi la première fois qu’un président russe participera et sera invité à
ces cérémonies. Qu’est-ce que cela vous fait en tant que citoyen russe d’être
invité à cette commémoration exceptionnelle ?
Vladimir Poutine – C’est
un événement important pour l’Europe et le monde entier. Nous allons rendre
hommage à ceux qui ont empêché les nazis de réduire l’Europe en esclavage. Je
pense que la participation de la Russie à cette commémoration est chargée de
symboles. Je veux dire par là que la Russie et les autres pays de la coalition
antihitlérienne, y compris la France, étaient alliés dans cette lutte pour la
liberté. La participation de notre pays a été très importante, voire décisive
pour vaincre le fascisme.
Mais nous n’oublierons jamais non
plus les combattants français de la Résistance, notamment ces soldats français
qui sont venus combattre à nos côtés sur le front de l’Est,
le front germano-soviétique. Et il me semble que c’est quelque chose qui doit
nous rappeler notre passé et, en même temps, nous servir à construire nos
relations d’aujourd’hui et de demain.
Question (Elkabbach coupant
Poutine) – Justement, vous avez, avec la Russie, votre place
sur les plages de la Normandie. Jusqu’à l’âge de quarante ans, vous viviez en
Union soviétique. Vous avez vu son effondrement. Et vous participez, vous,
activement à la renaissance de la Russie. Qu’est-ce que vous voulez ?
Qu’est-ce que vous cherchez ? Votre stratégie est-elle une stratégie de
dialogue ou d’expansionnisme et de conquête ?
Vladimir Poutine – Non, bien sûr.
Je suis persuadé que dans le monde contemporain une politique basée sur
l’expansionnisme et les conquêtes n’a aucun avenir.
Il est évident que la Russie, dans le monde d’aujourd’hui et de demain, peut
être et doit être partenaire de ses alliés historiques dans le sens large du
terme. C’est cela que nous voulons et nous allons continuer d’œuvrer en ce
sens. C’est la seule manière dont nous pouvons concevoir nos relations avec nos
voisins et tous les autres pays.
Question (Elkabbach) – Mais
vous voulez être l’avocat de la nation russe ou le symbole d’un nationalisme
russe, d’un empire russe ? On se sait ce que vous avez dit quand l’Union
soviétique s’est écroulée : « L’éclatement de l’empire soviétique a
été la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle. » Cela a
été beaucoup interprété. Et vous avez dit : « Celui qui ne regrette
pas l’Union soviétique n’a pas de cœur et celui qui veut la reconstituer n’a
pas de tête. » Or, vous avez une tête. Qu’est-ce que vous proposez :
le nationalisme russe ou un empire russe sur les frontières d’avant ?
Vladimir Poutine – Nous
n’envisageons ni de soutenir le nationalisme russe ni de reconstituer un
empire. Quand je disais que la disparition de l’URSS était une des plus grandes
catastrophes du XXe siècle, je parlais d’une catastrophe humanitaire
avant tout. Je voulais dire qu’en URSS existait une population qui – quelle que
soit son origine ethnique – vivait dans un pays uni. Par contre, après sa
dissolution, 25 millions de Russes se sont soudain retrouvés dans des pays
étrangers. Et cela a été une vraie catastrophe humanitaire. Ni politique, ni
idéologique, mais un problème d’ordre humanitaire. Des familles ont été
séparées, beaucoup de gens ont perdu leur emploi et se sont retrouvés sans
ressource, sans moyen de communiquer. C’est là qu’était le problème.
[Passage coupé]
Question (Elkabbach) – Et
à l’avenir ? Voulez-vous reconstituer l’empire dans ses anciennes
frontières ou voulez-vous continuer à développer votre pays à l’intérieur de
ses propres frontières ?
Vladimir Poutine – Nous
souhaitons développer notre pays à l’intérieur de ses frontières, bien sûr.
Mais – et ceci est très important – comme d’autres pays dans le monde, nous
voulons utiliser des moyens modernes pour devenir plus compétitifs, notamment
grâce à l’intégration économique. C’est ce que nous faisons dans l’espace de
l’ex-URSS dans le cadre de l’Union douanière et de l’Union eurasiatique.
Question (Bouleau) – Président
Poutine, alors que nous discutons ici un pays voisin qui n’est pas très
lointain, l’Ukraine, est en état de guerre. Il n’y a pas d’autre mot. Les
pro-russes affrontent ceux qui veulent garder les frontières actuelles de
l’Ukraine. Qui va les arrêter et voulez-vous arrêter cette guerre ?
Vladimir Poutine – Vous
savez, personnellement, je ne
parlerais pas de ces gens-là comme des pro-russes ou des pro-ukrainiens. Il y a
des personnes qui ont des droits, politiques, humanitaires et ils ont besoin de
pouvoir en jouir.
Par exemple, en Ukraine, jusqu’à
aujourd’hui les gouverneurs de toutes les régions sont encore nommés par le
pouvoir central. Or, après le
coup d’État inconstitutionnel qui a eu lieu à Kiev en février de cette année,
la première chose que le nouveau pouvoir a tenté de faire était de supprimer le
droit des minorités d’utiliser leur langue maternelle. Cela a provoqué une
grande inquiétude chez une grande partie de la population en Ukraine orientale.
