PATRIMOINE
DES FRANÇAIS
Les inégalités criantes (205/1)
Malgré la crise, les hauts patrimoines se portent très bien en
France et restent détenus par une minorité d'héritiers, une concentration
amplifiée par les allégements fiscaux sur les successions et que la suppression
de l'impôt sur la fortune devrait encore aggraver.
Selon
l'enquête Patrimoine 2010 de l'Institut national de la statistique et des
études économiques, diffusée jeudi, les inégalités entre Français en matière de
patrimoine se sont fortement accrues entre 2004 et 2010.
L'écart
entre les 10% de ménages les plus pauvrement dotés et les 10% de ménages les
plus richement dotés a augmenté de plus de 30% au cours de la période.
Quand
les 10% les mieux lotis possèdent au moins 550.000 euros de patrimoine, les 10%
les moins bien lotis n'ont pas plus de 2.700 euros chacun, soit 205 fois moins.
Quant au 1% des ménages les plus riches, ils détiennent chacun 1,8 million
d'euros d'avoirs financiers, immobiliers ou professionnels.
"Les
inégalités de patrimoine sont beaucoup plus marquées que celles des
revenus", reconnaît l'Insee, le revenu disponible des 10% des ménages les
plus modestes étant 4,2 fois moins élevé que celui des 10% les plus aisés.
Pour
l'économiste Thomas Piketty, spécialiste de la fiscalité et des hauts revenus,
cette enquête confirme que "les patrimoines se portent très bien. Il faut
revenir à la Belle époque pour trouver un niveau aussi élevé". Le
patrimoine global des ménages s'élève à près de 10.000 milliards d'euros.
À ses
yeux, "le problème n'est pas son niveau, mais sa répartition". Ainsi,
les 10% les plus riches possèdent à eux seuls la moitié du patrimoine total et
ont en moyenne plus de 1 million d'euros chacun.
À
l'inverse, les 50% les plus pauvres ont en moyenne 30.000 euros, ce qui
correspond à une "voiture et deux/trois trois mois d'avance sur leur
compte en banque". Et s'ils sont propriétaires de leur appartement, ils
ont contracté un emprunt si bien que leur patrimoine net est très faible.
Autre
enseignement de l'enquête: "il n'y pas de fuite des patrimoines importants
hors de France", souligne M. Piketty. Une étude récente de la banque
Crédit Suisse a d'ailleurs montré que la France comptait plus de millionnaires
que n'importe quel pays européen.
Pour
l'économiste proche du Parti socialiste, cette concentration du patrimoine a
été aggravée par la loi TEPA de 2007, qui a exonéré d'impôts 95% des
successions, en attendant que se fassent sentir les effets de la refonte
récente de la fiscalité du patrimoine, qui a divisé par deux l'ISF.
À
rebours de la politique actuelle, "la priorité, c'est d'alléger au maximum
l'impôt sur le revenu et d'augmenter les impôts sur le patrimoine", plaide
M. Piketty, qui estime qu'il faut "consacrer toutes les marges de manœuvre
disponibles à ceux qui n'ont que le revenu de leur travail" et n'arrivent
pas à accumuler un peu de patrimoine.
Pour
Thibault Gajdos, du CNRS, cette enquête illustre le rôle déterminant de
l'héritage dans la constitution du patrimoine. Ainsi, le patrimoine médian des
ménages héritiers est de 241.300 euros, contre 63.100 euros pour les
non-héritiers.
À ses
yeux, ce n'est donc pas la hausse des prix de l'immobilier qui est responsable
de cette "dérive des inégalités", mais "la simple transmission
du patrimoine" opposant les héritiers, qui ont pu accéder à la propriété,
à ceux qui ne disposent pas d'un patrimoine initial.
En
outre, relève-t-il, du fait du vieillissement de la population, "on hérite
plus vieux". L'héritage ne bénéficie pas à ceux qui en auraient le plus
besoin. L'écart entre le patrimoine des 20/29 ans et celui des 60-69 ans est de
1 à 10.
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