Question (Elkabbach) – Et
cela vous ne l’avez pas accepté. Mais est-ce que vous dites, président Poutine,
que nous sommes rentrés dans une nouvelle phase de la guerre froide, même
glaciale entre l’Est et l’Ouest ?
Vladimir Poutine – Premièrement,
j’espère qu’il n’y aura pas une nouvelle phase d’une guerre froide.
Deuxièmement, et j’insiste
là-dessus, les gens, où qu’ils vivent, ont des droits et doivent avoir la
possibilité de les défendre. Voilà ce qui est en jeu.
[Passage coupé]
Question (Elkabbach) – Y
a-t-il un risque de guerre ? Maintenant, alors que des chars font route
depuis Kiev, de nombreuses personnes en France se posent cette question :
« Avez-vous été tenté d’envoyer des troupes à l’Est de l’Ukraine ? »
Vladimir Poutine – Il
s’agit d’un entretien ce qui suppose des questions courtes et des réponses
courtes. Mais si vous êtes patient et me donnez une minute, je vais vous dire
comment nous voyons les choses. Voici notre position. Qu’est-ce qui s’est
réellement passé là-bas ? Il existait
un conflit et ce conflit est survenu parce que l’ancien président ukrainien a
refusé de signer un accord d’association avec l’UE. La Russie a une certaine
position sur cette question. Nous
avons estimé qu’il était en effet déraisonnable de signer cet accord, car il
aurait eu un grave impact sur l’économie, y compris l’économie russe.
Nous avons 390 accords économiques avec l’Ukraine et l’Ukraine est un
membre de la zone de libre-échange au sein de la CEI. Et nous ne serions pas en mesure de
poursuivre cette relation économique avec l’Ukraine en tant que membre de la
zone de libre-échange européenne.
Nous en avons discuté avec nos
partenaires européens. Au lieu de poursuivre avec nous ce
débat par des voies légitimes et diplomatiques, nos amis européens et
américains ont soutenu une prise du pouvoir armée et anticonstitutionnelle.
Voilà ce qui s’est passé. Nous n’avons pas provoqué cette
crise. Nous aurions voulu que les choses se passent autrement, mais après le
coup d’État anticonstitutionnel – avouons-le, après tout…
Question (Elkabbach coupant
Poutine) – Mais on voit tant de tensions dans la vie
politique. Pourtant, malgré cela, vous serez en Normandie pour parler de paix
alors que Barack Obama
continue d’exhorter l’Europe à s’armer.
Vladimir Poutine – Eh
bien, il faut continuer de parler de paix, mais il faut comprendre les causes et la nature de cette crise. Le
fait est que personne ne devrait être porté au
pouvoir par un coup d’État anticonstitutionnel armé,
plus particulièrement dans l’espace post-soviétique,
où les institutions gouvernementales n’ont pas encore atteint leur pleine
maturité. Quand cela s’est produit, certaines personnes ont
accueilli avec joie ce régime tandis que d’autres, disons, dans l’Est et le Sud
de l’Ukraine ne veulent tout simplement pas l’accepter. Il
est essentiel de parler avec ces gens qui n’ont pas accepté cette prise de
pouvoir au lieu de leur envoyer des chars, comme vous le dites vous-même, au
lieu de tirer à partir d’avions des missiles sur des civils et de bombarder des
cibles non militaires.
Question (Bouleau) – Les
États-Unis affirment détenir la preuve que, vous, la Russie, intervenez en Ukraine
en laissant des combattants franchir la frontière et même en fournissant des
armes à ce que les États-Unis appellent des sécessionnistes. Ils disent avoir
des preuves. Vous croyez à ces preuves ?
Vladimir Poutine – Preuves ?
S’ils ont des preuves, ils n’ont
qu’à les présenter. Nous avons vu, et tout le monde a vu, le
secrétaire d’État des États-Unis agiter en 2003 au Conseil de sécurité de l’ONU
les preuves de détention d’armes de destruction massive en Irak. Ils avaient montré une éprouvette avec une
substance inconnue qui était peut-être n’importe quelle poudre….
Finalement, les troupes américaines ont envahi l’Irak, ils ont fait pendre
Saddam Hussein, suite à quoi nous avons appris qu’il n’y avait pas, qu’il n’y
avait jamais eu en Irak d’armes de destruction massive. Il y a donc une grande
différence entre faire des déclarations et avoir des preuves réelles. Je vous
le répète : il n’y a pas
de militaires russes en Ukraine.
Question (Elkabbach coupant
Bouleau et Poutine) – Vous voulez dire que, là, ils
sont en train de mentir les Américains ?
Vladimir Poutine – Ils
mentent. Il n’y a pas de militaires, aucun instructeur russe dans le sud-est de
l’Ukraine. Il n’y en a pas eu et il n’y en a pas.
Question (Elkabbach) –
Vous n’avez pas envie d’annexer l’Ukraine ? Et vous n’avez jamais tenté de
déstabiliser l’Ukraine ?
Vladimir Poutine – Non.
Nous ne l’avons jamais fait et ne le faisons pas maintenant. Et le pouvoir qui
est aujourd‘hui en place en Ukraine devrait établir le dialogue avec sa propre
population. Et pas à l’aide d’armes, de chars, d’avions et d’hélicoptères, mais
en lançant des négociations.
[Passage coupé]
Question
(Bouleau) — Le nouveau président ukrainien a été élu le 25 mai par
un vote démocratique. Considérez-vous
M. Porochenko comme un président légitime ?
Vladimir
Poutine — Je vous ai déjà dit et le répète : nous respecterons le choix du peuple
ukrainien et nous coopérerons avec les autorités ukrainiennes.
Question
(Bouleau) – En d’autres termes, si vous le
rencontrez le 6 juin sur les plages de Normandie, et si le président Hollande
contribue à rendre possible cette rencontre, vous lui serrerez la main ?
Lui parlerez-vous ?
Vladimir
Poutine – Vous savez, je n’ai pas l’intention d’éviter
quiconque. Le président Hollande m’a gentiment invité à participer à cette
commémoration en tant que représentant de la Russie, même si l’événement
commémoré fut tragique. C’est avec joie que j’ai accepté son invitation et je
suis reconnaissant au Président de m’avoir invité. Il y aura d’autres invités,
et je n’en éviterai aucun. Je suis prêt à parler avec chacun d’eux.
Question
(Elkabbach) – Mais allez-vous rencontrer M. Porochenko ?
Vous avez dit que vous ne travailleriez avec lui qu’à la condition qu’il ne
soumette pas totalement à l’influence américaine.
Vladimir
Poutine — Je n’ai pas dit qu’il ne doit pas
céder à l’influence américaine. Il est libre d’accepter l’influence qu’il
désire. Les Ukrainiens l’ont élu et il
est libre d’adopter une politique qui lui est propre. S’il choisit d’accepter
la forte influence d’un pays tiers, libre à lui. Mais
je ne le ferais pas…
Question
(Elkabbach coupant Bouleau) – Mais vous acceptez la souveraineté de
l’Ukraine et, peut-être, son indépendance entre la Russie et les
Occidentaux ? Sa neutralité, son indépendance ? Ça, on peut le dire ?
Vladimir
Poutine – Bien sûr, nous reconnaissons la souveraineté de
l’Ukraine ! En outre, nous aurions aimé qu’elle se sente elle-même comme
un état souverain.
Parce
que la participation à un bloc militaire, quel qu’il soit, ou à une structure
rigide d’intégration signifie une perte partielle de souveraineté pour ce pays.
Maintenant, si l’Ukraine accepte cela et accepte cette perte, c’est son choix.
Mais quand nous parlons de l’Ukraine et des blocs militaires, il est évident
que cela nous inquiète. Parce que si, par
exemple, l’Ukraine rejoint l’OTAN, les infrastructures militaires de cette
organisation se retrouvent à côté de nos frontières, et nous ne pouvons y
rester indifférents.
[Passage
coupé]
Question
(Bouleau) – Monsieur le Président, les troupes
russes ont récemment annexé la Crimée. Allez-vous jamais la rendre ?
Vladimir
Poutine – Il est faux de croire que les
troupes russes ont annexé la Crimée. Les troupes russes n’ont rien fait de la
sorte. Franchement…
Question
(Bouleau coupant Poutine) – Mais la Crimée a été ajoutée à la
carte de la Russie, le genre de cartes utilisées à l’école. Elle fait partie de
la Russie maintenant. De quoi s’agit-il ? D’une annexion ou d’une
réunification ? Quel mot faut-il utiliser ?
Vladimir
Poutine – Si vous me permettez de terminer, je pense que
vous verrez ce que je veux dire.
Les
troupes russes étaient en Crimée en vertu du traité international sur le
déploiement de la base militaire russe. Il est vrai que les
troupes russes ont aidé la Crimée à organiser un référendum sur leur (a)
l’indépendance et (b) son désir de rejoindre la Fédération de Russie. Personne
ne peut empêcher ces personnes d’exercer un droit qui est prévu à l’article 1
de la Charte des Nations Unies, le droit des peuples à l’autodétermination.
Question
(Elkabbach coupant Poutine) – En d’autres termes, vous ne
rendrez pas la Crimée ? La Crimée fait partie de la Russie, c’est ça ?
Vladimir
Poutine – Conformément à l’expression de la
volonté des personnes qui y vivent,
la Crimée fait partie de la Fédération de Russie et de son entité constitutive.
Je veux que chacun
comprenne cela clairement. Nous avons mené un dialogue exclusivement
diplomatique et pacifique – je veux le souligner – avec nos partenaires
européens et américains. Nos tentatives
d’organiser un tel dialogue et de négocier une solution acceptable n’ont eu
pour toute réponse que leur soutien pour un coup d’État anticonstitutionnel en
Ukraine. Nous ne savions donc pas si l’Ukraine ne deviendrait
pas une partie de l’alliance militaire de l’Atlantique Nord. Dans ces circonstances, nous
ne pouvions pas permettre qu’une partie historique du territoire russe avec une
population majoritairement russe puisse être intégrée dans une alliance
militaire internationale, en particulier parce
que la Crimée voulait faire partie de la Russie. Je suis désolé, mais nous ne
pouvions pas agir autrement.
Question
(Elkabbach) – François Hollande vous a invité en France, à Paris
et en Normandie. Vous le connaissez très bien. Pouvons-nous aller plus loin et
dire qu’il existe entre vous une relation de confiance ?
Vladimir
Poutine – Oui, je le pense.
Question
(Elkabbach) – Le pensez-vous ou en êtes-vous sûr ?
Vladimir Poutine – Je
l’ai toujours pensé. Je n’ai pas de raison de penser le contraire. Nous avons
de très bonnes relations interétatiques, mais nous avons encore beaucoup à
faire pour promouvoir nos relations économiques. Mais nos relations
personnelles ont toujours été fondées sur la confiance, ce qui aide également
sur le plan professionnel. J’espère que cela continuera.
Question
(Bouleau) – Vous parlez de relations basées sur la confiance — à
la fois pour ce qui est de la défense et de l’économie.
Vous avez acheté (et
même payé) plus d’un milliard d’euros deux porte-hélicoptères Mistral à la France
et des marins russes doivent arriver à Saint-Nazaire dans quelques jours,
quelques semaines. Est-ce que vous allez autoriser ces marins russes à aller en
France dans quelques jours ?
Vladimir
Poutine – Oui, bien sûr. J’espère que
nous vivons dans un monde civilisé et tout le monde respecte ses obligations
contractuelles. J’ai beaucoup entendu parler de l’opinion qui a
été exprimée selon laquelle la France ne devrait plus nous vendre ces
bâtiments. Et à cela je peux vous dire qu’en Russie également il y a eu
beaucoup d’opposants à ce contrat. Si la France décide d’annuler ce contrat –
elle peut le faire – nous
exigerons alors un dédommagement. Mais cela ne contribuera pas positivement au
futur développement de nos relations dans le domaine de coopération technique
et militaire. Mais en principe, nous sommes ouverts à la
coopération, éventuellement à signer de nouvelles commandes si nos partenaires
français souhaitent continuer la coopération.
[Passage
coupé] [Note OB. : merci pour les
habitants de St-Nazaire]
Question
(Elkabbach coupant Poutine) – En dépit des pressions externes,
vous avez commandé à la France ces navires d’assaut – et si la France les
livre, vous pourriez en commander d’autres, n’est-ce pas ?
Vladimir
Poutine – Nous attendons de nos partenaires français qu’ils
s’acquittent de leurs obligations contractuelles, et si tout se passe comme convenu, nous
n’excluons pas la possibilité de nouvelles commandes, et pas nécessairement
dans la construction navale, elles peuvent concerner d’autres secteurs.
Dans l’ensemble, nos relations dans ce domaine se développent favorablement, et
nous aimerions continuer à les renforcer, dans l’aviation, la construction
navale et d’autres secteurs. Nous avons une expérience de coopération réussie
dans l’exploration spatiale, au Centre spatial guyanais près de Kourou.
Question
(Elkabbach) – La France est-ce qu’elle est pour vous une
puissance souveraine, indépendante qui est écoutée ? Il y a l’Allemagne.
Vous parlez le russe et l’allemand avec Mme Merkel.
François Hollande ne parle aucune des deux langues, est-ce que vous pouvez vous
comprendre ? Est-ce que la France a ce statut ?
Vladimir
Poutine – La langue n’est pas une barrière,
le fait que je ne parle pas français ne nous empêche pas, François Hollande et
moi, de dialoguer. Nous avons
des interprètes si besoin et, en général, nous
pouvons toujours très bien nous comprendre.
Pour
ce qui concerne la souveraineté, je répèterai : un pays qui rejoint une
organisation militaire consent à céder une partie de sa souveraineté à une
institution supranationale. Pour la Russie cela est inacceptable, pour les
autres pays, à eux de décider, cela ne nous regarde pas. Mais cela me
rappelle la France, la tradition gaulliste, de Gaulle qui était un défenseur de
la souveraineté française et qui, selon moi, mérite du respect. Un autre
exemple est celui de François Mitterrand qui parlait d’une Confédération
européenne où, d’ailleurs, même la Russie pourrait participer. Je
pense que rien n’est encore perdu en ce qui concerne le futur de l’Europe.
Question
(Bouleau) – Je voudrais qu’on parle des États-Unis. Dans
quelques jours vous serez à côté à quelques mètres de Barack
Obama. Apparemment, il ne souhaite pas vraiment vous
parler. Comment les choses vont-elles se passer entre deux des plus grandes
puissances du monde ? Le pays le plus riche du monde, les États-Unis, et
de très loin le pays le plus grand, le plus vaste du monde, le vôtre. On image
mal que vous ne parliez pas l’un avec l’autre, d’autant plus qu’on a un besoin
impérieux puisque la guerre
n’est pas très loin à quelques centaines de kilomètres d’ici.
Vladimir
Poutine – D’abord, je pense que vous exagérez un peu en disant
qu’une guerre approche. Vous êtes un
peu agressif comme journaliste, pourquoi pensez-vous qu’une guerre approche ?
Pourquoi essayez-vous de faire peur à tout le monde ?
Question
(Elkabbach coupant Poutine) – Parce que l’Ukraine n’est
pas loin d’ici.
Vladimir
Poutine – Et alors ?
Question
(Elkabbach) – C’est là qu’il y a la guerre. (pointant vers
l’Ukraine) Et quand il (l’autre journaliste) mentionne la guerre, elle est là.
Vladimir
Poutine – Ce n’est pas une guerre, mais une opération de représailles que
mène le pouvoir de Kiev contre cette partie de sa population. Il ne s’agit
pas d’une guerre entre États, il y a là une grande différence…
Question
(Elkabbach coupant Poutine) – Mais cela doit cesser ?
Cette opération punitive pour vous, Vladimir Poutine, elle doit cesser, vite ?
Vladimir
Poutine – Je pense que M. Porochenko a
une chance unique : pour l’instant ses mains ne sont pas tachées de sang,
et il peut suspendre cette opération punitive et commencer un dialogue direct
avec ses propres citoyens à l’Est et au Sud de son pays.
Quant à mes relations
avec M. Obama – je n’ai pas oublié votre question –,
je n’ai aucune raison de penser qu’il ne souhaite plus du tout communiquer avec
le président de la Russie. Mais c’est à lui de décider après tout. Je suis
toujours prêt pour le dialogue, car le dialogue est le meilleur moyen de se
comprendre. Jusque-là nous étions toujours en contact, nous avons régulièrement
parlé au téléphone…
[Passage
coupé]
Question
(Bouleau) – La Russie et les États-Unis connaissent des
difficultés. S’agit-il d’un différend entre deux puissances ou deux personnes,
entre Barack Obama et
Vladimir Poutine ?
Vladimir
Poutine – Il existe toujours des tensions entre pays, plus
particulièrement avec des pays aussi vastes que la Russie et les États-Unis.
Des problèmes se posent toujours, mais je ne pense pas que nous devrions aller
à l’extrême. En tout cas, ce ne serait pas notre choix. Je suis toujours prêt à
parler à l’un de mes partenaires, y compris le président Obama.
Question
(Elkabbach) – Alors vous êtes prêt à discuter et vous regrettez ce
qui se passe ? Mais ne pensez-vous pas que les États-Unis tentent d’encercler la Russie, pour vous affaiblir
en tant que dirigeant et peut-être vous isoler du reste du monde ?
Vous êtes très diplomatique maintenant, mais vous connaissez les faits.
[Note OB :
oh, une très bonne question ! Donc une bonne raison de la couper au
montage...]
Vladimir
Poutine – Les faits ? Vous l’avez dit vous-même : la
Russie est le plus grand pays dans le monde. Il est très difficile de
l’encercler et le monde change si vite que ce serait essentiellement
impossible, même en théorie.
Bien sûr, nous
pouvons voir les tentatives des États-Unis qui font pression sur leurs alliés
en utilisant leur position dominante évidente dans la communauté occidentale,
dans le but d’influer sur la politique de la Russie.
La
politique de la Russie est fondée uniquement sur ses intérêts nationaux. Bien
sûr, nous prenons les opinions de nos partenaires en compte, mais nous sommes
guidés par les intérêts du peuple russe.
Question
(Bouleau) – M. le président, il est heureux d’une certaine manière
que vous ayez affaire le 6 juin à Barack Obama. Si vous aviez affaire à Hillary Clinton, les choses
tourneraient peut-être mal : elle a dit, il y a quelques jours, que ce que
faisait la Russie en ce moment en Europe centrale ressemblait à ce qu’Hitler faisait dans les années 30.
Vous avez pris cela comme une injure suprême en tant que citoyen et président
russe ?
Vous savez, avec les femmes,
mieux vaut ne pas s’entêter, et mieux vaut ne pas entrer avec elles dans des
altercations verbales.
Vladimir
Poutine – Vous savez, il vaut
mieux de ne pas trop se
chamailler avec une femme.
[sourire - à 13'55] Et Mme Clinton, même auparavant, ne se distinguait pas par
une exceptionnelle élégance de ses propos. Mais ce n’est pas très grave, nous
nous rencontrions quand même lors des différents évènements internationaux
après [ses propos] et avions de paisibles conversations. Et je pense que même
dans ce cas-ci, il serait possible de s’entendre. Mais lorsque les gens
franchissent certaines frontières – les frontières de la bienséance -, cela
démontre non pas leur force, mais leur faiblesse. Mais après tout, [geste d’
indulgence avec ses épaules], pour une femme, la faiblesse, ce n’est pas le
plus mauvais des défauts [sourire]
[Note OB : TF1 traduit par "Il est préférable de ne pas
débattre avec un femme", la presse à repris "préférable de ne pas
discuter avec une femme". Le principe premier d'un traducteur est
normalement de ne pas manipuler la pensée originale. Poutine emploie le terme “спорить”
(sporit)
qui a les sens différents de "discuter", "débattre",
"contester", "contredire", "chicaner", "se
disputer", "se chamailler". Il faut donc bien comprendre ce
qu'il disait... Dans la version anglaise du Kremlin, il est retenu
"argue", qui de même signifie "argumenter" et "se
disputer". Il faut savoir qu'il y a un proverbe russe qui dit :
"Il ne faut jamais contredire une femme, l’homme est la tête pensante,
mais la femme est son cou, elle vous tournera là où elle le veut". Il fait
allusion à ceci. Je rappelle qu'en France on a le dicton "ce que femme veut, Dieu le veut"
Donc Mme Clinton, ancienne chef
de la Diplomatie américaine et candidate à la succession d'Obama,
a la débilité crasse de comparer à Hitler le chef d'État du pays qui a battu
Hitler, au prix de 25 millions de morts (ce qu'elle ne ferait pas du Premier
Ministre israélien, j'imagine). Poutine aurait dû protester avec véhémence à ce
stade (le terme "grosse conne" aurait été approprié à mon sens, mais
il a dû hésiter...), mais il a choisi une pirouette d'humour russe.
Comme il semble assez logique
(si, si, réfléchissez) de penser qu'il ne pense pas vraiment qu'il ne faut pas
discuter avec les femmes (je rappelle que le Sénat Russe est présidé par une
femme - Valentina Matvienko - prévoir un
délai pour la France...), il est clair qu'il fait une boutade, et que
"chamailler" est le bon terme... Que le traducteur se trompe sur le
moment, cela se comprend, mais comme l'interview était enregistrée, cette
erreur aurait du être corrigé, car il est évident que cette petite phrase
ferait réagir... Ce qui n'a pas manqué, les médias s'étant jeté dessus comme la
vérole sur le bas-clergé... Mission accomplie, on n'a presque pas parlé de ses
propos - cf Libération ou ci-après... Notons que France Télévision emploie "se disputer", ce qui
est bien plus correct...]
Question
(Elkabbach) – Il faut respecter les femmes, bien sûr, et je suis
certain que vous les respectez. Mais vous pensez qu’elle est allée loin ?
Il y a beaucoup de caricatures des dirigeants du monde et sur vous aussi, vous
n’êtes pas épargné. Votre première réaction spontanée, c’est la colère ?
Une certaine maîtrise de vous, l’envie de punir ? Ou peut-être un jour de
rire ? On ne vous a
jamais vu rire.
[Note OB :
rôôô, mais si, il rit - surtout face à des
journalistes...]
Là, il
raconte une blague :
Vladimir
Poutine – Oh, je ne voudrais pas vous priver de ce plaisir et je
pense qu’un jour nous pourrions avoir l’occasion de rire ensemble d’une bonne
plaisanterie. Mais quand
j’entends des déclarations de ce genre qui dépassent un peu les limites,
j’en conclus que les gens n’ont simplement plus d’arguments. Les déclarations
de ce genre ne sont pas un très bon argument.
En ce qui concerne la
politique des États-Unis, ce n’est un secret pour personne que le pays qui mène la politique internationale
la plus agressive, la plus dure, pour défendre ses intérêts comme ses
dirigeants les voient, ce sont les États-Unis. Et ce depuis de nombreuses
années.
Nous
n’avons pratiquement pas de présence militaire à l’étranger alors que les bases
de l’armée américaine sont présentes sur toute la planète. Et partout où ils
sont, ils décident activement du sort des autres peuples, à des milliers de
kilomètres de leurs frontières. Alors, nous reprocher de ne pas
respecter des règles me semble un peu étrange de la part de nos interlocuteurs
américains.
Question
(Elkabbach) – Mais vous avez fait des efforts en
matière de budget militaire. Est-ce que, en ce moment, le président de la
Russie, le président Poutine prend des décisions particulières sur la sécurité
et la défense, parce que le climat est dangereux ?
Vladimir
Poutine – Oui, en ce qui concerne les budgets militaires tout le
monde ne le sait pas – sauf peut-être quelques spécialistes – mais le budget militaire des États-Unis est plus
élevé que les budgets de tous les autres pays du monde pris ensemble. Et qui
mène une politique agressive alors ? En ce qui concerne
notre budget militaire : en termes de pourcentage du PIB, il n’augmente
pratiquement pas, de quelques dixièmes de pour cent peut-être. Il est vrai que
nous souhaitons rééquiper notre armée et notre flotte avec des technologies de
pointe, réduire la quantité et améliorer la qualité. Nous avons tout un
programme de rééquipement qui ne date pas d’hier, mais qui n’a aucun lien avec
les évènements en Ukraine, c’est un projet à long terme que nous allons
poursuivre.
Question
(Bouleau) – M. le président, le président
syrien Bachar el-Assad
vient de s’offrir une nouvelle réélection sans suspense. Vous avez de
l’influence sur lui. Pourquoi ne lui demandez-vous pas d’arrêter les atrocités
que son armée commet et d’arrêter de s’acharner sur son peuple ?
Vladimir
Poutine – Saviez-vous que toutes les parties du conflit commettent des
atrocités et que les organisations extrémistes, qui sont désormais très
nombreuses, ne sont pas en dernière place ? Mais plutôt à la première sur
ce point. Mais savez-vous ce qui nous inquiète le plus ?..
Question
(Elkabbach coupant Poutine) – Religieuses, extrémistes,
islamistes… ?
Vladimir
Poutine – Oui, tout à fait. Ce sont des organisations liées
directement à Al-Qaïda et il y en a une multitude. Personne n’essaie même plus
de démentir cela. C’est un fait connu de tout le monde. Ce qui nous inquiète le
plus, c’est que si nous
agissons avec trop d’imprudence, la Syrie peut devenir une sorte de deuxième
Afghanistan, un nid de terroristes totalement incontrôlable.
D’ailleurs, c’est une menace pour les États européens également, parce que les
extrémistes présents maintenant en Syrie vont se rendre un jour dans d’autres
pays, y compris ceux d’Europe.
Question
(Elkabbach) – Ce qu’on ne comprend pas c’est
pourquoi vous, Vladimir Poutine qui voulez moderniser la Russie, vous continuez
à soutenir, peut-être à donner des armes, à quelqu’un qui continue à massacrer
son peuple et qui est comme Macbeth les mains couvertes de sang ? Comment
ça se fait ? Et jusqu’à quand ?
Vladimir
Poutine – Je vous donnerai une explication courte et facile à
comprendre. Et je pense que la plupart des téléspectateurs et des auditeurs
français me comprendront. Ce que nous
craignons avant tout, c’est le démembrement de la Syrie à l’image de ce qui
s’est produit au Soudan. Nous craignons que la situation y devienne similaire à
celle que nous voyons aujourd’hui en Irak. Et nous craignons également que la
Syrie devienne une sorte de nouvel Afghanistan. C’est pourquoi nous tenons à y
conserver le pouvoir légitime, pour ensuite progressivement,
avec la participation du peuple syrien et de nos partenaires européens et
américains, réfléchir sur la façon de réformer cette société pour la moderniser
et l’humaniser.
[Passage
coupé]
Question
(Bouleau) – Je voudrais vous poser une question sur votre pays, la
Russie. Comment décririez-vous son régime politique actuel ? Certains le
décrivent comme une Démocratie, tandis que d’autres affirment que la Russie est
tellement vaste qu’elle a besoin d’un homme à la poigne de fer. Comment
Vladimir Poutine définit-il le régime de Poutine ?
Vladimir
Poutine – Le régime actuel n’est pas lié à une personne en
particulier, y compris le président sortant. Nous avons des institutions politiques démocratiques habituelles,
même si elles reflètent les besoins de la Russie. Lesquels ?
L’écrasante majorité des citoyens russes ont tendance à compter sur leurs
traditions, sur leur histoire et, si je puis dire, leurs valeurs traditionnelles.
Je vois cela comme le fondement et un facteur de stabilité pour l’État russe,
mais rien de tout cela n’est lié au Président en tant qu’individu. En outre, il
convient de rappeler que nous n’avons commencé à introduire ces institutions démocratiques habituelles
que récemment. Elles continuent d’évoluer.
Question
(Bouleau) – Est-il possible d’être un opposant en Russie sans
mettre en danger ses relations et sa réputation ou éviter la sanction du
système judiciaire russe ?
Question
(Elkabbach) – Monsieur le Président, est-ce
qu’on peut s’opposer à vous en Russie sans risque ?
[Note OB : petit montage, la question
était posée juste après]
Vladimir
Poutine – Mais nous avons plein d’opposants, de nombreux partis d’opposition,
nous avons tout récemment libéralisé la création de nouveaux partis politiques.
D’ailleurs, plusieurs dizaines de partis sont apparus,
ils ont participé aux élections municipales ou régionales.
[Passage
coupé]
Question
(Elkabbach) – Monsieur le Président, est-ce
qu’on peut s’opposer à vous en Russie sans risque ?
Vladimir
Poutine – Si vous écoutez certaines de nos
stations de radio ou regardez certaines de nos émissions de télévision, je vous
assure que vous avez peu de chance de trouver quelque chose de semblable à ce
genre d’opposition en France.
Question
(Elkabbach) – Il y a toujours eu dans la période de la Russie, avec
les tsars ou après, l’ordre et l’autorité. Est-ce qu’à l’époque d’Internet, un
pays peut s’épanouir sans avoir toutes les libertés ?
[Note OB :
c'est une bonne question à poser au Président qui a accueilli Edward Snowden]
Vladimir
Poutine – Non, ce n’est pas possible. Et, d’ailleurs nous ne limitons pas
Internet. Quoi qu’on fasse il se trouve tout de suite quelqu’un
qui commence à chercher des violations de principes démocratiques. Y compris
pour ce qui est d’Internet. Avons-nous
limité Internet ? Non, à mon avis. Certains de nos
contradicteurs vont affirmer cela, dire qu’il existe des limitations
intenables. Lesquelles ? Par exemple, nous avons une interdiction de
propagande du suicide et des méthodes de suicide, de l’utilisation de
stupéfiants, de pédophilie – voilà nos interdictions. Qu’y a-t-il d’exagéré ?…
Question
(Bouleau coupant Poutine) – Et de l’homosexualité qui est une
chose très distincte de la pédophilie. La propagande en faveur de
l’homosexualité a été interdite…
Vladimir
Poutine – Non, ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas de loi
interdisant l’homosexualité, nous interdisons la promotion de l’homosexualité
auprès d’un public de mineurs, ce sont deux choses tout à fait distinctes.
Comprenez-vous ? Par exemple,
certains États des États-Unis ont des lois, qui punissent pénalement les
relations homosexuelles. Nous n’avons pas de peines de ce genre.
Seulement quand il s’agit de propagande destinée à des mineurs, nous avons le
droit de défendre nos enfants et nous allons le faire.
Question
(Bouleau) – M. le président, j’aimerais qu’on parle de
libertés publiques en Russie. Est-ce que, d’ici la fin de votre mandat en 2018,
vous avez l’envie de fermer les camps de travail ? Il y a des gens dans ce
pays qui sont condamnés non seulement à une peine de prison, mais à des camps
de travail ce qui nous, en Occident, nous étonne. Les Pussy
Riot, par exemple, ont été condamnées, me
semble-t-il, à deux années de camp de travail avant que vous ne fassiez en
sorte qu’elles ne soient libérées. Ce n’était pas une prison normale. Est-ce
que vous allez fermer ces camps ?
Vladimir
Poutine – Écoutez. Il
ne s’agit pas de « camps » à proprement parler. Il s’agit d’endroit
où les personnes sont, en effet, privées de liberté, mais peuvent mener une vie
plus ou moins normale. Ce ne sont pas des prisons, où la personne, au
contraire, n’a pas la possibilité de travailler. Une prison où l’individu ne
peut pas travailler est justement la pire punition, et je ne pense pas que tous
les condamnés doivent être placés dans ce type d’établissement. Je pense que
c’est encore pire que les établissements que vous mentionnez.
[Note OB :
dommage que Poutine n'ait pas placé là qu'il était contre la peine de mort,
interdite en Russie depuis 1996 - ce qui est une petite différence avec la
Chine ou les États-Unis, raison pour laquelle le Parlement
russe a voté une résolution demandant au Parlement américain d'établir un
moratoire sur la peine de mort]
Question
(Elkabbach) – Qui vous a convaincu un jour que vous aviez une
mission pour la Russie ? Que vous étiez destiné à vous occuper de la
Russie ?
[Note OB :
Ben, BELZÉBUTH évidemment ! ! ! Admirez la tête que fait Poutine
à 23'15 quand il entend ça...]
Vladimir
Poutine – Pourquoi êtes-vous persuadé que je pense avoir une mission
particulière ? J’ai la confiance de mes
électeurs. Plus de 63 % ont voté pour moi. Je pense avoir le mandat me
permettant de gérer la politique intérieure et extérieure de mon pays, et je
travaillerai conformément à ce mandat.
[Passage
coupé]
Question
(Elkabbach) — Avez-vous un modèle dans l’histoire de la Russie ?
Êtes-vous guidé par la politique
soviétique ou
la politique russe ?
[Note OB :
mais pourquoi ne demande-t-il pas s'il est guidé par la politique nazie - pour
être bien sûr... ?]
Vladimir
Poutine — J’ai un grand amour et respect pour l’histoire et la
culture russes. Mais le monde change, tout comme la Russie. La Russie est une
partie du monde moderne, pas du passé, mais plutôt du monde moderne. Et je crois qu’elle jouera un rôle encore plus
important à l’avenir que d’autres pays qui ne prennent pas soin de leurs
jeunes, des nouvelles générations, de leurs enfants, et qui pensent qu’ils peuvent
simplement se contenter du laisser-faire.
Question
(Bouleau) – Et la dernière question, Monsieur le Président. En
2013, [le magazine] Forbes vous a classé comme la personne la plus puissante
dans le monde. Avez-vous été flatté par ce titre ?
Vladimir
Poutine — Vous savez, je suis adulte et je sais ce que
signifie le pouvoir dans le monde moderne. Dans le monde moderne, la puissance est principalement définie par
des facteurs tels que l’économie, la défense et l’influence culturelle.
Je crois que sur le plan de la défense, la Russie est sans aucun doute l’un des
chefs de file parce que nous sommes une puissance nucléaire et que nos armes
nucléaires sont peut-être les meilleures dans le monde.
En ce qui concerne
l’influence culturelle, nous sommes fiers de la culture russe : la
littérature, les arts et ainsi de suite.
Quant
à l’économie, nous sommes conscients que nous avons encore beaucoup à faire
avant d’atteindre le sommet. Bien que, ces derniers temps,
nous ayons fait d’énormes progrès et que nous soyons désormais la cinquième
économie dans le monde par sa taille. C’est un succès, mais nous pouvons faire
mieux.
Question
(Elkabbach) – Vladimir Poutine, l’Histoire ne sait pas encore ce
qu’elle retiendra des années Poutine. Elle attend et ces années s’écrivent.
Qu’est-ce que vous voulez qu’il reste ?
[Phrase
coupée]
Voulez-vous qu’on se
souvienne de vous comme d’un dirigeant démocratique ou autoritaire ?
Vladimir
Poutine – Eh bien, je voudrais
être considéré comme quelqu’un qui a fait son maximum pour le bonheur et la
prospérité de son pays et de sa nation.
Question
(Elkabbach et Bouleau) – Merci beaucoup de nous avoir
reçus tous les deux. Bon voyage en France ! Au revoir.
Vladimir
Poutine – merci.
Traduction :
Patrick pour www.les-crises.fr
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